Après la Françafrique, le grand vide hollandais ?<!-- --> | Atlantico.fr
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François Hollande au Bénin
François Hollande au Bénin
©Reuters

Papa François

François Hollande s'est envolé mercredi soir 1er juillet pour une visite d'Etat en Afrique. Bénin, Angola et Cameroun sont au programme, l'occasion de faire le bilan de ce qu'il reste de la Françafrique.

Roland  Marchal

Roland Marchal

Roland Marchal est chargé de recherche CNRS et enseigne à Sciences Po Paris. Ses recherches portent sur l’économie et  les conflits dans l’Afrique sub-saharienne. En particulier les conflits armés en Afrique centrale et dans les pays de la Corne.

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Atlantico : François Hollande voulait en finir avec la Françafrique. Par quoi l'a-t-il remplacée ? Quelle est aujourd'hui la politique africaine de la France ?

Roland Marchal : Tous les Présidents de la République depuis bien longtemps disent en vouloir avec la Françafrique, tous sont sincères d’une certaine façon. Mais ces réseaux-là peuvent durer même marginalisés puisqu’ils existent souvent grâce aux liens d’affaires qui existent entre notre pays et certains pays du continent africain. Des mouvements de retrait tactique mais aussi des retours en force sont possibles. La capacité d’un chef d’Etat d’en finir avec la Françafrique est relativement limitée. C’est un travail de longue haleine, il faut changer les us et coutumes de certaines classes politiques, en France autant que sur le continent africain.

Y a-t-il aujourd’hui une politique africaine de la France ? Il y a évidemment des politiques bilatérales, il y a des grandes déclarations comme celle qui a été faite à Kinshasa mais une étude montrerait qu’il n’y a pas de grande vision, ni d’ailleurs de budgets alloués pour de grands projets.

Volontairement ou non, la France, dans ses limites, imite Washington. Les diplomates et militaires français travaillent essentiellement sur des crises et sur le contre-terrorisme. Il y a des politiques bilatérales, mais fondamentalement, il n’y a pas d’approche continentale. Quand on parle d’Afrique en France on pense à l’Afrique francophone, et surtout à l’Afrique de l’Ouest, ce qui est un scandale à tout point de vue mais nos hommes politiques n’ont pas beaucoup changé malgré le travail des diplomates. Quand on va au-delà du contre-terrorisme, c’est pour poser d’une façon discutable la question des migrants, rapidement pensée en termes sécuritaires. On  peut donc faire de nombreux procès à Hollande mais, en même temps, il faut noter que de ce point de vue-là, il s’inscrit dans la continuité des autres chefs d’états occidentaux, notamment David Cameron.


Qui a profité de ce vide ? Les Etats-Unis, la Chine ? Quels sont les principaux indicateurs du recul français en Afrique ?

La France peut signifier beaucoup de choses : diplomatie, secteur privé notamment , ce qui n’est pas la même chose. La France est en train d’apprendre, d’une façon douloureuse, que les relations entre secteur privé français et africains diffèrent assez radicalement de la gestion diplomatique d’Etat à Etat. Hollande, comme d’autres avant lui, a à un certain moment la tentation colbertiste d’intervenir. On se rappellera d’Hollande sur Areva au Niger, pour s’en féliciter ou pour le critiquer. Sarkozy était aussi très actif, chacun avec des succès plus ou moins importants. On assiste à une double différenciation ; D’un côté, notre appareil d’état n’est pas homogène : les militaires font des choses que les diplomates ne peuvent faire ; ils n’ont ni les mêmes délais ni les mêmes budgets. Les politiques de développement pour faire la différence ont besoin de plus de temps qu’une intervention militaire et, pourtant, on le sait à terme c’est ce qui comptera.. Le secteur privé a une toute autre flexibilité et ses comportements suivent des règles en Afrique et ailleurs qui ne sont pas forcément dictées par l’exercice diplomatique.

L’Afrique, comme l’Europe à bien des égards, existe et n’existe pas. On a 54 pays avec des comportements, des régimes politiques et des milieux d’affaires différents. Mais ce qui frappe, c’est que l’Afrique dont on parle en France reste l’Afrique francophone qui se résume en plus trop souvent à la Côte d’Ivoire et au Sénégal. Les milieux d’affaires ont évolué plus vite et plus radicalement que notre classe politique. Il faut rendre hommage aux diplomates et aux conseillers militaires qui, avec abnégation, font la leçon aux politiques souvent durs d’oreille.

Chine et Etats Unis ont des avantages comparatifs indéniables par rapport à la France. Mais la compétition n’est pas la même suivant les secteurs considérés. La Chine, par exemple, est mauvaise sur les produits financiers alors que les. s banques sont une réussite de la présence française sur le continent. Sur le pétrole, les français savent faire sur le profond et l’ultra profond par exemple. Par contre, pour tout ce qui concerne les grands travaux publics, les Chinois se débrouillent mieux. Ils associent souvent des accords de construction d’infrastructure avec des accords d’exploitation minière. Ils compensent des profits bas dans la construction avec des bénéfices substantiels dans le secteur minier. De plus, il y a une compétition mais aussi des collaborations possibles entre les firmes. Au niveau pétrolier, c’est une pratique courante. Donc, on est face à une situation plus complexe qu’une ancienne puissance coloniale qui vieillit mal avec des pays à potentiel de super puissance comme les Etats Unis et la Chine. La France ne gagne pas et, même, perd très certainement des parts de marché dans des secteurs où elle brillait d’ou les inquiétudes de M. Fabius et des organisations patronales. Mais les raisons pour laquelle la France perd ne sont pas uniquement liées à la performance du seul secteur privé.

Les réseaux de la Françafrique ont-ils eux disparus ? Sinon, au bénéfice de qui subsistent-ils ?

La Françafrique, ça a été un grand projet de civilisation, un projet commun qui aurait associé à la France des colonies ou d’anciennes colonies françaises dans un avenir commun. C’est quelque chose qui n’a pas existé, la décolonisation s’est faite, et nous-mêmes avons évolué et coupé beaucoup de liens avec l’Afrique. Ce qui reste, ce sont surtout des réseaux d’affaires que l’on voit de façon sulfureuse car ils s’inscrivent souvent dans une zone d’ombre entre intérêts privés et publics, etc. La confidentialité de ces réseaux est aussi une façon d’éviter tout débat public. Cela existe encore, leur force est variable. Pendant la présidence Chirac, on a eu un premier moment de grande réaffirmation de ces réseaux-là ; puis les diplomates de la cellule africaine ont tenté de faire un peu le ménage, peut-être pas avec l’énergie nécessaire. Les « africanistes » de la cellule diplomatique sous Sarkozy ont aussi essayé de contenir ces réseaux mais n’ont pas eu le soutien politique nécessaire. Hollande ayant assez peu de relations avec le monde des affaires influant en Afrique, ces réseaux aujourd’hui semblent marginalisés. Il n’y a pas de vide, dans la mesure où on a plus de politique de grande influence sur le continent africain. Le problème est que le réseau diplomatique français a énormément souffert de la crise depuis plus d’une décennie et aurait besoin d’un véritable aggiornamento professionnel en plus de moyens accrus. Pour des raisons compliquées, les jeunes diplomates sont beaucoup moins intéressés par l’Afrique que dans le passé. Cela correspond à des évolutions de mentalités, de postures politiques, de crispations professionnelles, mais on peut repérer dans la société française un manque d’ouverture d’esprit croissant sur les réalités plurielles et contradictoires du continent.


Qu'en est-il de la coopération militaire ? En quoi a-t-elle changé ? La France est-elle aussi sur ce point-là en concurrence avec d'autres ? Quels risques potentiels cela représente-t-il ?

Une des choses qui restera dans l’histoire c’est la volonté impulsée par Sarkozy de faire évoluer les traités de défense que la France avait avec un certain nombre de pays africains, notamment  de supprimer la clause qui stipulait un appui militaire français en cas de rebellions interne. Dès le début des années 80, la coopération militaire française s’est essoufflée. On voit aujourd’hui comment la lutte contre le terrorisme permet aux militaires de réinvestir ce champs-là. On offre ainsi aux pays francophones de nouvelles possibilités, tout en réveillant de vieux fantasmes sur la « recolonisation » du continent ou ladite vocation à jouer les gendarmes du continent (surtout francophone). En fait, les Français sont dans une hésitation : ils veulent maintenir une présence et voient l’intérêt de monter des opérations européennes de formation telles qu’elles existent aujourd’hui dans des pays du Sahel ou en Somalie. Mais on peut rêver à une meilleure synergie  si Paris et ses homologues européens font preuve d’un peu plus de réalisme et aussi d’anticipation. Mais la France reste un peu seule, et pas seulement à cause des gaffes récurrentes de ses présidents ou de ses ministres. Rien de comparable avec les Etats Unis qui, depuis 2008 et la création d’AFRICOM, sont omniprésents dans les programmes d’entraînements, sans avoir réellement de présence militaire importante au sol : les US  forment les armées locales, obtiennent des bases secrètes pour la CIA et des drones, et évidemment pour ses forces spéciales. Les Français sont aussi dans ce type de dynamique mais avec d’autres ancrages historiques.

La question qui se pose c’est le type de politique qu’on entérine plus ou moins volontairement. Par exemple, le Tchad est un pays qui a envoyé des troupes se battre au côté des soldats français au Mali et qui a mené des opérations qui ont frappé Boko Haram et, de ce point de vue-là,  ce pays a tout pour être un allié dans la lutte contre le terrorisme. Mais en célébrant cette coopération militaire, on a perdu toute capacité de soutenir une ouverture politique dans le régime d’Idriss Déby et on est train, volontairement ou non de légitimer un appareil militaire qui est d’abord la garde prétorienne d’un régime autoritaire. Toutes les réformes de gouvernance qui seraient nécessaires pour limiter une expansion de courants extrémistes au Tchad et ailleurs ne seront pas menées par l’actuel régime. C’est une contradiction singulière dans laquelle s’est enfermée la politique française. Les Français sont très contents qu’Idriss Deby investisse dans son appareil militaire, mais quand vous êtes au Tchad, la population vous dit que « oui mais pourquoi les Zaghawa, le groupe ethnique d’Idriss Deby, monopolisent les ressources de l’Etat par le biais du renforcement de l’appareil militaire alors que le reste de la population vit dans la misère, dans l’arbitraire d’un régime policier».

Plus globalement, quel prix la France paie-t-elle pour son désengagement du continent ? En quoi la facture va-t-elle être amenée à s'alourdir dans les années qui viennent ? Pourra-t-on reprendre pied ?

La France ça veut dire beaucoup de choses en même temps. La France, de fait, est revenue à son pré carré (l’Afrique francophone) mais si elle ne le considère plus comme son pré carré. Ce rétrécissement de notre entendement du continent est une erreur, qui n’est pas reproduite par les milieux d’affaires.  Ainsi du développement des investissements français dans un pays comme le Kenya qui n’est pas francophone, sans même évoquer ici le Nigéria ou l’Afrique du Sud… Mais cette incapacité à aller au-delà de l’Afrique francophone ne date pas de Hollande ni de Sarkozy. Ce sont des logiques de  bureaucraties, mais aussi l’influence des chefs d’Etat de l’Afrique francophone. Notre vision des réalités du continent au-delà des pays francophones s’est réduite et la France en paiera le prix. Ce n’est pas forcément inéluctable, mais pour l’heure la France peine à réinventer des politiques de coopérations, des partenariats, ou de vraies politiques de développement.  On se complaît un peu dans le succès apparent de nos interventions militaires, alors même que les conflits durent et changent de nature.

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