Attaque sur le "vagin de la reine" : artistes contre vandales, qui tombe dans le piège de qui ?<!-- --> | Atlantico.fr
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La principale œuvre d'Anish Kapoor a été aspergée de peinture jaune.
La principale œuvre d'Anish Kapoor a été aspergée de peinture jaune.
©Reuters

Dialectique de la provocation

Mercredi 17 juin dernier, la principale œuvre d'Anish Kapoor intitulée le "Vagin de la reine" et exposée dans le parc de Versailles a été aspergée de peinture jaune. Un acte de vandalisme dont on peut se demander s'il ne tombe pas dans le piège de l'artiste, dont l'objet est de provoquer.

Luis de Miranda

Luis de Miranda

Luis de Miranda est écrivain, éditeur et philosophe. Diplomé d'HEC, il est l'auteur de L'être et le néon, aux éditions Max Milo, un essai sur la société de transparence.

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Atlantico : La principale oeuvre d'Anish Kapoor exposée dans le parc de Versailles, le “Vagin de la reine” a été vandalisée mercredi. Mais entre l'artiste, dont l'oeuvre a de multiple fois été considérée comme provocante, et l'auteur de l'acte de vandalisme, qui fait resurgir l'oeuvre dans les médias, qui tombe réellement dans le piège de qui ?

Luis de Miranda : Le piège, c’est le lien d’attache : il me semble que dans cette histoire le dit artiste et le dit vandale sont liés, dans la mesure où leur acte se prolonge et se situe spatialement dans le même champ, celui de la simulation. D’un côté un artiste institutionnel pompier qui singe le geste de Duchamp avec ce que j’appellerai un retard à l’allumage (de plusieurs décennies). De l’autre un mal-nommé vandale qui, loin de briser l’œuvre, comme l’a fait Pinoncelli de l’urinoir de Duchamp, se contente de figurer sa fonction symbolique biologique. S’il s’agit bien d’une représentation de l’organe tubulaire musculo-muqueux de la femme, alors il est naturel que de temps en temps il soit maculé d’urine. Il me semble que l’artiste institutionnel, en commentant la maculation pirate de manière outrée (et si peu convaincante qu’on en vient à se demander s’il n’est pas lui-même l’auteur du micro-attentat), est tombé dans le piège du simili-vandale, en ne voyant pas le prolongement que constitue le fait de simuler des traces d’urines sur l’œuvre. La ministre de la culture a aussi prouvé son manque de clairvoyance en parlant d’atteinte à la liberté de création. Imaginez un médecin qui dirait que le fait d’uriner par des voies qui servent aussi à l’enfantement constitue une atteinte à la liberté d’accoucher.

Non, en réalité, il n’y a pas eu vandalisme, mais prolongement et collectivisation de l’œuvre, et l’artiste comme la ministre auraient dû s’en réjouir, s’ils étaient pourvus du recul cognitif nécessaire à l’analyse de leur contemporanéité. Hélas, entre la puissance intellectuelle, la cohérence éthique d’un Duchamp, et les relatives platitudes de son imitateur contemporain, il y a le même écart qu’entre, disons, un Malraux (même si tout ne fut pas admirable chez lui) et une ministre de la culture française bougiste du début du 21e siècle, qui change de ministère comme de chemisier. Max Weber dirait que dans les deux cas, la vocation n’est plus là.

Puisque vous parlez de piège, et que j’ai relié le piège au lien identitaire et à la proximité de champ entre le chasseur et le chassé, entre le piégé et le piégeur, il faut noter à quel point nous sommes tous liés par le processus de collectivisation symbolique qui s’opère dans les jardins dédiés à la mémoire de l’absolutisme. Versailles symbolise deux choses un peu contradictoires en apparence : le moment historique et nostalgique où la France fut au centre du monde, mais aussi l’Ancien Régime et ses inégalités essentialistes. C’est, avouons-le un lieu majestueux, jurassique, mais aussi un peu ennuyeux. Le simulacre de scandale organisé que permet l’art contemporain vient y réveiller de temps en temps la torpeur des cars scolaires et la placidité de la procession touristique.

Vous parlez d’acte de vandalisme. Je dirai en conclusion que non seulement il n’y a pas eu vandalisme, mais il n’y a pas eu acte. On a compris je crois pourquoi le mot de vandale est trop fort pour le signifiant urinaire qui a été rendu manifeste : il était déjà présupposé par le débat autour de l’œuvre et le sobriquet vaginal. De même, parler d’acte est également trop fort, puisqu’il n’y a pas eu modification d’un système ou bouleversement d’un équilibre mais au contraire prolongement d’une narration et simple clin d’œil plaisant. Il n’y a pas eu césure éthique mais glissement sémantique collectif. Il n’y a même pas eu passage à l’acte, mais tout au plus somatisation.

Le fait que les traces jaunes aient depuis été effacées ou soient en voie de l’être relève de l’hygiène ; cela prolonge encore la collectivisation de l’œuvre, qui ne l’oublions pas implique du personnel de nettoyage comme de montage, des ouvriers à qui il serait intéressant de demander leur avis. Ce qui me gêne, malgré tout, c’est que l’on parle officiellement de liberté de création et de critique artiste du pouvoir alors que le processus de sélection des œuvres institutionnelles est loin d’être pluriel et consultatif. En ce sens, comme d’autres l’on remarqué, c’est le public qui continue à être pris au piège du fait accompli, et l’on peut comprendre sa perplexité.

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