Au Moyen-Orient : la guerre en dentelle<!-- --> | Atlantico.fr
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Des automobilistes passent devant un panneau publicitaire représentant des missiles iraniens à Téhéran le 20 avril 2024.
Des automobilistes passent devant un panneau publicitaire représentant des missiles iraniens à Téhéran le 20 avril 2024.
©ATTA KENARE / AFP

Escalade des tensions

Les tensions actuelles au Moyen-Orient entre l'Iran et Israël interrogent sur les potentielles conséquences sur le plan militaire.

Léo Keller

Léo Keller

Léo Keller est directeur du blog géopolitique Blogazoi et professeur à Kedge Business School.

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«  Quand je fais de la surprise une règle, l'ennemi s'attend à une surprise ; je l'attaque alors selon la règle. Quand je fais de la règle une surprise, l'ennemi s'attend à une attaque selon la règle ; je l'attaque alors par la surprise. »

Ainsi parla Li Shemin stratège chinois puis empereur en 599.

Il est une autre explication qui nous permet de mieux saisir la subtilité de la pièce qui se joue entre l'Iran et Israël. Référons-nous à la théorie de la Rencontre de séries indépendantes de Cournot.

Assistons-nous à la convergence de séries de variables aléatoires indépendantes ou bien ce conflit obéit-il à la Loi de Yerkes and Dodson relative au rôle du stress.
En d'autres termes les événements actuels suivent-ils une convergence ou au contraire une indépendance des variables ?

La première novation en cette affaire et elle est d'importance, c'est la rupture le 13 avril par l’Iran, du statu quo de la non-belligérance de facto de l'Iran envers Israël directement sur le territoire israélien. Même lorsque les Israéliens détruisirent les centrifugeuses iraniennes, Téhéran ne riposta pas militairement sur le territoire stricto sensu d'Israël.

Cela est-il destiné à rester une exception, une poussée de fièvre d’adolescent nostalgique de la Perse impériale, voire d’une volonté de test, ou bien cela préfigure-t- il un changement de paradigme ? Il en va de même avec l'utilisation des proxys. Cette fois-ci, l'Iran a opéré seul pour son propre compte, Houthis et Hezbollah ayant simplement assuré le service minimum. Il n’est d’ailleurs pas impossible que l’Iran ait agi quasiment seul pour calmer un certain agacement du Hezbollah qui semblerait irrité de mourir si souvent en lieu et place de l’Iran.

L’on a beau être frère en chiisme, le sacrifice connait aussi des limites, surtout si l’on a un certain volant financier à protéger.

Au Moyen-Orient, nous assistons à la première guerre en dentelle parfaitement scénarisée, orchestrée et chorégraphiée pour le public mondial ; mais en bonne leçon de Dame Histoire, tout peut encore déraper.

Raymond Aron écrivit ainsi dans Paix et Guerre parmi les Nations "Dans la guerre aussi, la fureur nait parfois de la lutte elle-même, non de l’enjeu de la lutte. »
Comme au théâtre, nous voyons se produire, deux principaux acteurs : Israël et Iran, des personnages secondaires en cette occurrence : Syrie, Arabie Saoudite, Egypte, Hamas, UAE et un petit dernier désireux de montrer qu’il faut aussi compter avec lui : la Jordanie. Enfin des souffleurs : USA, Chine et Russie sans qui rien ne se décidera réellement.

Si le script est interprété par nos principaux comparses, il est attentivement suivi par les souffleurs. Toutefois l'on ne peut exclure à ce stade que les deux principaux acteurs décident de s’émanciper de leur texte et jouent leur propre partition.

L'on citera donc avec bonheur Henry Kissinger  qui écrivit dans « Pour une nouvelle politique étrangère américaine »:

« Dans les systèmes d'alliance, les membres les plus faibles ont de bonnes raisons de croire que le plus puissant un intérêt primordial à les défendre ; il s'ensuit qu'ils n'éprouvent plus le besoin de s'assurer son appui en souscrivant à sa politique… »

Prologue : impasse au conflit du Moyen-Orient

Il a été tellement écrit à ce sujet que nous ne nous étendrons point sur ce sujet.

Parodos

Acte I scène 1

Situons la chronologie : Le 7 octobre agression barbaresque du Hamas contre Israël et que l'on pourrait qualifier de génocidaire ( il suffit de relire le texte repris par l'ONU de la définition de Lemkin et Lauterpacht pour s'en convaincre).

Acte I scène 2 : Riposte israélienne certes d'une brutalité évidente mais aucun élément de l’allonge israélienne à Gaza- jusqu’à plus ample informé - ne semble aller à l'encontre des lois de la guerre. C'est d'ailleurs la conclusion à laquelle est arrivée la Cour Internationale de Justice de La Haye sur plainte de l'Afrique du Sud.

Acte I scène 3 : Israël attaque alors, certes en Syrie et certes une emprise consulaire iranienne laquelle, ne l'oublions, pas avait déserté les raisons de l'immunité diplomatique établie par les Conventions de Vienne en filant le parfait amour en des liaisons dangereuses avec les scénaristes du pogrom du 7 octobre.

La région ne fut jamais avare de conflits meurtriers et les principaux protagonistes n'étant toujours pas atteints par un commencement d'asthénie qui fusse-t-il apparu eut pu- peut-être- ramener les deux belligérants à un début de raison.

Au Moyen-Orient, ni Israël ni les Palestiniens et désormais les Iraniens ne sont des adeptes de l’évergétisme. L’on analysera plus avant ces événements comme un conflit qui en tout cas ne mécontente- pour ne pas employer l'antonyme- tous les acteurs.

Les stasimons

Acte un scène 4 : Après la frappe israélienne au consulat, l'Iran attend tout de même 13 jours pour prévenir les tambours majors mondiaux d'une prochaine riposte. Ce délai semble suffisant pour qu’Israël ait pu prendre les mesures défensives nécessaires. L’Iran va même jusqu'à jouer un remake du fameux : « Messieurs les Anglais, tirez les premiers » à Fontenoy en poussant la courtoisie jusqu'à prévenir l'Arabie saoudite et possiblement la Jordanie de l'imminence de l'attaque, mais en les assurant que ces drones et missiles ne leur étaient en aucun cas adressés.

A moins d'être de grands naïfs, ce qu'ils ne sont pas, les Iraniens savaient parfaitement que les Saoudiens relaieraient le message à Washington qui s'empresserait d'alerter Jérusalem.

En outre les drones tirés de si loin étaient assignés à n'avoir qu'un effet des plus légers. La vitesse d'environ 185 km heure des drones Shahed 136, leur accordait peu de chance de ne pas être repérés par les radars israéliens et occidentaux. Leur charge utile est de 20 kilos. Les dégâts étaient destinés à être, ab ovo, minimes et ce d'autant plus que les Iraniens connaissent parfaitement l'efficacité de la triple couche de défense israélienne antimissiles. Il ne pouvait en être autrement et les missiles dont la vitesse et la portée étaient plus redoutables rendaient à la différence des drones leur interception plus complexe. Sauf que le temps a permis leur interception.Pour autant le nombre limité de missiles, eu égard à la dimension de leur parc était voué à provoquer tout au plus des dégâts gérables et par ailleurs facilement interceptables.

Acte I scène 5 : Le 18 avril une coalition, ad hoc, composée des États-Unis, de la Grande-Bretagne, de la France et même de la Jordanie et militairement à Israël a descendu 99% des drones et missiles iraniens. Il faut remonter à 1956 pour voir des armées occidentales participer à des actions militaires conjointes avec Israël. L'avertissement iranien, la faiblesse des moyens engagés par l'Iran et bien entendu les moyens de riposte Israéliens et occidentaux ont permis de cantonner les dégâts à un niveau quasi symbolique.


Il suffit de les comparer à ceux causés par de vraies frappes russes en Ukraine ou même aux roquettes du Hamas. Comme nous ne croyons que fort peu à une quelconque bénévolence iranienne, force est de conjecturer la volonté iranienne de ne pas dépasser une action leur permettant de sauver la face, sans encourir la foudre israélienne. Le rapport des forces faisant le reste.

Acte un scène 6 : Dans la nuit du 17 au 18 avril, les Israéliens en bonne logique militaire ripostent. Comparée aux bombardements précédents en Syrie ou à la destruction de la centrale Osirak en Irak le 7 juin 1981, l'on pourrait s'étonner à bon droit. Le nombre exact de missiles Blue Sparrow et de drones n'est pas encore connu à l'heure actuelle. En fait cela n'a guère d'importance. L'on sait cependant qu'il est infinitésimal. Mais le ratio forces engagées sur dégâts occasionnés est éloquent quant à la capacité israélienne. Israël et l'Iran ont montré leur capacité- à des degrés divers certes- qu'ils pouvaient se frapper mutuellement.

C'est une leçon qu'il leur faudra retenir.

L’on ne connait pas encore avec exactitude d'où furent tirés les missiles israéliens ; mais il est de notoriété publique qu’Israël dispose d'une base secrète en Azerbaïdjan, pays voisin et musulman de l'Iran. Auparavant les drones israéliens avaient permis à l'Azerbaïdjan d'écraser l'Arménie pays chrétien.

Cette incise pour souligner ce que d'aucuns revendiquent- avec force et non sans quelque arrière-pensée-comme la raison principale interdisant un règlement du conflit entre les Palestiniens et Israël : à savoir l'antagonisme immarcescible des Palestiniens envers Israël à cause de l'Islam. Cette idée vole en éclats !

Avec l'alliance entre un pays musulman et Israël, la raison principale étant bien sûr un conflit territorial.

Infinitésimal et dégâts infinitésimaux. Dégâts infinitésimaux, non pas à cause de la défense iranienne mais infinitésimaux par volonté israélienne. C’est de la vraie et bonne syntaxe militaire qu’Israël devrait également appliquer ailleurs. Israël a trouvé la bonne réponse, probablement la seule d’ailleurs. Il s'agit de frapper une marche au-dessus de l'escalade tout en laissant comme l’a si bien conceptualisé Thomas Schelling: «  to give a chance to chance. »

Est-ce dû aux pressions américaines ou à un calcul remarquablement intelligent du gouvernement israélien qui tout en se sachant fort de ses quatre-vingts ogives nucléaires et de son écrasante supériorité face à un Iran émasculé, ne tient pas à ouvrir un autre front avec l'Iran et surtout le Hezbollah.

La réponse englobe vraisemblablement les deux options.

Shakespeare nous a d’ailleurs enseigné ce sage précepte : "O it is excellent to have a giant's Strength ; but it is tyrannous to use it like a giant"

Pour autant cela montre aussi, et fort intelligemment, la volonté israélienne d'essayer d'encadrer et de limiter, voire de ne pas perdre la face mais surtout de ne pas détériorer leur déterrence.

Pour autant, c'est un message subliminal envoyé aux Iraniens leur signalant qu'ils peuvent déjouer leur défense quand ils le veulent et où ils le veulent. Loaf pour loaf, c'est un peu le même message que les Iraniens ont adressé aux Israéliens.

En agissant ainsi les Israéliens n'endommagent pas leur détérrence tout en permettant à l'Iran de ne pas perdre la face. Cela permet aussi de garder le treshold aussi haut que possible, les Israéliens contrairement à leurs habitudes ayant pris grand soin de ne pas revendiquer officiellement la riposte.

Si les Américains avaient exercé ou exercé des pressions, ce ne serait bien entendu pas la première fois que les Américains en conditionnaient à l'encontre d'Israël.
Ainsi en 1973 lors de la guerre du Kippour, Kissinger dit à Nixon : « Let’s the boys play a while », puis ayant estimé que le jeu avait assez duré, Kissinger enforcit la pression sur Israël et organisa un pont aérien sur le front même à condition que les Israéliens n'aillent pas plus loin dans leur offensive contre l'Égypte.

Plus près de nous en 1991, le président George Bush senior interdit à Israël et à son Premier ministre de droite Shamir la moindre contre-attaque contre l'Irak de Saddam Hussein qui avait pourtant envoyé des missiles frappant Israël.

Mais Bush- que l’Histoire retiendra comme un très grand président- avait la volonté de progresser vers un règlement. Pour prix du renoncement israélien, il livra les premiers systèmes Patriot à Israël afin de contrer les scuds irakiens. Il est amusant de noter que Benjamin Netanyahou était alors le vice-ministre des Affaires étrangères.
Cette réponse permet en outre à Netanyahu de montrer aux Américains une certaine souplesse sans courber l'échine. Il est d'ailleurs significatif que Ben Gvir personnage nauséabond, raciste et fasciste mais ministre de la Sécurité Intérieure du gouvernement qualifie la réponse de son propre gouvernement de « minable. »

Heureux comme Dieu au Moyen-Orient

Ayant décrit sommairement l’état des lieux, examinons en quoi chaque acteur est paradoxalement heureux de cette configuration. Leur carnet de bal est bien rempli.
Commençons par l'aigle américain qui a enfin vu et compris qu'une solution débouchant sur la création d'un Etat palestinien était le seul aboutissement, quand bien même on ne peut plus complexe.

Joe Biden endosse donc le rôle de parrain et fait part urbi et orbi et dans le secret de l'alcôve américano-israélienne, de sa découverte à son vassal ombrageux Netanyahu. Lequel rue dans les brancards et jure ses grands dieux qu'il est prêt- malgré son indéfectible affection- à se passer de son amitié et que sa position maintes fois répétée même à l'université israélienne de Bar-Ilan en 2017 demeure plus que jamais d’actualité : « Moi Premier ministre, il n'y aura jamais d'Etat palestinien. » « As long i am Prime Minister, there will not be a palestinian state. »Ite missa est !

Les relations israélo-américaines que les Israéliens croyaient gravées au marbre des Tables de la Loi se fissurent, ce qui n'est pas bon pour un candidat en pleine année électorale surtout face à un personnage au cerveau non complètement cortiqué et aux idées nauséabondes. Ce que Netanyahu a parfaitement intégré.

Rappelons que l’Iran n’a pas de frontière commune avec Israël, et qu’aucun espace maritime ne les unit, il n’y a donc pas de conflit territorial entre eux.

L'attaque iranienne n'ayant que peu à voir avec le problème palestinien, sauf en surface et pour amuser le badaud, Biden se refait à peu de frais une virginité pro-israélienne. Avec en arrière-pensée, que son soutien militaire- cette fois-ci- lui permettra d’exiger un prix, plus tard, pour prix de son aide, dans le dossier palestinien.
Il n’y a pas de repas gratuit en ce bas monde !

Pour Netanyahu, l'attaque iranienne est à la veille de la Pâque juive l'équivalent de la sortie d'Égypte. Elle permet à Netanyahu de sortir du ghetto de la réprobation où l'avait enfermée comme bien souvent son habituelle politique de retaliation musclée légitimement nécessaire vu l'étroitesse de sa géographie. Le soutien de cette coalition exceptionnelle l’autorise à surjouer à nouveau l'indéfectible soutien américain envers sa politique, son combat contre le Hamas et ce qui est déjà nettement plus problématique dans sa gestion de l'après Gaza et surtout dans son refus d'accorder une existence à un Etat palestinien.

Seulement voilà, Biden n'est pas dupe cette fois-ci des agissements de Netanyahu. Soutien non seulement indéfectible mais aussi militaire cette fois-ci à l'Etat d'Israël dans sa défense contre les 30 missiles de croisière, 170 missiles balistiques et 170 drones iraniens.

Le rôle des chœurs dans la tragédie grecque était de souligner l’importance de tel événement. Il est donc particulièrement intéressant et interpellant de relever la rapidité et la parfaite coordination des forces d'interception israélienne, américaine, jordanienne, britannique et même française. Elle relégitime la stature de Netanyahu comme de chef de guerre, lequel Netanyahu n'a jamais été- reconnaissons- le un va-t-en- en guerre, rien ne lui convenant davantage que le statu quo. Netanyahu peut également et à nouveau se prévaloir du soutien de la majorité de sa population, dans son dialogue avec Biden. Bien entendu loin de nous l'idée de penser comme certains commentateurs que Netanyahou puisse avoir un quelconque intérêt à provoquer l'exacerbation de ce conflit avec l'Iran. Pour autant, il bénéficie, hic et nunc d'un effet d'aubaine. Le mot aubaine recouvre un sens bien précis, il rappelle le fait que lorsqu'un étranger venait à mourir au moyen-âge dans le Royaume de France, sa fortune était dévolue au Trésor Royal ou au Roi.

Autre acteur heureux : l'Iran. Pour le comprendre, acceptons l'idée que la rationalité iranienne est différente de la rationalité occidentale. Pour en être différente, elle correspond à un objectif bien précis et remplit son but ; n'oublions pas que le jeu d'échec fut inventé en Perse. En effet la politique iranienne a toujours intégré deux composantes qui ne sont pas forcément antithétiques : opportunisme et sauver la face.

La contre-attaque iranienne a ainsi pu ressouder une population asservie voire martyrisée en lui redonnant un sentiment de fierté. En quelque sorte une version modernisée du panem et circences.

L'Iran s’auto congratule d'abord auprès de sa population en grossissant les seuls dégâts- minimes- de la base aérienne de Nevatim.

L'Iran se redonne une image guerrière, voire puissante auprès des Etats arabes. Mais surtout en une figure digne d'un triple salto et parfaitement exécutée, l'Iran amodie les craintes que l'Arabie saoudite et les U AE pouvaient nourrir à son encontre, puisqu'il les prévient afin de les protéger et leur signale que cette frappe ne leur est en aucun cas destinée. Enfin après avoir allumé l'incendie, l'Iran s’offre le luxe de jouer les pompiers en lançant à la face du monde qu’il a désormais , aussi, le sens des responsabilités ; les dégâts étant destinés à frapper davantage les esprits que les corps.

En outre et en une espèce de pensée subliminale envers Israël,en suggérant, j'ai riposté mais en grâce voyez cette menace comme solde de tout compte, ou comme le SMIC des réactions, l'Iran se présente donc comme un Etat responsable ne cherchant pas la guerre mais à la poursuite d’une juste revanche.

En somme l’on a assisté à un double mouvement parfaitement oxymoron et dont l'hybridation était tout aussi parfaitement pourpensée. Les Iraniens ont déployé un maximum d'informations avec des moyens tout aussi exceptionnels pour une stratégie exceptionnelle ( il faut remonter loin dans le temps pour voir une telle armada) pour obtenir sciemment un minimum de destructions adverses. Les Iraniens ont pu à juste titre, de leur point de vue, considérer leur opération comme un succès précisément à raison de l'étalage de leurs capacités. Mais en même temps le minimum de destruction est- dans leur esprit bien entendu- de montrer aux pays du Golfe leur sens des responsabilités et de la mesure.

Les pompiers pyromanes sont une spécialité du Moyen-Orient.

Précisons tout de suite qu'il n'y a là aucune conduite morale ou éthique, deux mots absents du vocabulaire de la mollahcratie. Parfois démonstration vaut force.
L'on est certes encore loin de la théorie américaine du shock and awe.

Mais enfin le dosage entre la volonté de montrer aux USA ce dont ils sont capables, mais en envoyant à Israël ce qu'il serait à peine exagéré de considérer comme des circonstances atténuantes pour un acquittement pour prix de la modération iranienne et de la divulgation de l’attaque.

Cette guerre est donc une guerre d'hybridation d'un genre nouveau.

Minimum de dégâts mais maximum de bruits. Loaf pour loaf, l'exemple iranien nous rappelle l'exemple inverse presque parfait des bombardements de Dresde, dont l’inutilité égala l’ampleur du crime de guerre commis par les Alliés. Le XXIème siècle est le siècle de la guerre informationnelle et des guerres d’influence.


Pour se convaincre de cette nouvelle conflictualité, il suffit de comparer l'agression iranienne à l'agression de Poutine qui lui n'avait prévenu personne et dont les bombardements intensifs- nourris par les livraisons iraniennes-de populations civiles en Ukraine rappellent ceux de trop sinistre mémoire, commis par les Allemands en 1944, et même ceux commis contre des civils allemands par des Alliés.

Ainsi Mohamed Bagheri, Chef d'Etat-Major iranien, a-t-il pu dire : « The operation was over and there is no intention to continue. »

Les Ukrainiens paieraient cher pour entendre les Russes prononcer de telles paroles.

Autre acteur heureux : L’Iran.

Autre message d'un officiel iranien qui abonde dans le même sens : « Iran deliberately tryed to prevent causalties to prevent a continuation of a conflict. »

Ne nous y trompons pas ; nulle trace d'un quelconque irénisme chez les Iraniens mais ne tombons pas non plus dans le travers consistant à croire que parce que des protagonistes ne cessent de clamer haut et fort la destruction d'Israël qu'ils sont irrationnels. On peut parfaitement avoir des buts guerriers et extrémistes mais agir à l'intérieur d'une « folie » et agir de façon « intelligible et parfaitement rationnelle ».

Dans cette guerre calibrée au millimètre près, cet officiel iranien prend la précaution de prévenir que la modération ne sera pas de mise la prochaine fois. Les Iraniens peuvent être considérés comme étant un pays du seuil- ils ne remercieront jamais assez Trump d'avoir stupidement dénoncé de façon illégale le JCPOA, ils maîtrisent parfaitement les codes de la syntaxe nucléaire.

À ce stade donc nous avons trois acteurs qui affichent leur contentement ou bénéfices. Parler de la modération iranienne prête à sourire. Pourtant en cette occurrence, c'est bien de cela qu'il s'agit.

Se pose donc la question du pourquoi ? Même si les détérrences israélienne ou américaine n'y sont pas totalement étrangères, il ne nous semble pas qu'elles en soient la principale raison.

L'Iran a peu d'alliés mais il en compte deux et deux de poids : Chine et Russie. Par un caprice de l'histoire ainsi que la démonstration du rendement décroissant des sanctions, l'Iran est devenu le premier ou deuxième fournisseur d'armement de la Russie. Le bazar de Téhéran sait honorer ses dettes du moins quand cela l'arrange. Après avoir reçu au grand dam d'Israël des S 300, Téhéran abreuve aujourd'hui la Russie de drones et de missiles.


La Chine avait conclu en 2017, et ce malgré les sanctions internationales, un accord de coopération stratégique avec l'Iran pour une durée de 25 ans et pour un montant de 400 milliards de dollars. En outre cet accord couvrait aussi une coopération militaire et des manœuvres navales communes ont déjà eu lieu. Elles se sont d'ailleurs répétées récemment.

Ni la Russie, ni la Chine ne souhaitent un Iran empêché ou dévasté par des frappes israéliennes. Les Américains, ayant sagement prévenu Israël qu'ils ne participeraient point à ce nouvel épisode. La Russie a désespérément besoin d'un Iran « tranquille » pour continuer à déverser son flot d'armes. Quant à la Chine, son économie, vorace en hydrocarbures, ne saurait rester sans réaction en cas de blocage du détroit d'Ormuz. Il est donc probable que Chine et Russie aient subtilement suggéré à l'Iran de se contenter de mesures symboliques. Pour autant, la pièce n'est pas terminée, nous avons vu le parados, puis les stasimons reste l'exordos.

Nous nous proposons de tirer à ce stade quelques leçons que bien entendu la suite des événements se chargera- possiblement-de démentir.

Si le conflit ne s'exacerbe pas, et il arrive parfois- même au Moyen-Orient- que le pire ne soit pas certain et que l’on ne soit pas à l’abri d’une heureuse surprise, l'on pourrait comparer l'évolution de la situation comme obéissant à la théorie du « Garbage Can » de Michael Cohen, James March et Johan Olsen.

Tout conflit comporte les caractéristiques suivantes : nous avons en effet quatre facteurs qui se présentent en toute indépendance les uns des autres et qui se rencontrent dans ce que l'on appelle la « corbeille à papier ».

- Des problèmes rémanents dans le champ d'observation qui nous interpellent

- s'il y a un problème, il y a donc une très forte probabilité -voire certitude - que des solutions soient présentes.

- des participants au jeu.

- enfin un kairos propre à faire surgir une initiative.


L'on est habitué en cette région, où les absences de politiques réfléchies et calculées sont si souvent absentes, à ce que les problèmes jetés dans la « corbeille à papier » trouvent une réponse de façon aléatoire. Les solutions peuvent surgir alors soit par « une fatigue stratégique » soit parce qu'à un moment donné, elles sont possibles indépendamment de leur relevance vis-à-vis du problème.

Soit parce que problèmes et solutions se rencontrent par pur hasard ou caprice du temps.


Dans ce modèle, il s'agira de voir selon quels critères une issue sera trouvée. Par des réponses rationnelles ou bien par des éléments extérieurs ?

La Grande Illusion


La coalition ad hoc s'est délitée aussi rapidement qu'elle s'était formée. Les USA on prévenu qu'ils ne participeraient pas à une nouvelle riposte israélienne. Ce qu'ils firent. Aucun des autres pays de cette coalition ne se joignit d'ailleurs à Israël dans sa contre-attaque. La Jordanie qui avait d'ailleurs participé elle-même à la riposte israélienne a également prévenu Israël que le Royaume ne tolérerait pas que des avions israéliens survolent le ciel jordanien et qu'ils s'exposeraient de la même façon à des représailles.

Certains experts pensent que le 7 octobre avait été aidé sinon autorisé par l’Iran afin de saboter un rapprochement de l'Arabie saoudite avec Israël. Les Accords d’Abraham, s'ils ont été plus ou moins gelés, n'ont pas été annulés.

Reste donc la question centrale de l'Arabie saoudite. Après l'attaque iranienne sur Israël, quelle sera sa position ? Certes l'Arabie saoudite a condamné, en des termes on ne peut plus forts, les bombardements israéliens sur Gaza et en rejetant l’origine du problème au refus de l’acceptation d’un Etat palestinien, sans pour autant véritablement modifier les discussions tripartites qui demeurent bien entendu et à juste titre conditionnées par leurs exigences envers Israël et les USA.

L'Arabie saoudite continue cependant à améliorer par petites touches successives ses relations avec les États-Unis.

Pour autant et suite aux événements récents, ce réchauffement avec les États-Unis se poursuit indépendamment de l'état d'une normalisation des relations avec Israël qui pourrait ne pas en bénéficier. Même si ce scénario aboutissait, cette hypothèse reste cependant improbable mais on ne peut totalement l'écarter.

Le conflit israélo-iranien, vient tel un exhausteur de parfum, soit pousser à un rapprochement accéléré avec Israël, soit au contraire à un vrai ralentissement voire à un gel. Cela dépendra d'une part de la bonne volonté qu’ Israël mettra à accepter les conditions saoudiennes et surtout maintenir- perinde ac cadaver- quels qu'en soient les coûts diplomatiques sa détérrence et d'autre part et symétriquement du message que l'Iran saura faire passer quant à sa non- agressivité vis-à-vis de l'Arabie saoudite et des pays du Golfe.

L'Iran saura-t- il le moment venu se contenter d'une assurance-vie avec l'armement nucléaire ou bien en usera-t-il comme un moyen de pression vis-à-vis de ses voisins ?

S'il y a une correspondance dans la situation actuelle avec le problème palestinien, il est dans ce carrefour des opportunités. L’attaque iranienne cumulée aux événements du 7 octobre a ancré et réencré le problème palestinien dans le processus décisionnel de la Maison Saoud. Et ce d'autant plus que désormais 90% de la population saoudienne s'oppose à un tel rapprochement.

Même un Royaume dont les critères démocratiques ne sont pas tout à fait ceux de l'Occident, ne peut négliger ce fait. L'Arabie saoudite ne veut et ne peut se permettre- malgré toutes les opportunités financières et technologiques qu’Israël peut apporter à son plan vision 2030- d'apparaître comme le soutien d'Israël dans le contexte palestinien. Tout semble même montrer que l'Arabie saoudite augmente les enchères pour sa participation à un rapprochement.

De quel côté penchera la balance ? Les deux possibilités conservent leurs chances.

En fait, beaucoup dépendra des Chinois, maîtres-d ‘œuvre de l'accord Iran-Arabie saoudite. Si bien entendu la Chine n'est pas le meilleur ami des USA ou d'Israël, ses votes à l'ONU contre Israël et pour la Palestine le prouvent à l'envi, la Chine à la différence de la Russie ne privilégie pas systématiquement et outre-mesure le chaos dans la région. Le détroit d’Ormuz est pour elle une veine jugulaire.

Mais la conséquence la plus visible sera celle des USA qui tôt ou tard exigeront le prix de leur soutien apporté lors de la riposte du 17 avril. Ils réclameront également un prix plus élevé de la part d'Israël pour faire pression sur l'Arabie saoudite en vue d'un rapprochement entre l'Arabie saoudite et Israël.

Il est donc loisible de se demander quel prix Netanyahu acceptera-t-il pour cela ?

La Maison Saoud a pu- peut-être -oublier l'affront du refus israélien du plan Abdallah de 2002 qui était un plan- somme toute- on ne peut plus raisonnable et équilibré, il n'est pas sûr qu'elle pardonnera un tel refus une deuxième fois.

Si la guerre de Gaza est toujours aussi présente, le conflit n'a dans la réalité que peu à voir avec les escarmouches israélo-iraniennes.

Sauf à être instrumentalisé des deux côtés. Pour l'Iran peu lui chaut le sort des Palestiniens. Son agenda comporte d'autres volets.

Assurer la pérennité de son régime dictatorial, est en fait la raison principale- tout comme la Corée du Nord- de sa volonté de se doter de l'arme nucléaire car c'est son assurance-vie. Les mollahs n’ont pas que des idées nobles dans leur corpus théocratique, mais ils sont tout sauf idiots et maitrisent parfaitement la syntaxe nucléaire.
La Russie peut jouer de la « sanctuarisation agressive », l’Iran n’a pas le méta-armement qui le lui permet.

Dans la psyché iranienne, l'on reste persuadé que l'Irak ne l'eut jamais attaqué s'il eusse disposé de la bombe, ce qui vu l'agression russe en Ukraine n'est pas totalement erroné.

En outre l'Iran n'a pas oublié que lors de sa guerre avec l'Irak, il s'est trouvé isolé et abandonné de tous face à un Irak qui se présentait-ironie de la situation- comme un Etat laïc ! Les Palestiniens ne sont donc pour l'Iran qu'un paravent commode.

Du côté israélien, le raisonnement est inverse. L’Iran qui ne cesse de réclamer- urbi et orbi- la destruction du petit Satan qu’est Israël, est un prétexte parfait pour refuser toute négociation sérieuse avec les Palestiniens dont l’Autorité palestinienne corrompue ne représente plus personne ; le Hamas, ne l'oublions pas, ayant été lui-même créé et soutenu par Israël pour affaiblir l’Autorité palestinienne. Netanyahu, depuis des années, a encouragé le versement mensuel de trente millions de dollars qu'un ambassadeur qatari, atterrissant à l'aéroport de Ben Gourion, remettait escorté par la police israélienne, au Hamas à Gaza, et ce sans aucun contrôle.

Israël, à juste titre, demeure le flambeau et le défenseur de la mémoire des six millions de Juifs gazés durant la Shoah.

Dans le conflit palestinien, Israël, pense et pas toujours à tort, que le monde entier est près de l'abandonner s'il n'épouse pas son refus de reconnaître un Etat palestinien. Et certes la barbarie pogromesque du Hamas ne peut que le conforter dans cette attitude.

Mais la coalition ad hoc vient de démontrer clairement que le credo de Netanyahu était faux. La coalition ad hoc vient d’administrer la preuve de façon éclatante qu'il n'en est rien. Elle réaffirme le soutien à l'existence de l'Etat d'Israël et lui délivre non seulement un blanc-seing mais aussi sa bénédiction dans sa riposte.

S’il semble pratiquement impossible de convaincre Netanyahou et son gouvernement le plus à droite et nationaliste de son histoire, il reste à espérer qu'un gouvernement autre, saura en tirer les conséquences.

La coalition a donc aidé militairement Israël à se défendre, elle ne le suit pas dans ses autres objectifs. Tout comme Washington ne souhaite pas l'éclatement de la Russie, il ne désire pas non plus une émasculation complète de l'Iran. Rajoutons aussi que le complexe obsidional d'Israël est parfaitement justifié. L'on rappellera avec intérêt le discours de Winston Churchill prononcé en mars 1914 à la Chambre des communes en Grande-Bretagne : « They build navies so as to play a part in the world affairs. It is sport for them. It is life and death to us. »

Avant de conclure et après avoir constaté qu’en cette affaire, il y a plus de gagnants que de perdants mentionnons tout de même le grand gagnant : Poutine !
Il crée en effet un second front qui le soulage en Ukraine, et détourne l’attention du monde. Par ailleurs et fidèle en cela à la politique soviétique, la Russie se félicite de tout désordre concernant le monde occidental. La Russie a toujours été une puissance incapable de créer un ordre mais sachant profiter de tout désordre dans le monde. Dans cet esprit, Poutine n'hésite pas à briser la quasi-alliance israelienne qu'avec Netanyahu, il désirait tant.

Pour autant cette alliance ne pouvait qu’être de circonstance, l'Iran et l'Arabie saoudite représentent plus pour ses intérêts qu’Israël.

Lorsque Lavrov se pose en facilitateur de règlement en ce conflit, l'on est en droit de se demander s'il s'agit d'une plaisanterie ou s'il y croit vraiment. Mais il pense redorer le blason de la Russie à l'international comme faiseur de paix et comme grande puissance.

La Chine est également gagnante en cette affaire si elle évite le blocage du détroit d'Ormuz.

Montaigne écrivit dans les Essais chap. 3 livre VIII: « Quelle plus grande victoire attendez-vous d'apprendre à votre ennemi qu'il ne peut vous combattre. »

En guise de conclusion "Donc veillez car vous ne savez ni le jour ni l'heure" Matthieu XXV 13

Leo Keller

21 Avril 2024

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