Appel au don pour un scanner à comptage photonique, ce socialisme intellectuel qui crée des polémiques inutiles<!-- --> | Atlantico.fr
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Sur ses réseaux sociaux, l'hôpital européen Georges-Pompidou, rattaché à l'AP-HP, a lancé un appel au don pour acheter un « scanner à comptage photonique ».
Sur ses réseaux sociaux, l'hôpital européen Georges-Pompidou, rattaché à l'AP-HP, a lancé un appel au don pour acheter un « scanner à comptage photonique ».
©Thomas SAMSON / AFP

Fausse polémique ?

Philippe Juvin est chef des urgences à l’Hôpital Georges-Pompidou à Paris. Il dénonce les multiples critiques apparues après l’appel au don lancé par son établissement pour finaliser l’acquisition de cet équipement de haute technologie.

Philippe Juvin

Philippe Juvin

Philippe Juvin est professeur de Médecine, chef du service des urgences, HEGP, Paris. Il est également député des Hauts-de-Seine et conseiller municipal de La Garenne-Colombes.

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Atlantico : Sur ses réseaux sociaux, l'hôpital européen Georges-Pompidou, rattaché à l'AP-HP, a lancé un appel au don pour acheter un « scanner à comptage photonique ». Cette demande a interpellé les internautes et a été très commentée sur les réseaux sociaux. Que faut-il penser de cette démarche ? S’agit-il d’une fausse polémique ?

Philippe Juvin : C’est une polémique qui n’a pas lieu d’être dans ces termes. Je comprends les critiques motivées par la dégradation de l’hôpital public mais elles se trompent de cible. J’y reviendrai. Beaucoup d’hôpitaux privés et publics font régulièrement appel aux dons privés. Il n’y a rien d’inhabituel. Les centres de lutte contre le cancer le font depuis longtemps, comme la recherche publique avec le Téléthon. Sans parler des pièces jaunes qui aident les hôpitaux. La preuve, c’est que depuis 2015, l’Assistance Publique Hôpitaux de Paris (APHP) a récolté plus de 100 millions d’euros de dons de personnes privées et de mécénat. Avec cet argent, l’APHP ne finance pas les salaires ni ne boucle ses fins de mois : elle finance des projets innovants, de recherche ou d’amélioration des conditions d’accueil des patients. C’est le cas ici. Ma lecture serait évidemment très différente si ces dons venaient combler des budgets insuffisants, et particulièrement des budgets de fonctionnement. Ce n’est pas le cas et l’APHP a fait de grands investissements pour mettre à niveau son parc radiologique.

Quels sont les atouts de ce scanner à comptage photonique sur le plan médical ?

Ces scanners de nouvelle génération ont des détecteurs de signaux très performants. Ils permettent d’obtenir des images du corps de meilleure qualité, et donc des diagnostics plus précis que les scanners actuels. Ils sont particulièrement performants pour les vaisseaux. Ils sont aussi le grand avantage d’être moins irradiants : en utilisant moins de rayons X que les scanners habituels, ils affectent moins le corps humain. Cela est très précieux chez les enfants dont les tissus en croissance sont plus sensibles aux rayonnements que ceux des adultes. Il y a quelques scanners de ce type en France. Avec celui de l’hôpital Pompidou, cela en fera deux à l’APHP (l’autre étant prévu à Necker pour les enfants) en plus de ceux installés en France (Lille, Monaco, Bordeaux, Villejuif et un à Lyon d’un autre type). Il est vrai que nous avons du retard avec l’Allemagne qui est déjà très équipée. Mais il n’y en a pas du tout en Espagne, au Portugal …

Cet appel aux dons doit nous interpeller sur l’état du système de santé en France ? L'appel aux dons des hôpitaux privés et publics est-il habituel ? Est-ce le reflet de la dégradation des services publics ?

Cet appel aux dons rentre dans ce que les Anglo-Saxons appellent le Charity-Business. Il est frappant de voir le socialisme intellectuel dans lequel sont enfermés, parfois sans s’en rendre compte, les élus qui ont critiqué cet appel : en critiquant cet appel aux dons, ils avouent en substance attendre que l’État règle tout. Ils n’envisagent pas un instant d’autres solutions. Moi je suis bien élevé et libéral. Je suis bien élevé : quand on me donne de l’argent, je dis merci. Et je suis libéral : je trouve très bien que les Français puissent volontairement financer de projets qu’ils auront eux-mêmes sélectionnés. J’approuve le mécénat et les fondations. Non seulement je ne critique pas ces dons, mais je trouve qu’on devrait encore plus les favoriser. Lors de la campagne pour l’élection présidentielle, j’avais même plaidé pour l’impôt volontaire, c’est-à-dire pour que les contribuables puissent définir à quelle politique publique une partie de leur impôt sur le revenu devait être affectée. On pourrait faire le lien avec cet appel au don : je préfère choisir de cotiser pour une dépense (en l’occurrence un scanner) que j’aurais moi-même sélectionnée, plutôt que payer toujours plus d’impôts pour des dépenses dont j’ai parfois du mal à comprendre l’efficacité.

Un tel don n’est-il pas préférable plutôt que des dépenses publiques opaques qui ne bénéficient pas toujours réellement au bon fonctionnement des services publics ou des hôpitaux ?

Faut-il pour autant balayer l’émotion vue sur les réseaux sociaux ? Non, car elle est réelle même si elle se trompe de cible. Ceux qui sont choqués par la dégradation des services publiques, et particulièrement de l’hôpital, ont vu dans cet appel aux dons une nouvelle preuve de cette dégradation. Or ce n’est pas le cas puisque ces dons ne financent pas le quotidien mais permettent d’accélérer l’innovation. Ce scanner nouvelle génération était déjà financé à 80% et le reste était programmé pour dans un ou deux ans. Mais cette erreur sur la finalité du don n’enlève rien au fait que les services publics se dégradent bel et bien. Pendant la campagne présidentielle, j’avais été le seul candidat à poser la question des services publics et du fait que les Français payaient toujours plus d’impôts et de taxes pour toujours moins de services. Ils n’en ont pas pour leur argent et ont raison d’être excédés. Rendre nos services publics moins coûteux et plus efficaces devrait être une grande ambition nationale. Cela passe par la débureaucratisation, la simplification des démarches, la redistribution des fonctionnaires du back-office au guichet, le fait de préférer une baisse des impôts à une politique du chèque, l’évaluation de la qualité du service rendu, la fermeture des services redondants, la décentralisation de grande proximité, l’affirmation que la qualité du service rendu prime sur la nature juridique de celui qui délivre le service (c’est pourquoi je préfère parler de services aux publics plutôt que de services publics), une véritable politique de ressources humaines dans la fonction publique (l’enjeu véritable des hôpitaux est celui des effectifs) ... Cela passe aussi par la transparence sur les résultats des services publics. J’ai l’habitude de prendre toujours le même exemple pour en illustrer le principe : en médecine, on sait qu’en cas de chute, les patients âgés se fracturent souvent le col du fémur. Si elle n’est pas opérée dans les 48 h, cette simple fracture devient grave avec une importante mortalité et morbidité. Or des délais supérieurs à 48 h ne sont plus rares. Une mesure simple consisterait à exiger des hôpitaux publics et privés qu’ils publiassent le délai entre la chute et la fracture. A quoi cela servirait-il ? Ceux qui opèrent avec retard feraient naturellement tout pour opérer plus vite. Ce qui améliorerait le service public sans augmenter les dépenses. La transparence des résultats améliorera donc la qualité du service public.

Enfin, et je l’ai dit maintes fois à l’Assemblée nationale, la dégradation des services publics n’est que le symptôme de la paupérisation du pays : avec 3000 milliards de dette, le spectre d’une crise à la grecque devient probable. Et là, des dons volontaires ne suffiront pas. La résolution de cet hyperendettement devrait être l’obsession de ceux qui nous gouvernent. Plutôt que de couiner parce qu’on demande aux Français qui le souhaitent d’acheter un scanner, les indignocrates professionnels et ceux qui ont participé à l’émotion des réseaux sociaux devraient s’inquiéter de la dette. Sinon, le réveil sera douloureux.

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