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Après la couleur de peau, l’origine et le sexe, le "physique"… Jusqu'où doit aller la lutte contre les discriminations à l’embauche ?
©Reuters

Critères de sélection

Après les discriminations à l'embauche liées aux origines, au genre, à l'orientation sexuelle, au lieu de vie, etc., c'est au tour de la discrimination liée au physique d'être épinglée par la dernière étude du Défenseur des droits, rendue publique ce lundi. Une logique du "toujours plus" qui anime la lutte contre les discriminations à l'embauche, alors que celle-ci constitue un frein pour les employeurs.

Jean-François Amadieu

Jean-François Amadieu

Jean-François Amadieu est sociologue, spécialiste des déterminants physiques de la sélection sociale. Directeur de l'Observatoire de la Discrimination, il est l'auteur de Le Poids des apparences. Beauté, amour et gloire (Odile Jacob, 2002), DRH le livre noir, (éditions du Seuil, janvier 2013) et Odile Jacob, La société du paraitre -les beaux, le jeunes et les autres (septembre 2016, Odile Jacob).

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Atlantico : Ce lundi, le Défenseur des droits a publié une étude, réalisée conjointement avec l'OIT (Organisation internationale du Travail) et menée auprès de chômeurs et chômeuses, révélant que 8% des personnes interrogées estiment avoir fait l'objet de discriminations à l'embauche en rapport avec leur physique, chiffre encore plus important pour les femmes. Au-delà de l'apparente injustice que représente ce chiffre, peut-on faire abstraction de tout critère physique dans le processus de sélection d'un employé ?

Jean-François AmadieuIl y a des emplois pour lesquels il peut être nécessaire que la personne ait des caractéristiques physiques particulières. Ceci est d'ailleurs admis. Le droit de la discrimination en Europe, et en France, permet de justifier ces discriminations physiques s'il y a des exigences de l'emploi, même si les cas sont plutôt rares. Par exemple, si l'on prend la profession de déménageur, on ne va pas employer quelqu'un de fluet ; de même que pour la profession de pompier : une femme d'1m50 ne pourra légitimement pas exercer cette profession du fait de sa taille. Il ne faut pas que le droit de la discrimination devienne absurde par rapport aux nécessités de l'emploi.

Le problème, c'est que le physique n'a pas toujours sa place comme critère. Je parle bien là des caractéristiques corporelles et non pas de l'apparence, du look (coiffure, maquillage, piercing, tatouages, etc.), ou de la tenue vestimentaire. Pour certains emplois, les caractéristiques corporelles comme critères de sélection existent et sont admises, et dans d'autres cas (beaucoup même), on trouvera que le motif n'est pas suffisant. Par exemple, si vous êtes à la recherche d'un(e) comptable, on ne voit pas en quoi le critère physique constitue un motif de recrutement. Quand on regarde les discriminations liées à l'apparence physique, on constate que dans un certain nombre de cas, le recruteur est séduit par le candidat, sans que cela soit nécessaire pour le poste, comme dans la vente par exemple. Parfois donc, la discrimination liée au physique est induite par le recruteur lui-même qui s'est laissé séduire, sans tenir compte des nécessités de l'emploi.

Si l'on considère la vente plus en détails, certains conçoivent tout à fait que pour être vendeur dans un magasin ou en charge de l'accueil, il faudrait être jeune et joli(e), et demandent donc à ce que cela soit érigé en critère de sélection (quand cela n'est pas déjà fait dans certains lieux de vente). Ces deux critères relèvent de l'apparence physique. Or, dans l'apparence physique, on retrouve aussi la couleur de peau, mais également le handicap physique. Si le propriétaire d'un magasin affirme que pour la bonne santé de son commerce, il ne peut pas non plus embaucher une personne handicapée, à la peau noire ou vieille, les autorités publiques lui tomberont dessus en lui disant qu'il pratique de la discrimination ; et il ne pourra pas le faire, même s'il argue que c'est pour la bonne santé de son commerce. Il y a donc un paradoxe. 

On comprend qu'un employeur souhaite, notamment dans certains corps de métiers où cela est nécessaire, que son futur employé soit en bonne santé. Le physique n'en est-il pas un indice parmi d'autres ?  

A propos de la "bonne santé", il faut savoir qu'il y a des cas où l'on admet que la bonne santé est un facteur nécessaire de recrutement (les pompiers, les militaires par exemple). Néanmoins, l'état de santé fait partie des discriminations tombant sous le coup de la loi pour la très grande majorité des autres professions. Un fait indéniable : beaucoup de recruteurs tirent des conclusions par rapport au physique. Cela concerne notamment l'obésité. Les recruteurs considèrent, en général, que l'obésité est l'annonce de problèmes de santé à venir, ce qui explique que les personnes obèses puissent être frappées par ces discriminations. 

Un physique avantageux (ou athlétique) ne peut-il pas être légitimement considéré comme un atout dans certains emplois (vente, accueil, etc.) ?

Le problème est là : dans certains cas définis par la loi, il est possible de justifier des exigences de l'emploi liées au physique. Dans le cas de l'accueil et de la vente, on ne peut pas se borner avec des arguments du type "le client préfère" ou "c'est mieux pour la santé de mon commerce". Si on le fait pour un critère de discrimination comme le physique, alors on doit le faire également pour les autres.

Concernant les postes d'accueil en particulier, il y a une distinction à faire suivant les types d'accueil : pour certains salons, comme celui de l'automobile ou de l'érotisme, certaines hôtesses d'accueil peuvent sans doute être recrutées sur critères physiques, mais cela n'est pas vrai dans les faits sur tous les postes d'accueil, comme l'accueil en entreprise par exemple. Les agences d'hôtes et d'hôtesses utilisent les mêmes critères pour tout le monde, même si l'on sait que chaque profil a une utilisation particulière.

On ne peut pas imaginer pour les métiers de la vente ou de l'accueil de légitimer un critère d'âge, de la silhouette ou celui de la couleur de peau ou du sexe. Les entreprises L'Oréal et Garnier avaient d'ailleurs eu des problèmes judiciaires il y a plusieurs années parce qu'elles cherchaient des démonstratrices jeunes, de sexe féminin, faisant une taille 40-42, blanche de peau. La Cour de Cassation avait estimé qu'elles discriminaient pour des postes de démonstratrice. On voit que cela devient difficile à partir du moment où l'on dit que les exigences du chiffre d'affaires, de la clientèle, etc. motivent à la mise en place de critères physiques, car cela permettrait de légitimer, au même motif, les autres critères de discrimination ; et à terme, le droit de la discrimination disparaîtrait.

Se reporter à l'échelle européenne permet de saisir l'étendue du problème : en décembre dernier, la Cour de justice de l'UE a reconnu l'obésité comme un handicap. Potentiellement, dans la plupart des pays européens, et notamment pour les métiers concernés par le rapport à la clientèle (restauration, vente, accueil, etc.), il sera également question aussi de l'obésité. C'est la jurisprudence, encore faible aujourd'hui, qui établira les cas dans lesquels il est admis que l'employeur recherche une personne mince ou avenante physiquement.

Aborder ce point juridique permet de préciser que l'apparence physique n'est présente que dans la législation française, mais pas dans les autres pays. C'est pour cette raison, en partie, que les législateurs européens mais également américains considèrent l'obésité comme un handicap. Aucun pays donc, à l'exception de la France, n'a pu concevoir dans sa législation que l'apparence physique (vêtements, look général, tatouages, piercing, etc.) pouvait relever de la discrimination physique. Stricto sensu, les caractéristiques physiques (taille, poids, sexe) les plus légitimement reconnues à l'échelle mondiale sont ce sur quoi les personnes ne peuvent pas avoir de prise, contrairement à l'apparence sur laquelle l'individu peut avoir une influence (coupe de cheveux, tatouages, vêtements, etc.). A l'échelle mondiale donc, les législateurs trouvent normal d'intervenir pour ce qui relève de discriminations liées aux caractéristiques physiques, pour lesquelles l'individu ne peut rien. Le problème français révélé par cette étude du Défenseur des droits, c'est d'avoir étendu les motifs de discrimination liée au physique sans établir de distinction entre ce qui relève des caractéristiques corporelles et ce qui relève de l'apparence, ce qui peut biaiser un peu la lecture de cette étude. Dans certains métiers, comme la vente encore une fois, il est normal d'être à la recherche de candidats ayant une bonne présentation ; mais cela ne doit pas être mélangé avec le poids et la taille. Pour les études que j'ai menées sur le sujet avec la Sofres, cette méthode de distinction entre ce qui relève du physique et ce qui relève de l'apparence était scrupuleusement appliquée. C'est ce qui se fait également à l'échelle du droit communautaire et plus largement à l'échelle mondiale (notamment aux Etats-Unis). En n'établissant pas cette distinction, le Défenseur des droits affaiblit la démonstration qui est faite : vous ne pouvez pas expliquer à un recruteur du secteur bancaire qui voit arriver un candidat en tongue et en bermuda, avec des tatouages et des piercings partout, qu'il n'y a pas de problème à cette présentation, et qu'en lui expliquant les codes, dès le lendemain, il changera son apparence ; cela n'est pas réaliste. 

Quelles sont les limites de la chasse aux discriminations, parfaitement légitime lorsqu'il s'agit d'origine ethnique par exemple, sachant que toute sélection implique nécessairement une "discrimination" entre candidats, au sens premier du terme ?

Le droit de la discrimination, qui est né hors de France mais qui y a fait son apparition par le biais de conventions internationales, a commencé avec la question raciale et celle du genre. Mais très vite, la tendance a été, dans divers pays, d'augmenter les motifs répondant à ce droit : le lieu d'habitat, l'orientation sexuelle, etc. Face à l'explosion de ces motifs, certains se demandent jusqu'où ira-t-on ? Car cela constitue aux yeux des employeurs un frein à l'action. Ce qu'il convient de remarquer, au plan international et si l'on regarde dans le détail l'étude publiée ce lundi par le Défenseur des droits, c'est que les individus réclament eux-mêmes ces protections. Le problème avec la logique du "plus" précédemment évoquée, c'est qu'ensuite, les autorités ne peuvent plus avancer d'arguments pour reconnaître tel motif comme discriminant et pas un autre. Pourquoi privilégier un motif plutôt qu'un autre ?

L'une des solutions serait de parvenir à généraliser l'évaluation technique des candidats lors du recrutement, la seule qui met à l'épreuve les réelles compétences du candidat (test professionnels ou d’aptitudes par exemple). Car encore une fois, le physique n'est un impératif de recrutement que dans de rares cas. Recruter, c'est sélectionner et donc discriminer au sens positif du terme, mais si on le faisait sur de véritables critères d'évaluation, le reste, comme le physique, n'aurait peut-être pas autant d'importance. Malheureusement, les recruteurs ne disposent pas des outils techniques permettant de réaliser l'évaluation d'un candidat comme il se doit. Un recruteur a en face de lui une personne à la corpulence forte : nombreuses sont les études à montrer que ces personnes-là ne sont pas perçues par les autres comme intelligentes. Or, avec mon équipe, j'ai réalisé plusieurs études, sans jamais les avoir rendues publiques, dans lesquelles on évaluait des visages d'individus que l'on soumettait ensuite à des tests d'intelligence. Ce qu'il en est ressorti, c'est qu'il n'y a aucune corrélation de ce genre : un individu qui a une tête d'imbécile ne l'est pas forcément, quelqu'un de beau n'est pas forcément intelligent, etc. En France, les employeurs sont assez réticents à faire passer des tests d'intelligence, à tort. La sélection aujourd'hui est encore artisanale. 

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