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Attention danger politique pour Emmanuel Macron : voilà pourquoi l’électorat en marche est à manier avec grande précaution
©FREDERICK FLORIN / AFP

Couple libre

La dernière vague de l'enquête électorale d'Ipsos pour le CEVIPOF, Le Monde et la Fondation Jean-Jaures s'intéresse notamment au second choix des électeurs de chaque liste qui disent "pouvoir encore changer d'avis". LREM possède une base électorale moins stable que celle d'autres partis.

Jean Petaux

Jean Petaux

Jean Petaux, docteur habilité à diriger des recherches en science politique, a enseigné et a été pendant 31 ans membre de l’équipe de direction de Sciences Po Bordeaux, jusqu’au 1er janvier 2022, établissement dont il est lui-même diplômé (1978).

Auteur d’une quinzaine d’ouvrages, son dernier livre, en librairie le 9 septembre 2022, est intitulé : « L’Appel du 18 juin 1940. Usages politiques d’un mythe ». Il est publié aux éditions Le Bord de l’Eau dans la collection « Territoires du politique » qu’il dirige.

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Atlantico : Emmanuel Macron s'est beaucoup impliqué dans la campagne européenne ces derniers jours. Si 78% de ses électeurs disent être certains de voter pour la liste Renaissance de LaREM/Modem, n'y a-t-il pas un danger électoral à surinvestir cette élection quand on regarde du côté des électeurs indécis ?

Jean Petaux : Il y a une colonne qui doit être observée avec plus d’attention que d’autres, c’est celle qui est située à la droite du tableau donnant les résultats du sondage CEVIPOF-LE MONDE : « Ne voterait pour aucune autre liste ». Dans ce refus de choisir une « liste de substitution » ce sont ceux qui disent qu’ils voteront LREM dimanche prochain qui sont les plus nombreux : 16% devant les électeurs RN (14%) et LR (12%). Ceux qui se disent susceptibles de voter pour la liste FI ne sont que 6% à envisager de ne pas voter pour une autre liste que celle-ci. De fait le score obtenu par LREM, dans ce sondage, montre bien que le chef de l’Etat a en-tête la mobilisation des abstentionnistes : celles et ceux qui ont voté pour lui en 2017, en particulier au premier tour, lui permettant de « virer » en tête dans la dernière ligne droite de la présidentielle et ceux qui se sont mobilisés contre sa rivale du second tour : Marine Le Pen. Contrairement à ce que l’on pouvait imaginer les électeurs LREM sont plutôt sûrs de leur choix. En tous les cas si l’on compare les intentions éventuelles des électeurs LREM et LR à l’égard des listes les « plus proches » idéologiquement et politiquement de leur premier choix, on note une « solidité » plus forte du côté de LREM comparée à LR. 69% des personnes qui se disent certaines de voter LREM en premier choix indiquent qu’elles pourraient voter Place Publique/PS (19%) ; EELV (17%) ; UDI (10%) et LR (23%). Pour les électeurs qui déclarent que leur premier choix de vote sera LR, ce sont 75% d’entre eux qui  seraient susceptibles de choisir en second lieu une autre liste, pas trop éloignée de leur premier vote : LREM (29%, proportion considérable qui montre que la « volatilité électorale » est supérieure dans le sens LR vers LREM que dans l’autre sens) ; UDI (17%) ; DLF (9%) et surtout FN (20%).

La question du surinvestissement vis-à-vis d’une telle élection ne me semble pas vraiment pertinente. Quand vous êtes le parti majoritaire à l’Assemblée nationale et que le président de la République est issu de vos rangs, sauf à être à moitié masochiste vous faites en sorte de ne pas sortir « essoré » d’une élection, peu importe laquelle d’ailleurs. Donc vous vous investissez dans la campagne pour faire le score le moins médiocre possible… Sauf à imaginer un calcul particulièrement complexe où vous recherchez la défaite pour mieux gagner au coup suivant… Un peu comme a pu le faire Jacques Chirac après la dissolution de l’Assemblée nationale en avril 1997 sauf que ni lui ni ses proches n’imaginaient justement d’être défaits. Même si les cinq années de cohabitation avec Lionel Jospin ont figuré parmi les principaux atouts de sa réélection en 2002….

La stratégie du barrage contre le RN peut-elle se retourner contre le parti du Président ? Dans quelles conditions si c'est le cas ? 

Je ne le crois pas. Sauf à imaginer une dégradation puissante du score de la liste Renaissance d’ici dimanche, les sondages indiquent tous que la liste LREM et ses alliés, conduite par Nathalie Loiseau, sortira première ou, plus vraisemblablement, deuxième de la compétition. Assez loin devant le score de la liste LR emmenée par François-Xavier Bellamy.

Aux Européennes du 13 juin 1999 (les dernières qui se sont tenues au scrutin proportionnel de liste nationale), dans le contexte instable qui était celui de la cohabitation, les deux listes concurrentes à droite, celle du RPR-DL dont le numéro 1 a changé en cours de campagne, Philippe Séguin ayant piqué une de ses crises caractérielles dont il avait le secret et confié les « clefs » du camion à un Nicolas Sarkozy qui n’en voulait absolument pas, et celle du RPF codirigée par le « redoutable » tandem de Villiers-Pasqua font presque jeu égal : 12,82% pour la liste Sarkozy et 13,06% pour la liste souverainiste Pasqua. Si on ajoute à ce score les 9,29% de la liste UDF (Bayrou), on obtient 35,17%, correspond peu ou prou au score de la « droite de gouvernement ». La liste FN conduite par Jean-Marie Le Pen plafonne à 5,70%, recule de 4,83% et perd 6 sièges pour n’en conserver que 5.

 Face à cela le PS et ses alliés du PRG (Baylet) et du MDC (Chevènement), avec François Hollande comme tête de liste,  arrivent largement en tête des neuf listes qui vont prétendre à la répartition des sièges : 21,95% des voix soit une progression de 7,5% par rapport à 1994 (très mauvaise séquence alors puisque la liste Rocard s’était fait « hacher » par la liste Tapie) et une progression de 7 sièges par rapport aux 15 obtenus en 2004. En 1999, deux ans après sa défaite des législatives pour la droite parlementaire et donc pour le camp politique du président de la République en place, celui-ci n’avait pas plus souffert que cela de cette nouvelle déconvenue. Tout comme d’ailleurs en 2001 la perte de « sa » mairie de Paris au profit de Bertrand Delanoë n’avait pas eu de conséquences politiques pour le locataire de l’Elysée.

On objectera que dans les deux situations présentées (Européennes 1999 et Municipales 2001), Jacques Chirac n’avait pas pris de risques et ne s’était pas particulièrement « mouillé » dans les deux cas. Mais l’essentiel n’est pas là. En réalité les électeurs font la « part du feu » et ne projettent pas les résultats d’une consultation sur une autre. Surtout, et ce sera évidemment le cas dimanche prochain, si l’abstention se situe entre 50% et 55% des inscrits (certains sondages évoquent même 58%) et, compte tenu d’un tel niveau, rend impossible, ou plus exactement imprécise,  une lecture commentée de la séquence électorale européenne.

Marine Le Pen et ses porte-paroles évoqueront bien pendant quelques jours et en guise d’éléments de langage le fait que le président Macron devrait tirer les conséquences politiques de cet éventuel échec (qui ne sera encore une fois, s’il est avéré, sans doute que relatif…) en remettant au peuple son mandat présidentiel. Mais il y a fort à parier que cette antienne n’aura pas plus d’avenir que celui d’un mantra momentané destiné à rejoindre les poubelles de la rhétorique politique.

Quels pourraient être les bénéficiaires d'une "défaillance" de LaREM ?

 En premier lieu les listes que le sondage CEVIPOF-LE MONDE indique être les éventuelles bénéficiaires d’un « deuxième choix » : celles que j’ai citées plus haut. En second lieu le RN qui, bien que « vainqueur à la Pyrrhus », autrement dit bien qu’ayant sans doute progressé en pourcentage des SE par rapport au score de  Marine Le Pen au premier tour de la Présidentielle de 2017 demeurera, compte tenu de l’abstention, très loin du score de la candidate FN en valeur absolue. Le RN n’aura donc pas, malgré le fait qu’il est en situation comme dit Marine Le Pen, d’être le « premier parti de l’opposition », capitalisé en électeurs protestataires.

On notera, par ailleurs,  que la mobilisation des Gilets Jaunes, dont nous avons indiqué, dès son origine, dans nos premières analyses en novembre 2018, qu’elle n’avait pas de soutien électoral de masse dans l’opinion française et qu’elle n’aurait pas de « débouché » politique aussi bien du côté de l’extrême-droite (RN) que de l’extrême-gauche (FI) montre clairement que nous avions raison alors. Les partis protestataires ou tribunitiens n’ont pas réussi, pour ces Européennes, à attirer à eux une part significative des manifestants de l’automne-hiver 2018-2019. Pour trois raisons : cette mobilisation, en quantité, était faible et son poids électoral relatif résiduel ; la désaffection des Gilets Jaunes à l’égard des organisations partisanes tout comme envers les syndicats représentatifs est définitive et incurable ;  ces mêmes structures politiques et sociales n’ont pas été en mesure de produire les signaux forts ou faibles qui auraient pu attirer vers elles ces protestataires, plus socialement désespérés que politiques conscients.

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