Axa, Winamax, Findus, Numericable, Sofitel et l’affaire DSK : quand les bad buzz déstabilisent profondément les marques<!-- --> | Atlantico.fr
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Une vue de l'hôtel Sofitel à New York au coeur de l'affaire DSK.
Une vue de l'hôtel Sofitel à New York au coeur de l'affaire DSK.
©AFP / Monika Graff

Bonnes feuilles

Marc Drillech publie « Les marques Hier, aujourd'hui, demain » aux éditions FYP. Les marques sont incontournables dans notre vie quotidienne et centrales dans la stratégie des entreprises. Marc Drillech propose un panorama complet des nouvelles stratégies des marques. Extrait 2/2.

Marc Drillech

Diplômé de sociologie à l’université Lille-1 et de Sciences Po Paris, Marc Drillech fut l’un des dirigeants de Publicis entre 1990 et 2005, en particulier président de Publicis Étoile, puis de Publicis Dialog, et vice-président international de Publicis Groupe. Depuis 2006, il est directeur général de IONIS Education Group, le premier groupe de l’enseignement supérieur privé en France. Il est l’auteur de plusieurs ouvrages de référence sur les phénomènes de boycotts, ainsi que des deux tomes de Brand Success consacrés aux plus grandes réussites du marketing et de la communication.

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Le concept « Perception is Reality » s’applique davantage quand la multiplication des sources d’information et de communication offre la possibilité à chacun de lancer n’importe quelle information, qu’elle soit vraie ou non. Dans une époque qui souffre, comme jamais auparavant, du manque d’apprentissage et d’esprit critique, de démagogie médiatique et de fake news de plus en plus élaborées, les marques sont très exposées lorsqu’elles sont en difficulté, et elles sont souvent en danger car elles disposent d’un pouvoir de réponse restreint. Et, nous le répétons, cela constitue une ressource de choix pour l’information spectacle qui envahit toujours plus nos multiples écrans. Cette exploitation médiatique d’un incident qui aurait été autrefois totalement oublié devient à la fois passionnante et regrettable, parfois comique. Un épisode de la vie de la marque ou d’une organisation devient une crise par l’effet amplificateur de l’information.

Quand Greenpeace tague un slogan de revendication sur un monument classé au Pérou, ce qui aurait été une simple bêtise, devient un acte médiatisé dans le pays pendant des jours, par le fameux effet « boule de neige ». Quand un coMMunity Manager de Pôle emploi est fier d’annoncer « que ce mois-ci le site de Pôle Emploi est toujours en tête des sites préférés en France », cela mérite davantage un sérieux recadrage qu’une envolée médiatique.

La dynamique épidémiologique peut se mettre en marche pour de nombreuses erreurs, petites fautes, oublis, approximations, ou parce que quelqu’un veut se faire justice ou nuire.

Mais la majorité des bad buzz ne naissent pas de drames hautement médiatisés. La raison d’être peut surprendre de même que les individus concernés, le pays, la raison. L’erreur initiale, la mauvaise gestion relationnelle, l’incompréhension entre deux personnes ou l’immoralité d’un geste devient un sujet d’actualité et déferle sur la marque, sa réputation, le moral de ses salariés. Les fights, clashs, bad buzz, dont les marques sont souvent les héros malgré elles au quotidien sur les réseaux sociaux, permettent de nourrir la machine médiatique. Et les meilleurs terreaux sont les scandales, les crises, les tensions, les secrets révélés, tout ce qui tient du mensonge et de la dissimulation.

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Et rien ne montre que cette tendance va s’estomper, notamment quand on constate à quel point les jeunes générations ont intégré ces pratiques. La fameuse gestion de crise, enseignée aux responsables des marques, ne concerne plus une capacité à intervenir exceptionnellement. Il s’agit de veiller en permanence, et partout, sur ce qui se dit sur une marque, quelles démarches pour éviter une intervention hâtive, une prise de parole mal structurée ou l’absence de réponse aux attaques. Tout est sujet à vigilance. Tout est sujet à conflit. Tout peut devenir un dérapage à grande échelle, partout sur la planète, dans un magasin ou les bureaux d’une filiale. 

Axa et l’indemnisation des restaurateurs lors de la pandémie de Covid-19

En juin 2021, l’assureur Axa annonce débloquer 300 millions d’euros afin d’aider 15 000 de ses clients restaurateurs dont les dettes s’accumulent à mesure que dure le confinement et l’application du pass sanitaire. Ces derniers payent toujours leurs cotisations à AXA sans pouvoir ouvrir leurs points de vente. Ce qui aurait pu être, sur le plan médiatique, une excellente occasion pour l’assureur, c’est soldé par un bad buzz de plusieurs mois, largement amplifié par les médias, dont les chaînes d’informations en continu.

Dès l’instant où plusieurs restaurateurs n’ont pas été soutenus par l’assureur, leur volonté d’attaquer ce dernier en justice a allumé un incendie au moment le plus inopportun, quand l’État se montrait pleinement solidaire de celles et de ceux qui étaient en première ligne, comme ces commerçants se retrouvant dans l’impossibilité d’exercer leur métier. Les réseaux sociaux amplifiant la crise, ces non-événements sont devenus des mini-scandales suffisamment puissants pour faire réagir Axa, qui avait oublié que nous ne vivons plus dans une société dominée par quelques médias, mais dans un monde de millions d’émetteurs. 

Quand la marque Findus affronte une nouvelle crise de viande contaminée

Au cours des années 1995-1996, lors de la crise sanitaire de la vache folle due à l’épidémie de l’encéphalopathie spongiforme bovine (ESB), la consommation de viande bovine va enregistrer une baisse de 25 % en France. Lasagnes, moussaka, cannelloni, plusieurs produits transformés contenant de la viande bovine sont immédiatement retirés de la vente, y compris les produits surgelés Picard et Findus. Cette crise qui a conduit à la mise en place de processus de traçabilité pour l’ensemble de la chaîne avait ébranlé la profession. Mais quelques années plus tard, en 2013, une autre onde de choc frappe le secteur agroalimentaire : la présence de viande de cheval dans des plats cuisinés censés contenir du bœuf. La société Findus fut la première à retirer les plats préparés contenant du cheval qui avaient été fabriqués dans l’usine de la société luxembourgeoise Comagel, basée à Metz, laquelle avait acheté à l’entreprise française Spanghero du minerai14 de viande de bœuf composé en réalité de viande de cheval. Plus tard, d’autres clients de ce sous-traitant (Auchan, Casino, Carrefour, Cora, Monoprix et Picard) annoncèrent à leur tour le retrait de produits. Si Findus est sorti blanchi dans cette affaire qui implique son sous-traitant et ses fournisseurs, son image sera pourtant sérieusement écornée. En juillet 2013, l’entreprise Spanghero détenue à 90 % par la coopérative basque Lur Berri est reprise par Laurent Spanghero et renommée par la suite La Lauragaise. En 2015, Willy Selten, le grossiste néerlandais qui fournissait les établissements Spanghero a été condamné par les tribunaux des Pays-Bas pour falsification de marchandise, car il vendait régulièrement de la viande de cheval qu’il estampillait « pur bœuf ». C’est donc lui qui était donc à l’origine du scandale alimentaire de la viande de bœuf.

Mais la marque Findus va devoir vivre avec ce scandale, répété à chaque fois qu’un autre scandale sanitaire éclate, pour illustrer les dérives du secteur de la viande industrielle et de la grande distribution, et de l’importation pas toujours bien contrôlée en provenance des pays de l’Est. Clamer son innocence n’a pas grand effet ; le dicton, « il n’y a pas de fumée sans feu » fonctionne d’autant plus que les réseaux sociaux savent enflammer ces débats. 

Sofitel et l’affaire DSK

S’il est difficile d’avoir des certitudes sur les bénéfices ou les désavantages tirés par la chaîne Sofitel de la célèbre affaire Dominique Strauss-Kahn, on notera la discrétion de l’entreprise Accor, propriétaire de la chaîne et de sa direction new-yorkaise. Il s’agit d’une remarquable gestion d’une crise qui demeure un exemple, même quand l’embrasement médiatique international reposait sur des affirmations qui n’étaient alors que des hypothèses. Malgré des théories du complot, d’affaires politiques, de supputations et de buzz de toutes sortes, la gestion de crise a été bien menée. Durant les semaines qui ont suivi l’agression supposée, l’entreprise Accor a su communiquer d’une seule voix, et a mis en œuvre une stratégie du silence, qui considère plus grand le risque de parler que de se taire. Tout devait être fait pour sauvegarder le nom de l’entreprise et de la marque Sofitel.

La prise de parole, souhaitée par les médias et les publics, n’est pas toujours un avantage en soi, au contraire. Tout risque d’être amplifié, détourné de son sens, nourrir de nouvelles polémiques.

Chaque crise est une nouvelle histoire. Mais cet exemple aide à comprendre pourquoi, quand on vit une hystérie médiatique, on doit se questionner sur les risques de la prise de parole et pas seulement sur ses avantages.

Dolce Gabbana en Chine : quand l’humour provocateur suscite un véritable tollé

En 2018, la marque star italienne Dolce & Gabbana lance une nouvelle campagne publicitaire à la télévision chinoise. Le spot renvoie l’image d’une jeune Chinoise maladroite, mais charmante, qui glousse un peu et qui, finalement, parvient à avaler des spaghettis.

Ce qui voulait être une invitation faite aux Chinoises à découvrir les merveilles de la gastronomie italienne et donc de sa marque devint une pluie de critiques et d’appels au boycott. Il faut dire que montrer une Chinoise qui mange des pâtes avec des baguettes va plus dans le sens de clichés négatifs qu’on ne cherche à valoriser la clientèle. Puis des propos racistes émis par Stefano Gabbana sont relayés par les médias et les réseaux sociaux. Les menaces de boycott portent leurs fruits, d’autant que la fulgurance de l’incendie comme sa propagation médiatique étaient des facteurs amplifiant l’importance émotionnelle de ce qui était considéré comme une attaque contre la culture chinoise. Le peuple chinois est fier de sa culture millénaire. 

L’affaire Cambridge Analytica : une faille durable dans la réputation de Facebook

Dans le cas de Facebook, malgré quelques menaces de boycotts, le scandale a surtout été politique et international. En 2014, Facebook accorde une autorisation spéciale à Aleksandr Kogan, un chercheur de Cambridge pour une étude prétendument scientifique conduite par la startup qu’il a créé, Cambridge Analytica. Les données personnelles de 87 millions d’utilisateurs Facebook (dont possiblement 210 000 en France) vont être captées, afin d’établir des profils psychographiques d’électeurs. Ces informations ont servi à influencer les intentions de vote en faveur d’hommes politiques qui étaient des clients de Cambridge Analytica, notamment lors du référendum sur le Brexit en Grande-Bretagne et les élections présidentielles de 2016 aux États-Unis afin de favoriser le camp républicain et la nomination de Donald Trump. Le scandale de ce siphonnage des données des utilisateurs de Facebook a été révélé en 2018. La même année, Cambridge Analytica se déclare en faillite. Selon son communiqué : « Cambridge Analytica a été calomniée pour des activités qui non seulement sont légales, mais aussi largement acceptéescommefaisantpartieintégrantede la publicité en ligne dans les domaines politique et commercial. […] la couverture médiatique a éloigné presque tous les clients et fournisseurs. »

À la suite de cette affaire, en juillet 2019, la Federal Trade Commission (FTC), l’agence indépendante du gouvernement des États-Unis qui veille) l’application du droit de la consommation et le contrôle des pratiques commerciales, condamne Facebook à payer une amende de 5 milliards de dollars pour la non-protection des données de ses utilisateurs.

Ce scandale et son immense médiatisation internationale ont considérablement terni l’image et la réputation de Facebook15. Pour son président comme pour sa marque, les effets négatifs réels ont été très supérieurs aux seules apparences qui considéraient que les mouvements contestataires ne font que passer. 

Numericable, « Téléchargez aussi vite que votre femme change d’avis »

Le câblo-opérateur de télévision et fournisseur d’accès à internet Numericable bénéficie d’une forte médiatisation, non seulement sur les réseaux sociaux, mais sur tous les médias traditionnels. Mais en 2014, sa nouvelle campagne, qui sera considérée comme « sexiste » par le jury de déontologie de la publicité, a suscité des levées de boucliers durant plusieurs jours, et des demandes de résiliation qui démontrent le pouvoir déstabilisant d’un bad buzz sur l’image d’une entreprise et sur sa dynamique commerciale.

L’opérateur s’était risqué à diffuser un visuel accompagné de l’accroche « télécharger aussi vite que votre femme change d’avis ». Une comparaison d’un humour contestable et dont le caractère sexiste n’a pas échappé aux internautes. La campagne était prévue en deux temps. Dans le second volet, ce sont les hommes qui étaient visés, avec le slogan « Téléchargez aussi vite que votre mari oublie ses promesses ». Mais cela n’a pas suffi à apaiser les esprits. Le mal était fait. Qui plus est, lancer cette campagne au moment où le gouvernement s’attaquait au sexisme sur internet était une très mauvaise idée. Les esprits déjà échauffés se sont empressés d’épingler la marque. 

Winamax, « Tout pour la daronne » : le risque de cibler des publics vulnérables

Durant l’été 2021, à l’occasion du Championnat d’Europe de football, le site de paris sportifs en ligne Winamax met en scène dans son film publicitaire « Tout pour la daronne », un parieur qui, grâce au gain qu’il a tiré d’un pari sportif victorieux, propulse sa mère, la daronne, par ascenseur jusqu’à bord de la première classe d’un avion, symbole de réussite sociale. Des protestations ont fusé sur les réseaux sociaux et sur les médias en ligne, dont les chaînes d’information. « Tout pour ma daronne, gros gains, gros respect » est un exemple intéressant du choc des cultures et de conflit qui se structure autour d’une incompréhension. En mars 2022, l’Autorité nationale des jeux a demandé à Winamax de ne plus diffuser cette publicité. C’est la première fois que l’ANJ exerce son pouvoir de retrait d’une communication commerciale. 

CONCLUSION

Les études et analyses sur l’avenir de la consommation, les nouvelles valeurs et les comportements des consommateurs convergent vers une vérité universelle qui va au-delà de la confirmation des tendances. L’entreprise et les marques qui réussiront demain sont plus que jamais dépendantes de l’implication, des capacités créatives, relationnelles et humaines de ses salariés et de ses partenaires.

● Une capacité d’innovation importante, continue, tournée vers le client donc utile et dans le sens des aspirations de la société. Il ne faut pas une innovation destinée à satisfaire les ingénieurs, mais avoir des ingénieurs au service des clients et des partenaires de la marque et de l’entreprise.

● Une aptitude d’adaptation rapide, et parfois profonde, face aux mouvements du marché, aux nouvelles opportunités ou à des contraintes sociétales ou réglementaires, à une dynamique de la concurrence. Donc une capacité forte de changement et de remise en cause.

● Une dynamique de la croissance et de la rentabilité qui passe par la capacité à recruter, former, donner la priorité à l’interne, aux salariés, aux partenaires qui font la différence.

● Une orientation client qui le place au centre des processus et dont sa satisfaction est le moteur de la marque. Il s’agit de mieux dialoguer avec les clients pour entrevoir leurs aspirations, leurs réalités. Donc une organisation, des femmes et des hommes qui ne cherchent pas à faire rentrer les clients dans la marque, mais exactement l’inverse.

Dans tous les cas, les métiers du marketing et de la communication, plus encore à l’ère digitale, ne sont pas destinés à répéter comme des perroquets des phrases toutes préparées à l’avance pour se donner bonne conscience et faire de la RSE un étendard qu’on agite pour prouver qu’on est un bon élève. Le plus important c’est la prise en compte du client, dans toutes ses composantes. Seulement alors, les questions relatives à son mode de vie, ses valeurs, ses aspirations, son environnement entrent en jeu.

Extrait du livre de Marc Drillech, « Les marques Hier, aujourd'hui, demain », publié aux éditions FYP

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