Covid-19 : Augmenter le nombre de lits en réanimation aurait-il évité les confinements ? <!-- --> | Atlantico.fr
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Des membres du personnel soignant dans les couloirs d'un hôpital lors de la pandémie de Covid-19.
Des membres du personnel soignant dans les couloirs d'un hôpital lors de la pandémie de Covid-19.
©MARTIN BUREAU / AFP

Bonnes feuilles

Vincent Bordenave publie "Covid-19 Vérités et légendes" aux éditions Perrin. La Covid-19, depuis un an et demi, bouleverse notre vie dans tous les domaines : travail, famille, santé, éducation. La pandémie sape la légitimité de tous les pouvoirs (politique, scientifique, médiatique). La crise sanitaire remet en cause les dogmes économiques (la dette publique, l'Etat-providence). Extrait 1/2.

Vincent Bordenave

Vincent Bordenave

Vincent Bordenave est journaliste au service « Sciences » du Figaro. Il y suit la pandémie depuis son apparition.

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Au sommet de l’épidémie de la première vague, au printemps 2020, un peu moins de 7 200 malades étaient pris en charge dans un service de soins intensifs. Ils étaient 4 900 au pic de la deuxième vague, en novembre  2020, et près de 6 000 en avril 2021, à celui de la troisième vague. Au total, plus 75 000 Français ont été admis dans un de ces services entre mars  2020 et avril  2021. L’occupation des lits en soins intensifs a été le critère qui a présidé aux choix du pouvoir. Dans son allocution du 28 octobre 2020, où il annonçait un reconfinement jusqu’au 1er décembre, Emmanuel Macron assurait que « quoi qu’il arrive », le pays compterait 9 000  malades dans ces services dans les quinze jours à venir. Pour répondre à cette urgence, il portait dans la foulée à 10 000 lits de ce type la capacité d’accueil des hôpitaux. Cette mesure avait déjà été prise en mars 2020, et elle le sera de nouveau au même mois de l’année suivante. Doit-on en déduire qu’en maintenant suffisamment élevées nos capacités d’accueil dans les services de soins intensifs –  le ministre de la Santé Olivier Véran s’était engagé sur 12 000 lits de réanimation – la France aurait pu se passer de confinement ?

Avant de répondre à cette question, examinons les trois types d’unités de soins critiques : les réanimations, les unités de soins continus et les unités de soins intensifs. Leur point commun est de prodiguer les soins vingt-quatre heures sur vingt-quatre. Mais seules les réanimations, capables de procéder à de la ventilation mécanique invasive, peuvent prendre en charge les cas les plus graves.

Dans ces services, aucun nouveau lit pérenne de réanimation n’est venu s’ajouter aux 5 130 lits existants, selon une enquête de novembre  2020 du syndicat des médecins réanimateurs. Il n’a donc jamais été question de recruter du personnel pour ouvrir de nouveaux lits, mais, plus prosaïquement, d’étendre les capacités de réanimation en transformant des lits de surveillance continue et des lits de réveil équipés d’arrivée en oxygène – et gérés par des médecins et infirmiers ad hoc.

C’est un constat assez partagé qu’il n’y a pas eu de volonté d’anticiper les besoins. Dans une interview au Figaro, le médecin chef du service de médecine intensive-réanimation à l’hôpital Raymond-Poincaré de Garches (Hauts-de-Seine) expliquait pourtant que 1 000 lits auraient pu être ouverts dès le début de la crise. Supprimés onze ans plus tôt dans le cadre de restrictions budgétaires, ils auraient pu être redéployés, puisque les locaux et les équipements étaient toujours là. À condition de trouver le personnel dédié permettant de respecter les ratios imposés à cette spécialité médicale : deux infirmiers pour cinq patients, un aide-soignant pour quatre, de jour comme de nuit. C’est là que le bât blesse. Car la formation des personnels prend des années, souligne le professeur Bertrand Dureuil, président du conseil national professionnel d’anesthésie-réanimation, et les candidats sont moins nombreux du fait de la perte d’attractivité de ces métiers.

« À aucun moment un plan n’a été lancé pour recruter des élèves infirmiers et des médecins à la retraite pendant l’été 2020, regrette Laurent Gerbaud, du pôle de santé publique au CHU de Clermont-Ferrand. Dans le même ordre d’idée, rien n’a été fait pour équiper les Ehpad de respirateurs et les doter d’infirmiers afin d’éviter de les envoyer en soins intensifs. »

Face à ces difficultés, également rencontrées chez notre voisin allemand, l’exécutif s’est borné à faire avec les moyens du bord, en recourant à la technique des vases communicants : transformer les lits de surveillance continue et les lits de réveil en lits de réanimation. Cette méthode a permis, lors de la première vague, d’atteindre les fameuses 10 000 places, soit le double des capacités initiales. Mais au détriment des autres malades, qui ont vu leurs opérations reportées.

Au fond, ouvrir davantage de lits aurait-il constitué la bonne solution ? De nombreux médecins répondent par la négative, car cela n’aurait pas empêché le virus de se diffuser. Ils plaident plutôt en faveur d’un système « élastique », capable de s’adapter, et d’abord, en amont, pour la prévention, afin de briser les chaînes de contamination. Car au-delà du problème des places, c’est la lourdeur d’un séjour en réanimation ou en soins critiques qui doit être examinée. Celui-ci est long – plus d’un mois pour certains –, prolongé par des séjours dans des services de « soins de suite » (SSR : service de soins de suite et de réadaptation), voire dans des structures spécialisées qui accueillent en temps normal des victimes d’AVC et d’accidents de la route, et sont chargées ici de « remettre sur pied » les malades moins complexes.

Tous les services sont en effet confrontés aux multiples déficiences des patients : respiratoires, musculaires, neurologiques (paralysie, perte de mémoire, troubles de la déglutition). Selon une étude du British Medical Journal, un tiers des malades ayant souffert de formes sévères de Covid-19 ont été réhospitalisés et 10 % sont morts, 140 jours en moyenne après leur sortie.

En outre, quelles que soient les capacités d’accueil des services de soins intensifs, celles-ci auraient fini par être saturées. Un rapide calcul bute sur l’impossibilité de prendre en charge les malades du Covid s’il n’y avait eu ni confinement ni gestes barrières. Il a fallu 30 000  morts et 15 000 personnes admises en réanimation pour atteindre 5 % d’immunité collective pendant la première vague. En appliquant ces mêmes taux, on arrive à 300 000 morts et 150 000 admissions en soins intensifs pour atteindre 50 % d’immunité collective sans vaccination. Ces chiffres ont beau être impressionnants, ils sont inférieurs à ceux publiés par l’Imperial College de Londres : sans le premier confinement, la France aurait déploré 690 000 morts en plus.

Aucun système hospitalier ne peut accueillir une telle masse de malades. D’autant que ces calculs ne prennent pas en compte les accidentés de la route et les grands blessés. Pas plus qu’ils ne mesurent l’épuisement des soignants face à l’accumulation du nombre de morts. En temps normal, le taux de mortalité dans un service de réanimation est de l’ordre de 18 %. Depuis le début de l’épidémie, il dépasse les 50 %. « Quand on intube quelqu’un, en temps normal, on sait qu’on a de fortes chances de lui sauver la vie. Là, il y a une chance sur deux pour qu’il ne se réveille jamais », témoignait ainsi Xavier Monnet dans Le Figaro.

Extrait du livre de Vincent Bordenave, "Covid-19, Vérités et légendes", publié aux éditions Perrin

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