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Attentats de Paris : qui sont ces Français favorables au port d’arme (et pourquoi sont-ils toujours inaudibles) ?
©Reuters

Tabou

Alors que la réflexion sur le port d'arme aux Etats Unis s'intensifie après la tuerie de San Bernandino, le sujet est invisible dans l'hexagone. Un phénomène qui s'explique par le fait que la Constitution française ne permette pas ce débat, faisant des armes le fruit d'un tabou institutionnalisé.

Romain Mielcarek

Romain Mielcarek

Romain Mielcarek est journaliste indépendant, spécialiste des questions de défense et de relations internationales. Docteur en sciences de l'information et de la communication, il étudie les stratégies d'influence militaires dans les conflits.

 

Il anime le site Guerres et Influences (http://www.guerres-influences.com). Il est l'auteur de "Marchands d'armes, Enquête sur un business français", publié aux éditions Tallandier.

 
 
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Atlantico : Le débat autour du port d'armes aux Etats-Unis ressurgit après la tuerie de San Bernardino. En France au contraire, le débat autour du port d'arme est totalement tabou. Comment expliquer une telle différence ?

Romain Mielcarek : Le débat autour du port d’armes en France n’est pas tabou. Il y a tout simplement beaucoup moins de gens intéressés et/ou concernés par le sujet. Aux Etats-Unis, des territoires importants souffrent d’un déficit de présence policière pour assurer la sécurité collective. Ce problème est d’ailleurs historique (ca a toujours été le cas), politique (on n’a jamais voulu le régler) et culturel (les Américains ont pris l’habitude de se débrouiller autrement).

Chez nous, les citoyens qui réclament le droit de porter des armes sont de deux ordres. D’une part, des excités de la gâchette, amoureux des flingues, avides d’en découdre, plutôt sur une ligne très à droite (sans être des militants politiques). D’autre part, des ultra-libéraux, souvent assez jeunes, qui veulent réduire au maximum le rôle de l’Etat, y compris en matière de sécurité collective.

Ultra minoritaires, ces pro-armes font un lobby qui reste peu visible. Ils publient des tribunes sur une poignée de sites d’information de droite, conservatrice ou libérale. Ils militent également sur les réseaux sociaux, en particulier en rebondissant sur des thématiques liées au terrorisme ou aux drames impliquant l’utilisation d’armes.

Leur argumentaire repose sur des archives démontrant que la question s’est posée, lors de la rédaction de la Déclaration des Droits de l’homme et du citoyen en 1789, d’inclure le passage suivant : "Aucun pays n'est plus paisible et n'offre une meilleure police que ceux où la nation est armée." Ils font le choix de comprendre dans cette phrase que le citoyen, en tant qu’individu, et non à travers des représentants communs formés à cette fin (armée, gendarmerie, police), doit être armé.

Ils se rapprochent ainsi des Américains, nombreux, qui font le choix de comprendre le deuxième amendement de la Constitution de la même manière. Il précise que : "Une milice bien organisée étant nécessaire à la sécurité d’un Etat libre, le peuple a le droit de détenir et de porter des armes." Aux Etats-Unis, le débat porte sur ce droit : est-il individuel ou collectif ?

Vous noterez que dans la Constitution américaine, le débat est plus facile que dans le cas de la phrase qui aurait pu apparaître dans la Déclaration des Droits de l’homme en France.

Robert Ménard a créé une milice citoyenne qui n'a pas la possibilité de porter des armes. De telles initiatives sont-elles susceptibles de relancer ce débat ou les obstacles qui s'y opposent sont trop forts ? 

Je ne crois pas. Les Français n’ont pas, je pense, l’envie de détenir les armes… Et encore moins de s’organiser en milices. Robert Ménard défend une vision qui me semble parfaitement archaïque de la sécurité collective. Il est faux de dire que nous avons un problème grave de présence policière en France. La sécurité est le travail de la police. Lorsqu’il y a des failles ou des inquiétudes, alors il faut améliorer ou discuter de la couverture policière du territoire, de sa visibilité et de ses missions.

Notons également que l’utilisation d’une arme est un exercice complexe. Je suis instructeur de tir, je peux en témoigner : il faut prendre du temps pour être compétent, beaucoup de temps… Et pratiquer régulièrement. Manier une arme à feu n’est pas aussi simple que de monter sur un vélo. D’autant plus dès lors que l’on parle de se servir d’une arme dans une situation potentiellement dangereuse : les forces de l’ordre savent d’ailleurs bien à quel point c’est difficile. Les professionnels pourront vous le dire : il est difficile de toucher à 15 mètres avec un pistolet automatique, à 300 mètres avec un fusil d’assaut et à 600 mètres avec un fusil de précision.

Les pays où l’on déploie des milices et les régions où tout le monde s’arme sont des endroits marqués par une forte instabilité, en particulier sécuritaire. Soyons un peu sérieux, ce n’est pas le cas de la France… Et certainement pas le cas de Béziers !

Des armes à feu circulent tout de même en France et il est de plus en plus facile pour les civils de s'en procurer (notamment à Marseille, ou la sénatrice Samia Ghali avait demandé l'aide de l'armée pour sécuriser les cités). La France ferme-t-elle les yeux sur ce problème ? Ne devrait-elle pas briser le tabou et entamer un véritable débat autour de ces questions ?

Samia Ghali est effectivement une habituée de ce type de déclarations. Il y a deux hypothèses. La première, c’est qu’elle ne soit pas capable de comprendre les différentes missions incombant aux forces de l’ordre dans notre pays. Je n’ose l’imaginer. L’armée est formée pour intervenir dans des zones de guerre, pas pour faire la police dans un quartier difficile… Et encore moins pour interpeller des délinquants ou des criminels.

On peut facilement faire la comparaison avec le risque incendie. L’armée est utilisée l’été pour aider les services de secours… avec un soutien logistique. Mais si les feux de forêts se multiplient, on n’envoie pas les chars : on forme et on déploie plus de pompiers. C’est la même chose ici : pour faire face à des criminels ou délinquants, on a besoin de plus de policiers, mieux équipés, pas de moyens logistiques ni de chars.

La seconde hypothèse, c’est que Samia Ghali fasse de la communication : elle envoie un message de désespoir. C’est aussi ce qu’a fait la maire de Calais récemment en réclamant l’aide de l’armée pour gérer les migrants. Il s’agit surtout d’appeler les autorités politiques à prendre leurs responsabilités en mettant en place des solutions.

Si je préfère rester optimiste et penser que nos responsables politiques connaissent les rôles des uns et des autres, le fait est que l’on a facilement tendance dans notre pays à tout mélanger. L’armée n’est pas là pour remplacer la police ou les services de renseignement. Tout comme elle n’a pas vocation à éduquer la jeunesse en lui apprenant à se lever le matin et à laver ses slips. Elle est d’ailleurs plus que mobilisée pour mener des opérations militaires à travers le monde, pour défendre le pays.

Si l’on voulait que finalement, l’armée soit utilisée pour éduquer la jeunesse, chasser les trafiquants de drogue ou encore pour protéger les moutons des loups, alors il faut changer nos lois, l’organisation de nos régiments et leur donner des moyens adaptés à de telles missions. Pour ma part, je préfère qu’on laisse l’armée combattre des groupes armés hors de nos frontières… Et qu’on laisse les policiers s’occuper des dealers et les bergers des moutons. Chacun son métier.

Je crois qu’en l’occurrence, les exemples que vous donnez relèvent au mieux de l’agitation médiatique… Au pire de la plus crasse incompétence. Je laisse vos lecteurs faire leur choix.

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