Avec ou sans nouveaux ministres, qui des politiques ou de l’administration dirigent vraiment la France actuellement ?<!-- --> | Atlantico.fr
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Alors que plusieurs postes restent vacants (Industrie, Comptes publics, Transports, Logement), Gabriel Attal et Emmanuel Macron n’ont toujours pas réussi à finaliser la composition du gouvernement dans sa totalité depuis 21 jours.
Alors que plusieurs postes restent vacants (Industrie, Comptes publics, Transports, Logement), Gabriel Attal et Emmanuel Macron n’ont toujours pas réussi à finaliser la composition du gouvernement dans sa totalité depuis 21 jours.
©Ludovic MARIN / POOL / AFP

Ministères cherchent titulaires désespérement

Une quinzaine de ministres délégués et secrétaires d'Etat doivent être nommés pour compléter le gouvernement Attal.

Jean Petaux

Jean Petaux

Jean Petaux, docteur habilité à diriger des recherches en science politique, a enseigné et a été pendant 31 ans membre de l’équipe de direction de Sciences Po Bordeaux, jusqu’au 1er janvier 2022, établissement dont il est lui-même diplômé (1978).

Auteur d’une quinzaine d’ouvrages, son dernier livre, en librairie le 9 septembre 2022, est intitulé : « L’Appel du 18 juin 1940. Usages politiques d’un mythe ». Il est publié aux éditions Le Bord de l’Eau dans la collection « Territoires du politique » qu’il dirige.

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Atlantico : Une quinzaine de ministres délégués et secrétaires d'Etat doivent être nommés pour compléter le gouvernement Attal. La composition du gouvernement n’a toujours pas été dévoilée mardi soir. Alors que plusieurs postes restent vacants (Industrie, Comptes publics, Transports, Logement), Gabriel Attal et Emmanuel Macron n’ont toujours pas réussi à finaliser la composition du gouvernement dans sa totalité depuis 21 jours. Qu’est-ce que cela dit de la majorité et de son incapacité à gouverner ?

Jean Petaux : Je ne dirai pas que l’incapacité à gouverner se mesure à l’aune de la difficulté à composer un gouvernement, ou, plus précisément, à « finaliser la composition d’un gouvernement ». Sans vouloir paraitre « old style », il faut souligner le fait que cette pratique de l’annonce d’une nouvelle équipe en « deux temps » est totalement inepte politiquement et institutionnellement. J’ai déjà eu l’occasion de dire combien la pratique consistant à laisser « fuiter » la composition de la « première équipe » à coups de rumeurs, de communiqués de la part des nommés eux-mêmes, comme on l’a vu pour les deux gouvernements Borne de 2022 et pour le gouvernement Attal récemment, est le modèle-même de la « pseudo-nouveauté » frappée au coin de la stupidité. On voudrait dévaloriser la fonction ministérielle qu’on ne s’y prendrait pas autrement… De là à penser que le but recherché est là, il n’y a qu’un pas.

Ce qui est nouveau, au moins depuis, dix à douze ans désormais, c’est l’importance de la la HATVP (la Haute Autorité pour la Transparence de la Vie Publique) créée suite à la loi di 11 octobre 2013 et entrée en vigueur le 19 décembre 2013 suite à la pitoyable affaire Cahuzac. Depuis la création de ce « gendarme », toutes les nominations de « politiques » ou de « hauts fonctionnaires » à des emplois ou à des fonctions de décision ou tout simplement « officielles » passent au crible de la HATVP. Cela ralentit forcément la procédure, même si cela n’empêche pas certains ministres de se faire rattraper « par la patrouille » après leur nomination. En tous les cas, ce n’est la faute ni du Président de la République ni du Premier ministre Gabriel Attal si la nomination de leurs « fidèles serviteurs » est entravée par le cours de la justice de notre pays….D’autant qu’il est loisible de rappeler à ces personnalités pressenties pour occuper un fauteuil ministériel que « nul n’est sensé ignorer la loi »…

Alors que le gouvernement voulait un gouvernement resserré, en quoi le fait de ne pas changer les têtes des administrations centrales nuit au contrôle et à l’efficacité de l’action politique (certaines administrations n’étant pas totalement sur la même ligne que la politique gouvernementale) ?

Emmanuel Macron avait, au début de son premier quinquennat, laissé planer l’idée d’un « grand coup de balais » dans les emplois de la haute fonction publique française. Une sorte de « spoil system » (« système des dépouilles ») que les Américains connaissent bien. Cette intention est vraiment une « fausse bonne idée ». C’est le type-même de la proposition d’appliquer une pratique importée d’Outre-Atlantique, histoire de faire « moderne », « managerial » et « efficace ». On a les référence qu’on peut… ou qu’on mérite ! En réalité, cela va à l’encontre du statut de la haute fonction publique et cela contrevient fondamentalement aux règles de la loyauté qui s’impose aux hauts fonctionnaires envers les élus les plus récents et à celles du respect que les politiques qui ne font que passer (les rames des trains) envers ceux qui les assistent et constituent leurs « bras armés », les hauts fonctionnaires (les « quais » et les « gares » qui voient passer les « trains » et sans lesquels ceux-ci seraient inopérants).

En Mai 1981, lors de la « grand alternance », les socialistes se sont crus obligés d’agiter le chiffon (rose) du « grand remplacement » des hauts fonctionnaires, forcément de droite, puisque celle-ci était au pouvoir depuis 23 ans, par des pures produits du PS. On se souvient de la diatribe de feu Quilès à la tribune du congrès national du PS à Valence, à l’automne 1981, qui gagna, de la part du « Palmipède » (« Le Canard enchainé » selon de Gaulle) à l’occasion de cette « mâle saillie » le doux surnom de «  Robespaul » (Paul étant son prénom) : « Il ne suffit pas de vouloir faire tomber des têtes (de hauts fonctionnaires) il faut dire lesquelles et le faire sans tarder !... » . C’était idiot, mais cela a au moins donné le sentiment aux militants de la base du PS, que le gouvernement « faisait le job » et « épurait les traitres ». On sait ce qu’il en advint…  Un « pet de lapin sur une toile cirée ». Quilès y gagna des galons de « Torquemada » du socialisme pur et dur. Ce qui ne manquait pas de sel quand on connaissait le « produit » : Polytechnicien, X-Mines, ingénieur dans les pétroles (Shell). En 1983, Séguéla lui avait trouvé un slogan ridicule pour la conquête de la mairie de Paris, face à un Chirac « survitaminé » : « Quiles tendresse ». Ce que les militants du RPR s’empressèrent de « détourner » en collant à la place de « tendresse » des bandeaux avec le délicat syntagme : « mes fesses »… Finalement, Paul Quilès choisit de quitter Paris et de se faire « parachuter » dans la 1ère circonscription du Tarn,  celle de Jean Jaurès… Sans commentaires !...

En réalité, les hauts fonctionnaires sont, la plupart du temps, d’une grande loyauté envers l’autorité politique élue et investie de la légitimité démocratique. Ils attendent souvent des ordres qui ne viennent pas… C’est ce qui peut donner le sentiment qu’ils gouvernent en lieu et place des politiques. Quand c’est le cas, bien souvent la cause est simple : le niveau politique, par manque de courage, par paresse aussi, par petits calculs cyniques, par procrastination, n’osent pas taper du point sur la table et faire connaître son autorité… ou sa volonté. Pas étonnant alors que la haute administration occupe les espaces laissés libres par les politiques défaillants.

Pressenti pour faire son retour au gouvernement, François Bayrou rencontrera Gabriel Attal ce mercredi. Le remaniement pourrait-il permettre à Emmanuel Macron de « recentrer » sa majorité et de redistribuer des portefeuilles aux différentes composantes de la majorité qui avaient été « délaissées » lors des précédents remaniements (le MoDem et Horizons) ? 

On imagine mal un François Bayrou, à la tête de la formation politique la plus importante parmi les alliés du parti présidentiel, « faiseur de roi » en février 2007, trois fois candidats à l’élection présidentielle, revenir au gouvernement avec un poste de ministre délégué ou de secrétaire d’Etat. Il ne peut retrouver une place hebdomadaire autour de la table du Conseil des ministres (ce que ne connaitront pas les secrétaires d’Etat qui seront nommés dans les prochaines heures) qu’en étant un « ministre plein » selon la terminologie consacrée. Or il semble bien que tous les postes soient dotés. Il reste, bien entendu, l’hypothèse AOC (Amélie Oudéa-Castéra) qui laisserait son fauteuil rue de Grenelle à celui qui connait bien ce poste pour y avoir « régné » pendant quatre années, de 1993 à 1995. On lira, avec gourmandise, ce qu’Alain Juppé dit de François Bayrou ministre, dans ses « Mémoires », à l’été 2023. Il se trouve qu’il était « son » premier ministre entre 1995 et 1997.

Il est certain que la décision de justice tant attendue par François Bayrou est « levée d’hypothèque » bénie des dieux pour ce professionnel de la politique qu’est le maire de Pau aujourd’hui. De là à penser qu’il « lâchera les chevaux » pour obtenir un vague portefeuille ministériel, sous l’autorité d’un Premier ministre qui n’était pas le sien dans les différentes configurations envisagées lors du départ d’Elisabeth Borne, il y a loin de la coupe aux lèvres…

Il n’en reste pas moins qu’Emmanuel Macron et Gabriel Attal seraient sans doute « inspirés » en confiant à quelques « seconds couteaux » du MoDem ou d’Horizons quelques portefeuilles permettant ainsi d’allouer des ressources politiques alors qu’une non-distribution « large » engendrerait, un peu plus, frustrations et potentiels divorces…

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