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Antipolitiques : pourquoi la Toile est devenue l’instrument d’une nouvelle forme de populisme
©Reuters

Bonnes feuilles

Connaissez-vous Beppe Grillo ? Naguère comique dans des émissions de variétés, il est aujourd’hui à la tête du "Mouvement 5 étoiles", qui prône l’établissement d’une démocratie directe et cybernétique, et dispose d'un tiers des députés au Parlement italien. Ces antipolitiques représentent un phénomène inquiétant qui commence à s'implanter aussi dans l'Hexagone à la faveur de la désaffection pour la politique et du web 2.0. Extrait de "Les antipolitiques", de Jacques de Saint Victor, publié chez Grasset (2/2).

Jacques  de Saint Victor,

Jacques de Saint Victor,

Jacques de Saint Victor, historien du droit et des idées politiques, est professeur des Universités à Paris VIII - Vincennes. Il est l’auteur de nombreux ouvrages, dont Un pouvoir invisible (Gallimard, 2012) qui a reçu le prix de l'essai de l'Académie française.

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Ces « nouveaux subalternes » posent un véritable casse-tête aux spécialistes du « populisme ». Pour la plupart des politologues, la mouvance « populiste » se définit d’abord et avant tout comme une réaction contre le progrès (Seymour M. Lipset). Daniel Bell en parle même comme d’une « révolte contre la modernité ». Or, tous les chefs de file du cyberactivisme et de la mouvance antipolitique ne sont pas du tout des adversaires du progrès technologique. Ce sont au contraire des promoteurs du Web qui, s’ils peuvent se trouver socialement en marge, comme certains hackers, sont très à l’écoute des nouvelles technologies. Pour bien comprendre la dimension « populiste » des cyberactivistes et des antipolitiques, il faut revenir aux trois conceptions classiques du mot « peuple » que rappelle Laurent Bouvet dans Le Sens du peuple. Le populisme « socio-économique » fait appel au « peuple » comme classe sociale, regroupant alors tous les « déshérités », ceux qu’un chercheur appelle avec mépris les « perdants de la modernité » (Betz). Les « populismes » russes et américains de la fin du xixe siècle sont nés pour défendre ce petit peuple des communautés paysannes ou artisanes menacé par la seconde révolution industrielle et méprisé par l’histoire économique. Sans la moindre condescendance, on peut voir dans ce « populisme » une forme d’humanisme. Il n’a rien à voir avec le populisme « culturel » qui se réclame, lui, du « peuple-nation ». Insistant sur le caractère « éternel » d’un groupe qui serait menacé par « l’étranger » ou l’immigré, cette tendance a émergé en Europe depuis les années 1990, du Front national en France jusqu’au Vlaams Blok en Hollande. Cette mouvance « identitaire » voit partout « l’ennemi de l’extérieur ». Mais il existe une dernière conception du « populisme » qui se réfère à un « peuple souverain » trahi par un ennemi de l’intérieur : les élites. Ce populisme anti-institutionnel s’attaque en particulier aux partis de gouvernement, accusés d’avoir capté la « volonté populaire ». C’est la seule forme de populisme dans laquelle s’inscrivent les courants antipolitiques et les protestataires du Net. L’ennemi du peuple est pour eux la « Caste » : la caste des politiciens, la caste des patrons, la caste des journalistes, etc. Les « nouveaux subalternes » empruntent au vocabulaire « populiste » sa simplification de la réalité et aussi son expression brutale. Grillo aime apostropher ses adversaires en les affublant de surnoms ridicules, Rigor Montis pour Mario Monti ou Valium pour Romano Prodi. Mais Grillo n’entend pas se confondre avec la droite extrême. Il se veut même un viatique contre les dérives extrémistes en Europe. « Sans nous, les populismes de droite auraient plus d’espace », prétend-il. De fait, ses troupes ne partagent pas les préoccupations des « populistes » classiques ; pas plus que les jeunes cyberactivistes qui n’ont pas, en général, de discours xénophobe ou hostile aux immigrés. Même quand ils occupent des places marginales dans l’ordre social (ce qui est de moins en moins le cas en raison des besoins en spécialistes du Web), les activistes du cyberespace ne sont nullement des « perdants de la modernité ». Ils sont sur une autre planète : ils se vivent comme le nouveau peuple sophistiqué de la Toile ; ils en sont même, pour certains hackers, les principaux héros.

Cette irruption des nouvelles technologies dans les mouvements de protestation pose un problème radical aux pouvoirs traditionnels. C’est un renversement historique de grande ampleur et un changement de perspective totalement inédit. Jusqu’à présent, la doxa dominante considérait avec mépris les mouvements populistes en les regardant comme « technophobes » et voués, par là même, aux oubliettes de l’histoire. A la fin de son enquête critique sur L’Emprise numérique, Cédric Biagini cite les études de think tanks conservateurs traquant toutes les mouvances hostiles au progrès technique que ces lobbys regardent comme une extension « de la défiance exprimée par une partie de la population à l’égard des élites en général ». Le diagnostic n’est plus tout à fait exact. La contestation des élites passe désormais aussi par les nouvelles technologies du Web. Les anarchistes libertaires ne sont plus seulement des luddites détruisant leurs machines, comme au début du xixe siècle. Ils sont de nos jours tout aussi favorables aux nouvelles inventions techniques que les grands dirigeants de la planète ; ils sont même parfois en avance sur ces derniers. C’est le grand renversement de la révolution 2.0. Pour les « nouveaux subalternes », comme pour les militants de l’antipolitique, la Toile est devenue l’instrument d’une nouvelle forme de populisme, un webpopulisme ultramoderne, qui se croit capable de « changer le monde ». Reste à savoir pour qui...

Extrait de "Les antipolitiques", de Jacques de Saint Victor, publié chez Grasset, 2014. Pour acheter ce livre, cliquez ici.

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