Au Canada, les dérives que redoutaient les opposants à l’euthanasie se révèlent vraies… et pire encore<!-- --> | Atlantico.fr
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A quel point le Canada a été affecté politiquement par l’euthanasie ?
A quel point le Canada a été affecté politiquement par l’euthanasie ?
©Jean-Sébastien Evrard AFP

Evolution sociétale

Une publicité de La maison Simons, une enseigne de prêt-à-porter canadienne, défend l’euthanasie. Comment le Canada a-t-il été affecté politiquement par l’euthanasie ?

Erwan Le Morhedec

Erwan Le Morhedec

Avocat au Barreau de Paris depuis plus de dix ans.

Il tient par ailleurs le blog LM-a.

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Atlantico : Une vidéo de La maison Simons, enseigne de prêt-à-porter canadienne, fait beaucoup réagir. Et pour cause elle défend l’euthanasie via le témoignage de Jennyfer Hatch. Quel est le contexte de cette vidéo ?

Erwan Le Morhedec : Cette vidéo a été réalisée pour le compte d’une maison de prêt-à-porter, Simons, et diffusée le lendemain de la mort de Jennyfer Hatch par euthanasie ou suicide assisté. Dans cette vidéo, très onirique, présente l’euthanasie comme une fin désirable, élégante, attirante. De fait, l’agence de publicité qui l’a conçue a revendiqué le fait de produire un film destiné à changer les mentalités.

De façon plus globale, en ce moment au Canada, il y a un débat qui est renouvelé autour de l’euthanasie. Ce pays s’était donné un délai jusqu’en mars 2023  pour ouvrir ou non l’euthanasie (appelée assistance médicalisée à mourir)  aux personnes atteintes de troubles psychiques ou psychologiques. Ils avaient un moratoire sur cette situation et on en arrive à la fin. Cela relance le débat sur la loi déjà existante mais aussi sur les possibilités de l’élargir.

Un certain nombre de situations ont émergé soulignant le fait que l’euthanasie a été choisie du fait de l’absence de ressources financières et ou médicale pour la personne qui l’a demandé. Il y a eu un certain nombre de cas dans lesquels on a vu des personnes bénéficiant de l’équivalent d’une allocation d’adulte handicapé et qui, passant à la retraite, perdaient des moyens préférer l’euthanasie à leur situation.

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Une personne l’a demandé aussi parce qu’elle était bloquée dans sa chambre en maison de retraite et, par temps de grande chaleur, était obligée de laisser sa porte ouverte ce qui l’exposait aux bruits du couloir et d’une potentielle venue du patient d’à côté qui avait l’Alzheimer. L’euthanasie lui a été accordée alors que c’est une simple question de condition de vie.

Et puis, ces derniers jours, une demi-douzaine d’anciens combattants a pu témoigner devant une commission parlementaire que, dans leurs relations avec l’administration canadienne, elles se sont vues proposer une « assistance médicalisée à mourir », alors qu’elles demandaient des soins.

Les dérives que l’on pouvait craindre se sont donc finalement produites ?

Le Canada en fait exactement l’exemple tragique. C’était un pays à la pointe dans la création des soins palliatifs. Beaucoup de professionnels français y ont été formés et il y a un vrai lien entre les soignants de nos deux pays. Aujourd’hui, des soignants canadiens expliquent qu’ils subissent une pression forte pour les conduire à pratiquer l’euthanasie qu’ils n’ont pas forcément envie de pratiquer. Ils nous disent être passés du statut de héros à celui de bourreau dans l’opinion publique. Ce qu’on pouvait craindre se réalise de façon très saillante au Canada. Certaines personnes disent : « dans la situation dans laquelle je suis et avec les moyens que j’ai, je préfère l’euthanasie ». C’est, de fait, un abandon de soins.

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L’aspect scandaleux de la publicité Simons repose aussi sur le fait qu’elle ne raconte pas la totalité de l’histoire de Jennyfer Hatch. En juin dernier, une équipe de la chaîne canadienne CTV l’avait rencontrée et elle expliquait qu’elle avait essayé d’obtenir des soins convenables. Sa situation a commencé à se dégrader quand son médecin de famille a déménagé, elle n’a plus obtenu que des rendez-vous ponctuels avec des professionnels qui ne la connaissaient pas. Le 8 juin 2022, elle disait à CTV : « si je ne peux accéder aux soins de vie, je peux peut-être accéder aux soins de morts ». De fait, alors qu’elle avait des années à demander des soins, et alors qu’elle n’a même pas reçu de soins palliatifs, il n’a fallu que quelques semaines pour qu’on lui accorde l’euthanasie.

 À quel point cette situation fait-elle débat ou non ?

Elle fait un peu débat mais, d’après ce que me disent les contacts que j’ai au Québec, dans les médias francophones, personne ne s’alarme. Globalement cela manque de réactivité. La question des vétérans a un peu choqué. Le ministre des anciens combattants a dû admettre officiellement - bien qu’il l’eût contesté - que son administration a proposé à plusieurs reprises l’euthanasie à ces vétérans qui sont ensuite venus témoigner devant des commissions parlementaires. Ces gens se plaignaient notamment de troubles post-traumatique et on leur a proposé l’euthanasie !

À quel point le Canada a été affecté politiquement par l’euthanasie ?

Ce que je relève c’est la rapidité du basculement. Aujourd’hui il n’y a presqu’aucune remise en question de la légalisation de l’euthanasie. Dans les premiers mois de la légalisation, il a été rapporté que des internes aux urgences ne tentaient pas de réanimer des gens ayant tenté de se suicider. Leur question était de savoir pourquoi ils devraient traiter différemment une personne qui demande aux soignants de mourir et quelqu’un qui le fait de lui-même ? Il semble que ces situations se soient apaisées ensuite. Mais les services de soins palliatifs ont été aussi perturbées dans leur fonctionnement. A titre d’exemple, la maison Michel Sarrazin, précurseur des soins palliatifs, connue jusqu’ici, a fini par être obligée d’accepter des euthanasies en son sein car, s’ils ne pratiquaient pas d’euthanasie, non seulement ils perdaient les financements publics mais même les mécènes ne voulaient plus les financer, tant l’image des soins palliatifs ordinaires a été atteinte.

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Dans quelle mesure faut-il craindre une « canadaisation » de la France à ce sujet ?

La différence à faire avec le Canada est que nous avons une sécurité sociale qui n’est pas la même. Ce sera moins immédiat et manifeste. Maintenant quand on entend parler de difficultés d’accès aux soins, à des rendez-vous, et que l’on connaît l’existence de déserts médicaux en France, il n’est pas aberrant de craindre que, comme Jennyfer Hatch au Canada, certaines personnes demandent l’euthanasie par manque de moyens, médicaux ou financiers, dans un avenir très proche. Sur France Inter, le 6 décembre, le président de l’Association pour le Droit de Mourir dans la Dignité, Jonathan Denis, s'est félicité que le Comité consultatif National d’Éthique accepte de dire que certaines personnes dont le pronostic vital n’est pas engagé pourraient rentrer dans le cadre de la loi. Il y a quelques mois, l’idée que l’on puisse euthanasier des personnes dont le pronostic vital n’est pas engagé paraissait aberrante et aurait été condamnée. Rappelons que tous les sondages qui sont mis en avant évoquent des « souffrances insupportables » en « fin de vie ». Cela montre qu’on a déjà opéré un glissement et personne ne s’en rend compte.

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