Annulation de l’agrément d’Anticor : les dessous d’une décision<!-- --> | Atlantico.fr
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L’association va probablement faire appel, et on verra ce qu'il se passera devant le juge d’appel.
L’association va probablement faire appel, et on verra ce qu'il se passera devant le juge d’appel.
©France Bleu

Jugement

Deux dissidents de l'association anti-corruption avaient saisi la justice administrative en juin 2021, estimant que la procédure de renouvellement avait été irrégulière.

Henri de Beauregard

Henri de Beauregard

Henri de Beauregard est avocat au barreau de Paris, agréé près la Cour Pénale Internationale.

Titulaire d’une maîtrise en droit public, et diplômé d’études supérieures en sciences politiques. Il conseille de plusieurs syndicats professionnels (Syndication National des Discothèques et Lieux de loisirs, APIIH…), il assiste aussi de nombreuses associations (Equipes d’Action contre le Proxénétisme, Associations familiales…), des élus (locaux et nationaux), et de nombreux chefs d’entreprises. Il est intervenu dans plusieurs dossiers à fort retentissement.  

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Atlantico : On a beaucoup entendu parler de l'annulation de l'agrément d'Anticor par le tribunal administratif de Paris. Que sait-on du dossier ?

Henri de Beauregard : Le jugement est public et accessible. Il y a eu des dissensions au sein de l’association Anticor, et à l’occasion de ces dissensions, certains ont fait valoir que l’absence de transparence sur des dons importants reçus par l’association pouvait introduire un doute sur son indépendance ou le caractère désintéressé de sa gestion. Par ailleurs, il y avait manifestement une forme d’opacité dans la gouvernance. Constatant cela, le Premier ministre (à l’époque Jean Castex) avait tout de même reconduit l’agrément sur la base de certains engagements correctifs de l’association. Or le tribunal juge qu’il aurait du se prononcer en l’état de la situation au jour de sa décision, sans pouvoir se fonder sur des engagements portant sur l’avenir.

Les conséquences de ce jugement sont importantes puisqu’Anticor ne peut plus se constituer partie civile dans les dossiers d’infractions financières et que sa constitution est ipso facto irrecevable dans les dossiers dans lesquels elle est actuellement constituée. 

Certains soulignent que c'est une décision politique et anti démocratique du gouvernement. Qu'en est-il réellement ?

C’est absurde : le gouvernement n’a pas de prise sur la décision. Le tribunal administratif ne dépend pas statutairement du pouvoir exécutif. Certains essayent d’établir des liens avec d’autres événements, comme la dissolution des Soulèvements de la Terre intervenue la même semaine, ce qui est ridicule et relève d’un complotisme à peine déguisé. D’ailleurs, et à nouveau, ce que le tribunal annule, c’est une décision du Premier ministre lui-même, qui avait renouvelé l’agrément d’Anticor après six mois de suspense en avril 2021! Le Premier ministre était donc défendeur devant le tribunal, et il y a bel et bien défendu sa décision, concluant au rejet de la requête. 

A quel point Anticor est-elle, par ailleurs, familière de procédures militantes ?

L’impression est que l’association accepte parfois de prêter une marque (« Anticor ») vendeuse et consensuelle (qui serait « pour » la corruption ?) à des opérations qui ressemblent parfois à des règlements de comptes. D’anciens membres ont également fait valoir qu’Anticor s’était ancrée à gauche et était, de fait, devenue asymétrique dans sa manière de dénoncer la corruption.

L’extrême-gauche a d’ailleurs été la première à se mobiliser pour dénoncer la décision, avant même qu’on en connaisse les motifs. Est-ce parce qu’elle seule serait vertueuse et désireuse de combattre la corruption ? Évidemment non. Il y a plus probablement, depuis des années, une forme de proximité idéologique entre une certaine gauche et la gouvernance d’Anticor.

L’association va probablement faire appel, et on verra ce qu'il se passera devant le juge d’appel. Anticor - qui entretient avec certains journalistes ou site d’information une proximité qui peut aussi interroger - communique beaucoup sur ses constitutions de partie civile, mais on sait moins le nombre de non-lieux ou de relaxes rendues dans les procédures ainsi engagées. Or les avocats connaissent bien le problème : il suffit de quelques jours pour entacher une réputation ou obtenir une démission mais quand, au bout de l’enquête, il y a un classement ou un non-lieu, personne n’en parle et aucune responsabilité n’est recherchée pour ces réputations abîmées. S’il y a certainement des procédures utiles à mettre au crédit d’Anticor, il faut placer sur l’autre plateau de la balance ces trajectoires brisées ou ces réputations injustement abîmées. Il n’y a pas d’utilité publique à ruiner des réputations.

Par choix ou paresse, pour multiplier les affaires ou elle est présente, Anticor consent à « prêter » son nom et son agrément à des personnes qui s’en servent pour des opérations politiques ou des règlements de comptes individuels. J’ai en tête un dossier dans lequel Anticor a déposé une plainte avec constitution de partie civile contre un élu via un avocat… qui, par un curieux « hasard », représentait également un collaborateur avec lequel l’élu visé avait un litige qui n’avait rien à voir. L’association ne devrait pas se prêter à ce genre de chose et gagnerait à sélectionner avec plus d’exigence les dossiers qu’elle porte, même s’il doit y en avoir moins. La cause est noble et utile. Elle mérite d’être portée par une association idéologiquement neutre et juridiquement irréprochable.

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