Augmentation de 41% des euthanasies en 4 ans : les effroyables dérives provoquées par la législation sur la mort assistée en Belgique<!-- --> | Atlantico.fr
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En Belgique, des patients atteints de démence, de troubles psychologiques, d'Alzheimer, de dépression, ont été euthanasiés. Les chiffres sont effrayants : entre 2014 et 2015, 124 individus ont été euthanasiés pour des troubles mentaux notamment.
En Belgique, des patients atteints de démence, de troubles psychologiques, d'Alzheimer, de dépression, ont été euthanasiés. Les chiffres sont effrayants : entre 2014 et 2015, 124 individus ont été euthanasiés pour des troubles mentaux notamment.
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Inquiétant

En deux ans, ce sont près de 4000 individus qui ont eu recours à l'euthanasie en Belgique, dont 124 en raison de "troubles comportementaux, mentaux ou psychologiques".

Carine Brochier

Carine Brochier

Carine Brochier est économiste de formation, mais s'est très vite positionnée sur les questions de bioéthique. Depuis dix ans, elle travaille au sein de l'Institut Européen de Bioéthique basé à Bruxelles. Elle anime débats, conférences et est l'auteur de nombreux rapports, dont Euthanasie : 10 ans d'application de la loi en Belgique.

Elle anime également quelques émissions dans les médias belges.

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Atlantico : Selon la note de Synthèse de l’Institut Européen de Bioéthique, basée sur le Rapport 2016 de la Commission d’Évaluation et de contrôle de l’euthanasie en Belgique, les euthanasies sont en hausse de 41% sur les 4 dernières années en Belgique. Les motifs invoqués en cas d'euthanasie vous semblent-ils toujours légitimes ? Quelles sont les principales dérives à craindre ? 

Carine Brochier : Ces chiffres font part des euthanasies officielles. Il est bien sûr impossible de chiffrer le nombre réel de personnes euthanasiées et pour lesquelles, contrairement à ce que la loi de 2002 exige, le médecin n’aurait pas rempli le formulaire de déclaration. Cette précision est importante dans la mesure où, de leur aveu même, un certain nombre de médecins prennent parfois des libertés avec la loi. Ces chiffres ne présentent qu'une partie de la vérité sur l'euthanasie en Belgique.

Si l'on accepte malgré tout de prendre pour base de travail les chiffres contenus dans le Rapport de la Commission, deux enseignements majeurs peuvent être tirés.

Premièrement, un grand nombre des « affections médicales » fréquemment invoquées pour demander l'euthanasie sont difficiles à circonscrire. 

Je ne prendrais qu'un exemple en vous parlant des « polypathologies », qui représentent une part non négligeable du total des euthanasies au cours de ces deux dernières années. (385 personnes)

En pratique, il s'agit de situations où une personne, parce qu'elle vieillit notamment, est en proie à plusieurs fragilités physiques dues au grand âge et, qui, se cumulant, la font souffrir et la rendent dépendante de son entourage. On peut par exemple penser à l'ostéoporose, à une baisse de la capacité auditive ou à une vue déclinante. Ces affections médicales sont courantes, elles font partie de la vie lorsque le corps vieillit. Nous connaissons tous dans notre entourage proche des personnes âgées qui, subitement ou lentement, voient leur santé se dégrader. 

Dans un certain nombre de cas, cette nouvelle donne rend la personne qui la subit de plus en plus dépendante de son entourage et de son environnement domestique. Avec le temps, un certain isolement peut advenir : les contacts sociaux s'amenuisent graduellement, les proches et la famille ne se rendent plus aussi souvent qu'ils ne le voudraient à son chevet. A la souffrance physique s'ajoute alors la solitude. 

Combinées, souffrance physique et psychique peuvent engendrer une volonté d'en finir. C'est ce que le Rapport officiel de la Commission euthanasie mentionne sous le terme « désespoir ». 

Vous constatez une évolution vers une forme de banalisation de l’euthanasie depuis 14 ans ? 

C'est très interpellant car, originellement, l'euthanasie ne devait se pratiquer qu'à titre exceptionnel, dans des conditions que le législateur a voulues très strictes. Mais à l’usage, on remarque que les termes utilisés par la loi permettent une interprétation de plus en plus large parce que, au départ, ils étaient flous : on parle de « souffrance insupportable, continue et inapaisable », de « fin de vie prévue à brève échéance », etc. Ce flou législatif, la Commission d'évaluation elle-même le reconnaît lorsqu'elle souligne à quel point la souffrance est une notion éminemment personnelle et laisse le patient seul juge de son intensité et de déterminer si, à ses yeux, elle est ou non supportable.

Nous constatons aujourd'hui à quel point nous ne parvenons pas à contrôler les « strictes conditions » d'application de la loi. C'est aussi ce qui explique que des demandes autrefois jugées comme ne pouvant en aucun cas être rencontrées soient aujourd'hui avalisées par la Commission chargée du contrôle de la loi comme  par bon nombre de médecins et la majorité des citoyens belges. 

En un mot, ce qui peut et doit être dénoncé avec force, c'est la banalisation de l'acte euthanasique. Cette loi, qui contenait en elle les germes de la dérive en utilisant pour conditions des qualificatifs éminemment flous ou subjectifs, nous rapproche de plus en plus d'une forme d'euthanasie à la demande. Ne dit-on d'ailleurs pas que pas que l’offre crée la demande ? 

Les chiffres montrent aussi que 63% des personnes euthanasiées ont plus de 70 ans. 

Lorsqu'une personne est atteinte de polypathologies, elle est en fait dans une situation couramment rencontrée par bon nombre de nos aînés : le corps vieillit, les ennuis de santé s'accumulent, la dépendance aux autres se fait plus grande et, si on n'y prend garde, le sentiment de solitude et la perte de sens grandissent également. 

Face à cela, au nom d'un certain désespoir se conjuguant aux affections médicales rencontrées par la personne qui en souffre, l'euthanasie est entrevue comme une piste de solution. Au départ d'une conséquence naturelle de l'état de vieillesse où le corps exprime ses limites, l'euthanasie est présentée comme une possible réponse. Se pose ici l’urgence de l’attention et de l'accompagnement que nous accordons à nos parents âgés, mais aussi et plus globalement de la politique que nous souhaitons pour intégrer, réellement et de façon prioritaire, nos aînés dans notre quotidien, en multipliant la création de structures d’accueil adaptées aux personnes qui ne sont pas forcément en fin de vie mais ont besoin de liens sociaux et de notre affection.

Vous parliez d’un deuxième point à relever dans le Rapport de la Commission. Serait-ce le nombre d'euthanasies pratiquées en raison de troubles d'ordre psychologique, et donc sur des personnes mentalement fragiles, qui lui aussi est en augmentation ?

En effet, en deux ans, 124 personnes souffrant de « troubles mentaux et de comportement » (dépression, Alzheimer, démence, etc.) ont été euthanasiées. Cela signifie que, malgré leurs facultés mentales altérées, des médecins ont accédé à leur demande. 

La presse internationale, et notamment le Washington Post en octobre dernier, n’a pas manqué de relayer nombre d'opinions d’effarement face à cette pratique. L'interrogation pouvait être résumée par cette question : « que faites-vous donc en Belgique ? ». Certaines associations de psychiatres belges et mondiales se sont mobilisées pour réagir elles aussi. Un groupe de plus de 80 personnalités s’est constitué en Belgique pour pousser un cri d’alarme. http://www.ieb-eib.org/fr/pdf/20150916.pdf

Pourquoi ? Car ces personnes malades de troubles mentaux et de comportement n'étaient pas en phase terminale, loin de là. Mais certains médecins ont jugé qu’ils avaient tout essayé et, qu’au nom de l'autonomie du patient, ils pouvaient accéder à leur demande et provoquer ainsi leur mort.

Nous ne pouvons nier la grande souffrance de toutes ces personnes et le désarroi de leur famille. 

Toutefois, cela ne pose-t-il pas des questions fondamentales ? En interrogeant notre vivre ensemble, pouvons-nous accepter, qu’au nom de l’autonomie toute puissante d’une personne affaiblie et fragile, nous devions démissionner et « obéir » à une demande de mort ? L’euthanasie ne règle-t-elle finalement pas notre incapacité à durer dans le soin aux personnes ?

Par ailleurs, il est bon de ne pas oublier que l'acte euthanasique ne concerne pas que la personne à l'origine de la demande et qui souffre. En réalité, elle concerne également sa famille et l'ensemble du corps médical. À l'Institut Européen de Bioéthique, nous entendons les témoignages de soignants expliquant comment la famille, parfois épuisée, en vient à demander l'euthanasie pour un proche devenu dépendant. Cela sort bien sûr complètement du cadre légal. Nous entendons régulièrement les réactions de médecins qui ne vont pas bien. Nous écoutons ces équipes soignantes exprimer leur mal-être lorsqu’elles ne souhaitent pas pratiquer l'euthanasie mais peinent à résister à la pression. De même, oser aujourd’hui exprimer le fait que l’euthanasie est une mauvaise réponse à une bonne question, est très mal venu. Attendez de voir les commentaires ci-dessous…N’est-ce pas, là aussi, une forme de pression sociétale ? 

Oui, la mentalité euthanasique est réelle.

Outre les seules dérives abordées, n'avez-vous pas peur du développement d'un business du suicide ? Notamment avec la venue d'étrangers en Belgique ou en Suisse pour se suicider, un acte qui coûte cher...

Jusqu'à présent cela ne semble pas être un phénomène répandu en Belgique. En un sens, et pour le dire de manière un brin corrosive, nous avons assez à faire avec les Belges…

Venir de l'étranger en Belgique pour se faire euthanasier n'est pas encore d'actualité. Par contre, il y a d'autres destinations, comme la Suisse effectivement, où des sociétés commerciales en font un business. Le risque existe qu’un jour, ce phénomène touche aussi la Belgique. Un médecin qui pratique l’euthanasie dans une structure hospitalière bruxelloise disait à ce sujet avoir reçu en consultation plusieurs Français, venus bagages à la main se renseigner sur une possible euthanasie sur notre territoire. Il va de soi qu'il en est ressorti quelque peu choqué. Nous n'en sommes donc pas encore au tourisme euthanasique, mais il faut rester vigilants.

Ces chiffres reflètent-ils la réalité quant au nombre total de personnes en Belgique qui ont été euthanasiées ? 

Comme je l’ai déjà mentionné, ces chiffres sont ceux des euthanasies officielles. Celles pour lesquelles le médecin a effectivement rempli le formulaire de déclaration et l’a renvoyé à la Commission endéans les 4 jours qui suivent le geste euthanasique. Ce n'est pas toujours le cas. J’ai ainsi été surprise d’entendre récemment un médecin affirmer haut et fort, devant un parterre d’invités, ne pas avoir besoin d’une loi pour « euthanasier les personnes qui le demandent ». 

Ce qui se passe dans la chambre du patient dans le colloque singulier entre lui et son médecin, est de l'ordre du secret. Et heureusement. C’est pourquoi, nous ne pourrons jamais mettre un chiffre sur l'ensemble des gestes qui ont provoqué la mort de certaines personnes, à leur demande ou non. Nous ne pouvons pas chiffrer la clandestinité. Mais face à la banalisation et l’acceptation de l’euthanasie largement relayée par les mouvements pro-euthanasie, leurs relais politiques et médiatiques, il semble se développer chez certains soignants - pas tous heureusement ! - une forme « d’élasticité » des critères pour accéder à la demande d’euthanasie. Se développe dans le même temps une forme d’impunité chez certains puisque, en 14 ans d'existence de la loi, sur 12.726 euthanasies officielles, la Commission n’a transmis à la Justice qu’un seul dossier pour lequel elle a estimé que les conditions posées par la loi n'auraient pas été remplies.

Que pensez-vous de la manière dont la question est posée dans le débat public ?

Je vois clairement une chose : il nous faut demeurer attentifs à ne pas faire de l'euthanasie un moyen de régler les problèmes structurels auxquels est confrontée notre société : qu'il s'agisse de la solitude, de l’accueil des personnes poly-fragilisées, de l’accompagnement des personnes âgées ou handicapées, du suivi de celles atteintes de démence, etc.

C'est une décision politique. Mais encore faut-il que les citoyens demandent à nos gouvernants cet effort de prise en charge. L’euthanasie n'est pas une affaire individuelle : elle a un impact sur notre vivre ensemble.

Quand vous voyez comment les structures de soins palliatifs sont cadenassées dans des budgets qui n’évoluent pas ou quand vous écoutez ces équipes de soins à domicile vous dire combien elles sont étranglées par le manque de moyens mis à leur disposition, vous vous dites que si les citoyens pouvaient prendre la pleine mesure de la situation, ils se mobiliseraient pour soutenir les soignants et réaffirmer l’importance d'un accompagnement digne et qualifié dans la gestion de toute souffrance, qu’elle soit physique, psychologique ou existentielle. Il nous faut refuser l’euthanasie comme étant une solution à nos manques de moyens financiers.

Et aussi sans doute à notre désintéressement de la personne âgée qu’on laisse en dehors de la Vie, avec un grand « V ».

Ce n’est pas exagéré de dire cela. Pour preuve, il y a un an, un auditeur dont la maman était « placée » dans une résidence pour personnes âgées atteinte de la maladie d’Alzheimer, a exprimé à une heure de grande écoute, le fait qu’il fallait autoriser son euthanasie, car « notre mère est en train de bouffer notre héritage » !

C’est vrai que le soin approprié demande des moyens financiers important. Masi il faut aussi voir que ces structures sont créatrices d’emplois. Déjà des structures de qualité existent et comptent de nombreux soignants qualifiés et dévoués faisant de l'accompagnement des personnes en souffrance une véritable vocation. Sont-elles assez soutenues ? 

Mais pour arriver à cela, il est essentiel de d'abord sortir d'une idéologie qui voudrait que l'individu soit seul maître de sa vie et seul au monde. Il y a un impact sociétal dans le cadre d'une mort provoquée. Provoquer la mort d’une personne malade, seule, fragile et vulnérable, est un acte universellement blessant pour toute société. Nous esquivons la question en estimant que l'individu qui souhaite l'euthanasie est maître de sa vie et nous occultons consciemment ou inconsciemment les suites que cela engendre, le syndrome post-euthanasique pour les « survivants ». 

Globalement, l’euthanasie ne nous fait pas du bien. C’est pourquoi, il est vital et urgent d’oser voir la réalité, loin de tout combat idéologique, se réappropriant une réflexion en raison en vue du bien commun aujourd’hui et pour demain.  

Alors enfin, face aux cancers, aux polypathologies, à la démence, aux dépressions, au désespoir et à la solitude, pourra être proposée une autre solution que celle de provoquer la mort.

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