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Attaque près des anciens locaux de Charlie Hebdo : un suspect au profil très atypique
©Laura CAMBAUD / AFP

Menace diffuse

Un Pakistanais de 18 ans, inconnu des services de lutte contre la radicalisation, a reconnu l'attaque au hachoir qui a fait deux blessés, ce vendredi dans le 11e arrondissement de Paris, près des anciens locaux de Charlie Hebdo.

Farhad Khosrokhavar

Farhad Khosrokhavar

Farhad Khosrokhavar est directeur d'études à l'EHESS et chercheur au Centre d'analyse et d'intervention sociologiques (Cadis, EHESS-CNRS). Il a publié de nombreux ouvrages dont La Radicalisation (Maison des sciences de l'homme, 2014), Avoir vingt ans au pays des ayatollahs, avec Amir Nikpey (Robert Laffont, 2009), Quand Al-Qaïda parle : témoignages derrière les barreaux (Grasset, 2006), et L'Islam dans les prisons (Balland, 2004).

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Atlantico : Un Pakistanais de 18 ans a reconnu l'attaque au hachoir qui a fait deux blessés, ce vendredi dans le 11e arrondissement de Paris. Que sait-on de son profil ? Correspond-t-il au type de terroristes auquel la France a déjà eu affaire ?

Farhad Khosrokhavar : Attention, il se pourrait que les documents dont nous disposons sur cet individu ne soient pas à jour. On pense qu'il est Pakistanais et qu'il a 18 ans, mais les autorités françaises doivent confirmer ces informations auprès des autorités pakistanaises. Il n'est pas sûr qu'il dise la vérité. En Allemagne, il y a une décennie, il y a eu le cas d'un jeune soi-disant Afghan qui avait attaqué à la hache des passants. Il s'est révélé qu'il était en fait pakistanais et avait dit être afghan pour avoir plus de chances d'obtenir le statut de réfugié. Donc prudence.

Mais à supposer qu'il soit pakistanais et qu'il ait 18 ans, il ne correspondrait pas au profil type des djihadistes qui sont déjà passés à l'attaque en France. D'habitude, ils sont plus âgés : l'âge moyen en Europe est entre 25 et 28 ans. En second lieu, son attaque a été faite avec un hachoir. Il ne disposait pas de moyens plus sophistiqués, comme des armes à feu. Cela signifie qu'il n'était pas très présent dans le milieu délinquant, même s'il avait été arrêté une fois pour port d'une arme blanche : un tournevis. Il n'était pas Fiché S, ce qui est général le cas habituellement. Il ne semble pas avoir montré des éléments de radicalisation.

Même s'il faut attendre l'avancée de l'enquête pour se prononcer sur des éléments sûrs, dans tous les cas son profil semble atypique. Nous avons vu des cas de jeunes qui se sont radicalisés entre 14-15 ans et 30 ans, mais il y en a très peu qui soient passés à l'acte en Europe. En France, cela n'a pas été le cas sur la dernière décennie. Et sa nationalité pakistanaise serait atypique aussi, puisque les responsables sont d'habitude soit des convertis, soit des personnes d'origine nord-africaine. Rares sont les autres origines.

N'est-ce pas seulement un effet statistique, à savoir qu'il y a peu de personnes d'origine pakistanaise en France ?

Non, car par exemple le nombre de personnes d'origine turque est faible parmi les djihadistes alors que leur proportion est plus importante dans la population. J'ai développé tout cela dans mon livre Le Nouveau djihad en Occident (Robert Laffont, 2018) où je montre que la prévalence des origines n'est pas un effet statistique. En France, les terroristes sont par exemple beaucoup d'origine marocaine, car ils sont très nombreux en Belgique d'où sont parties les attaques de janvier 2015. On peut aussi noter qu'en Allemagne aussi, les jeunes d'origine maghrébine sont surreprésentés dans les attaques, alors que les personnes d'origine turque sont beaucoup plus nombreuses en proportion et en nombre dans la population.

Ce profil atypique est-il une anomalie ou une évolution progressive que l'on peut observer vers un nouveau type de terroristes ?

A mon avis, il faut plutôt se pencher sur ses motivations Deux éléments sont à prendre en compte : le début du procès des terroristes de janvier 2015 et la republication des caricatures du prophète Mahomet par Charlie Hebdo. Je pense que ce second point est fondamental, car sur le premier point, les suspects n'ont pas été encore condamnés. Il pourrait y avoir des passages à l'acte au moment du jugement, mais pas avant. Par contre, la republication des caricatures est un motif très puissant pour nombre de jeunes radicalisés qui pensent que la ligne rouge a été franchie. Je pense que la raison essentielle de l'attaque tient à ce phénomène.

Il y a en effet eu des manifestations au Pakistan...

Au Pakistan, mais aussi en Inde. De toute façon, avec la mondialisation, tout le monde sait que Charlie Hebdo a republié ces caricatures, ce qui est vu comme une profanation supplémentaire de l'Islam. Cela pose un vrai problème dans l'exercice de la faculté critique. Le principe de responsabilité doit-il prévaloir sur le principe de conviction, comme disait Max Weber ? Doit-on, si on est convaincu que l'on défend la liberté, le faire, ou faut-il dans ce contexte-là s'abstenir car on pourrait mettre en danger la vie d'innocents ? Je crois que le verdict, dans la société française, est que le principe de conviction doit prévaloir. Ils ont republié, et en grande majorité on l'approuve.

En novembre dernier, les universitaires Xavier Crettiez et Yvan Barros avaient conduit une étude à partir de l’analyse des profils de 163 auteurs d’attentats ou de projets d’attentats en France. Elle montrait que seuls trois auteurs d’attentat peuvent être considérés comme des « loups solitaires ». Cet homme en serait-il un ?

Les "loups solitaires" sont rarissimes en Europe et en France en particulier. Ils sont plus importants aux Etats-Unis, mais dans un contexte qui n'est pas celui du terrorisme islamiste, qui est marginal, mais du terrorisme domestique, notamment avec les attaques contre les écoles. Le suspect est-il un loup solitaire ? Il a attaqué seul, ça c'est sûr. Mais il pourrait avoir des complices qui l'ont radicalisé, l'ont encouragé ou lui ont fourni le hachoir. L'enquête le dira. Dans l'ensemble, c'est un loup solitaire dans le sens du passage à l'acte.

Cette différence entre la notion de "passage à l'acte" et celle "d'entourage qui est impliqué" explique-t-elle cette idée reçue selon laquelle il y aurait beaucoup de loups solitaires dans le terrorisme islamiste, alors que dans les faits c'est peu souvent le cas ?

Les faits sont susceptibles d'interprétation... Un exemple : Mohamed Lahouaiej-Bouhlel, le Tunisien qui a tué 86 personnes à Nice le 14 juillet 2016, avait eu quelques complicités puisque quelqu'un lui avait fourni un pistolet du 19e siècle. Mais il a agit seul : il a loué le camion, a foncé dans la foule, et tué tant d'innocents. Ce n'est pas un loup solitaire au sens académique – car il avait des complices – mais dans les faits, c'est lui qui a décidé de l'attaque et l'a menée seul. Le loup solitaire est, dans la définition courante, celui qui agit seul. Si l'on prend cette définition plutôt que celle qui en fait quelqu'un dont personne ne pouvait soupçonner les projets, leur nombre sera beaucoup plus important.

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