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Avoir un département dirigé par la gauche ou par la droite, ça change quoi concrètement ?
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Une question de méthode

Si les élections départementales revêtent bel et bien une dimension nationale sur le plan politique, leurs conséquences affecteront plusieurs domaines locaux. Fiscalité, aides sociales, gestion des routes... L'étiquetage politique des élus joue un rôle : bilan comparé.

Pierre-François Gouiffès

Pierre-François Gouiffès

Pierre-François Gouiffès est maître de conférences à Sciences Po (gestion publique & économie politique). Il a notamment publié Réformes: mission impossible ? (Documentation française, 2010), L’âge d’or des déficits, 40 ans de politique budgétaire française (Documentation française, 2013). et récemment Le Logement en France (Economica, 2017). Il tient un blog sur pfgouiffes.net.
 

Vous pouvez également suivre Pierre-François Gouiffès sur Twitter

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Jacques Lévy

Jacques Lévy

Jacques Lévy est géographe, professeur à l’École polytechnique fédérale de Lausanne et à l’université de Reims. Il a reçu le prix international Vautrin-Lud 2018, qui est la plus haute distinction en géographie. Il est le co-auteur de Théorie de la justice spatiale, avec Jean-Nicolas Fauchille et Ana Povoas, paru chez Odile Jacob (2018).

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Jean-Luc Boeuf

Jean-Luc Boeuf

Jean-Luc Bœuf est administrateur général. Auteur de nombreux ouvrages, son dernier livre : les très riches heures des territoires (2019), aux éditions Population et avenir. Il est actuellement directeur général des services du conseil départemental de la Drôme (26)

 

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Atlantico : Objectivement, et selon les budgets primitifs des départements de 2014, quelles différences en termes de gestion des budgets départementaux a-t-on pu constater ? Observe-t-on une gestion de gauche et une gestion de droite ?

Jean-Luc Boeuf : Les budgets cumulés des départements représentent un peu plus de 3 points de PIB, soit environ 70 milliards d'euros. Près des neuf dixièmes de leurs dépenses sont le fait de compétences obligatoires que l'État leur a déléguées au fil du temps. Ces compétences, les départements doivent donc les exercer quelle que soit la couleur de l'exécutif départemental...

Au niveau national, les points de clivage traditionnels entre la droite et la gauche ont trait à la fiscalité, a la conduite des politiques de ressources humaines (comme la façon de remplacer ou non les départs en retraite des agents) et à la façon d'intervenir vis-à-vis de l'entreprise et des actions sociales. Au niveau local, les collectivités locales sont par nature interventionnistes ! C'est leur raison d'être.  Un classement récent présenté par BFM TV fait ressortir  que les huit départements les "mieux gérés" ont pour quatre d'entre eux des présidents de gauche (Landes, Eure, Pyrénées atlantiques, Ain) et pour quatre autres des présidents de droite (Morbihan, Indre, Haute-Savoie, Marne).

Pierre-François Gouiffès : Cet exercice de comparaison construit sur la base de données financières rapportées à la population sur la base de données fournies par la DGCL est intéressant mais doit être contextualisé en lien avec les spécificités départementales. On a des départements de populations différentes (des 80.000 habitants de la Lozère aux 2 millions des Bouches du Rhône), de chômage différents, de géographies différentes, etc. etc.

Fiscalité (impôts locaux). Le domaine de la fiscalité est un bon exemple de données à analyser avec doigté puisqu’il part des 227€ par habitant de Haute Corse à 445€ pour les Hauts de Seine. Ce sujet de la fiscalité est également important dans le cadre de la métropole du Grand Paris puisque beaucoup de discussions ont porté sur la mutualisation possible entre les recettes fiscales des différents budgets des départements franciliens.

Investissements. L’investissement des départements renvoie aux dépenses d’équipement dans le cadre des compétences collège et route mais également aux subventions d’investissement versées à d’autres collectivités locales et notamment aux communes et leurs regroupements. Ces dépenses consolidées départementales représentent une dizaine de milliards d’euros en baisse constante depuis 2009. Il y a des écarts très importants de dépenses d’investissement par habitant avec un facteur 5 entre la Lozère (650€ par habitant mais à rapporter à la taille petite de la population) et le Maine & Loire (141€).

Déficits/ Équilibre budgétaire. La dette consolidée des collectivités locales représente 33mds€ contre 25mds€ en 2008. En analyse individuelle, un critère habituellement utilisé pour mesurer la solidité des départements consiste à mesurer leur capacité à rembourser leur dette avec l’autofinancement (l’excédent) issu de leur section de fonctionnement. On constate là des écarts massifs  l’Indre, l’Ariège, l’Isère et les Hauts de Seine n’ont besoin que d’une demi année pour rembourser leur dette, contre 16 ans pour la Seine Saint-Denis ou 10 ans pour la Corrèze (département le plus endetté par habitant) et 4 ans pour la moyenne des départements français.

Quelles sont les compétences des départements ?

Pierre-François Gouiffès : Commençons par regarder les finances départementales de façon consolidée : ces dépenses représentent 75 milliards d'euros (3,5 points de PIB) et le tiers des dépenses locales totales, mais avec un niveau plus élevé pour les dépenses de fonctionnement (35% du bloc local) que pour l’investissement (20%).

Ces dépenses correspondent pour partie à la mise en œuvre des compétences qui leur ont été dévolues lors des actes de décentralisation de 1982 et 2003 : le bâti des collèges, les routes départementales, le transport scolaire. Mais la dépense principale relevant des départements concerne l’aide sociale au sens large, avec l’ensemble des allocations universelles de solidarité (RSA socle, prestation de compensation du handicap PCH, allocation personnalisée d’autonomie APA) auxquelles il faut rajouter les frais d’hébergement en établissements. Tout cela a représenté en 2013 la moitié de leurs dépenses de fonctionnement (28mds€).

Les dépenses sociales des départements ont une double caractéristique : d’une part elles sont particulièrement dynamiques (+3,7% en 2013 contre 1,1% pour la fiscalité départementale sans même parler de la croissance française), mais surtout les départements n’ont que très peu de marge de manœuvre sur des dispositifs qu’elles financent mais pour lesquelles l’Etat a gardé la main sur les normes et l’orientation générale.

Le RSA en est l’exemple le plus emblématique : l’Etat a décidé en janvier 2013 une revalorisation exceptionnelle du RSA de 10% en cinq ans en plus de l’inflation dans le cadre du plan pauvreté du gouvernement Ayrault. Cette décision couplée à la situation économique dégradée s’est traduite par des augmentations de l’ordre de 10%% de la dépense départementale au titre du RSA en 2013 puis en 2014, pour un total de l’ordre de 9 mds€. Au final les versements de prestations sociales ont doublé pour les départements depuis 2003…

Si l’on rajoute le faible dynamisme des recettes fiscales attribuées aux départements et la baisse des dotations d’Etat (24% des recettes de fonctionnement, une quinzaine de milliards dont 4 devraient disparaître à l’horizon 2017), la contrainte qui s’impose aux départements va devenir particulièrement forte. Les solutions pour faire face sont de plusieurs ordres ; baisse de l’investissement (déjà engagé), maîtrise des frais de fonctionnement (21% du fonctionnement qui restaient encore dynamique en 2013), recours à la tarification de certains services comme dans le domaine du transport.

Jean-Luc Boeuf : Trois compétences représentent les neuf dixièmes des interventions des départements : les routes, les collèges et l'action sociale.

Pour ce qui est des routes, rappelons que le réseau cumulé départemental français représente l'équivalent de la distance de la terre à la lune, soit plus de 380.000 kilomètres. Les quatre départements qui dépensent le plus (par habitant) sont la Haute-Corse, la Lozère, les Alpes de Haute Provence et l'Indre. Suivent ensuite la Creuse, les Hautes-Pyrénées, le Jura et le Cantal. Il s'agit de départements ruraux et/ou montagneux, paramètres peu corrélés à la couleur politique du président. Naturellement, sur le terrain, tel ou tel président aura à cœur de prioriser les interventions dans tel ou tel secteur.

Pour ce qui est des 7000 collèges répartis sur le territoire, les quatre départements qui engagent le plus de crédits par habitant sont la Seine saint Denis, les Hauts de Seine, les Landes et les Bouches du Rhône. Suivent le Lot, le Val de Marne, le Pas de Calais et le Nord. On l'aura compris : ce sont les départements très peuplés et les départements ruraux qui dépensent le plus. Là encore, le lien entre les dépenses réalisées pour les collèges et le clivage droite - gauche n'est pas évident !

Pour ce qui est des actions sociales, un classement par habitant n'aurait qu'un intérêt limité, pour la simple et unique raison que les compétences ont trait à l'enfance, au revenu de solidarité active (RSA), au handicap, à l'allocation personnalisée d'autonomie (APA). La spécificité des départements fait apparaître les départements vieillissants, ceux dont le nombre d'allocataires du RSA explose. Mais il convient d'insister sur le fait que, dans le domaine social, les départements sont dans l'obligation de payer toutes les allocations, des lors que les conditions sont remplies. Dès lors la couleur politique de l'exécutif ne change rien !

En termes de gestion concrète, la donne a changé depuis 2008. Depuis la crise financière, les trois sources de recettes sont malmenées : les dotations baissent, l'utilisation du levier fiscal est rendue plus difficile et l'accès à l'emprunt est contraint. Ceci est valable pour toutes les collectivités.

Les clivages droite - gauche vont se retrouver en quelques moments clés de la vie du département, notamment lors du vote du budget. En effet, dans les interventions liminaires, majorité et opposition traduisent dans les joutes orales leurs différends. La question fiscale est également un élément clivant entre la droite et la gauche, même au plan départemental. Néanmoins, en raison de la forte baisse des dotations, le discours sur la "fiscalité zéro hausse" a eu moins d'écho que lors des municipales de 2014, y compris chez les candidats de droite. Deux autres sujets sont l'occasion de clivages, le rapport à l'enseignement privé et les subventions aux associations. Pour l'enseignement privé, les possibilités d'action sont limitées par la loi Falloux. Dans l'autre sens, un exécutif départemental doit composer avec son territoire, son histoire dont la place de l'enseignement privé fait partie.

En définitive, si les clivages traditionnels entre la droite et la gauche se retrouvent lors de la période des élections, et à l'occasion des débats budgétaires, les différences en termes de gestion concrète se focalisent sur des sujets symboliques. Le mot qui vient à l'esprit de certains analystes concerne aujourd'hui ce qu'il adviendrait si le Front National gagnait un conseil départemental. La réponse est simple. Parti républicain acceptant les règles du jeu électoral ayant concouru aux élections en présentant des candidats, il serait amené à gérer les compétences définies par la Loi. 

Tous les départements ont officiellement les mêmes prérogatives, centrées principalement sur l’aide sociale, la gestion des routes départementales et des collèges. Mais, étant donné leur caractère très différent, leurs enjeux et la réalité de leur action sont-ils comparables ?

Jacques Lévy : C’est un problème typique de l’architecture territoriale de la France. Il y a une mythologie de l’uniformité. Ne pas reconnaître que la Seine-Saint-Denis n’est pas la même chose que le Cantal aboutit à faire des choses probablement peu profitables, tant pour la Seine-Saint-Denis que pour le Cantal, puisqu’on n’identifie pas le type d’enjeu auquel l’organisation territoriale est la réponse. On ne raisonne pas en termes de problème, mais de grille abstraite.

Il faut noter qu’il y avait tout de même un point commun entre beaucoup de départements : l’inégalité entre les électeurs. Le découpage en cantons avait peu évolué depuis la IIIe république, alors qu’ils étaient devenus très inégaux démographiquement. Les électeurs des zones urbaines, qui ont vu leur population augmenter, avaient donc beaucoup moins de poids que ceux des zones périurbaines. C’est le petit évènement de cette élection : à cause du système binominal, on a divisé le nombre de cantons par deux, et on a donc appliqué un principe de découpage des cantons un peu plus compatible avec la démocratie.

Cette situation avait beaucoup de conséquences, car on prélevait sur les parties les plus urbanisées du département des impôts qu’on allait ensuite distribuer à des communes qui avaient plus de poids électoral et étaient en position de négocier des subventions auprès du Conseil général – c’était le système clientéliste classique du département et un moyen d’avantager en pratique les périphéries urbaines, qui pouvaient définir leur politique propre avec l’argent des villes. C’est ce qu’on a vu à Toulouse pendant des décennies : la droite tenait la ville et avait une politique favorable aux transports publics et la gauche tenait le péri-urbain et avait une politique favorable aux autoroutes.

Ce modèle clientéliste va maintenant avoir plus de mal à se perpétuer. On verra donc peut-être mieux la diversité des enjeux réels.

Les compétences des départements étant, on vient de la voir, relativement limitées, sur quoi les électeurs doivent-il porter leur regard pour faire leur choix ?

Jacques Lévy : C’est une question difficile, dans la mesure où les domaines de compétence du département ne sont pas profilés de telle sorte qu’ils puissent créer des synergies dans le sens du développement. Rappelons que l’histoire du département comprend deux phases : lors de leur création, en 1791, ils étaient  comparables à des régions : on était dans une constitution fédéraliste, avec l’idée de créer des espaces qui s’auto-administrent clairement. Après la IIIe République, le rôle du département a changé et il est devenu un point d’appui pour compenser les effets de l’industrialisation et de l’urbanisation. C’était un moyen de permettre à des communes qui avaient perdu l’essentiel de leurs habitants, qui n’avaient plus la ressource agricole comme moyen de survie, d’être soutenues par les zones urbanisées. C’est pour cela que le système de compétences des départements est aujourd’hui si bizarre : il n’est pas centré sur le projet, mais sur la redistribution.

Parfois les départements font des choses intéressantes, mais leur histoire et leur organisation actuelle ne se prêtent pas à en faire un projet de développement. Ce n’est ni le bon périmètre, ni les bonnes compétences.

Jean-Luc Bœuf : Rappelons que le conseil départemental a été créé au début de la Révolution Française. Il s’agissait alors de mettre en place "80 petits roquets plutôt que 15 gros chiens-loups". On l’aura compris : les départements devaient se substituer aux provinces et permettre un contrôle par l’Etat des territoires.

Faisons une proposition simple : que le conseil départemental devienne le représentant des intercommunalités. On ferait ainsi l'économie d'élections difficilement lisibles pour le citoyen. On rendrait possible la maitrise de la fiscalité par le contribuable. L'usager s'y retrouverait par un nombre plus faible d'interlocuteurs élus. On ferait aussi respirer l'électeur, le mobilisant pour les seuls scrutins lisibles : les municipales, les législatives et les présidentielles.

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