Annexions des régions ukrainiennes : quelle réaction adopter face à la fuite en avant de Vladimir Poutine ? <!-- --> | Atlantico.fr
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Vladimir Poutine s'est montré particulièrement virulent vis-à-vis de l'Occident.
Vladimir Poutine s'est montré particulièrement virulent vis-à-vis de l'Occident.
©KHALED DESOUKI / AFP

GUERRE

Le discours de Vladimir Poutine a constitué la quintessence de la rhétorique poutinienne, à savoir l'inversion de la charge : c'est lui l'agressé et non l'agresseur. Avec l'Occident comme bouc émissaire.

Emmanuel Dupuy

Emmanuel Dupuy

Emmanuel Dupuy est enseignant en géopolitique à l'Université Catholique de Lille, à l'Institut Supérieur de gestion de Paris, à l'école des Hautes Études Internationales et Politiques. Il est également président de l'Institut Prospective et Sécurité en Europe (IPSE). 

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Atlantico : Dans un long discours, Vladimir Poutine a officialisé l’annexion de quatre oblasts d’Ukraine (Donetsk, Louhansk, Zaporijia et Kherson). Que faut-il en retenir ? 

Emmanuel Dupuy : Le discours est un condensé de ce qu’il a dit les dernières années. En juin 2021, il avait déjà rappelé le concept de la Grande Russie et de la Petite Russie, impliquant qu’un certain nombre de territoires faisaient partie de la Russie. Avant l’intervention militaire en Ukraine, il avait déjà appelé à la protection des populations russophones dans les oblasts annexés. Il remettait également en cause l’indépendance de l’Ukraine en 1991. 

Avec le discours de vendredi, on a eu la quintessence de la rhétorique poutinienne, autrement dit l’inversion de la charge : ce n’est pas lui qui est responsable de la situation, il n’a fait que répondre à un appel au secours des populations russophones. Il a évoqué le coup d’Etat en Ukraine en février 2014, qui a selon lui permis de porter au pouvoir un gouvernement néonazi et russophobe. Plus largement, il accuse l’Occident de vouloir détruire la Russie. 

Notons que tous les pouvoirs institutionnels étaient réunis dans la salle Saint-Georges du kremlin : le secrétaire du Conseil de sécurité russe Nikolai Patrushev, l’ancien président de la Fédération de Russie Dmitri Medvedev, les autorités religieuses - avec la présence du patriarche Kirill -, des gouverneurs de région - dont le tristement célèbre Ramzan Kadyrov - et les membres de la Douma. L’objectif était avant tout d’avaliser les faux référendums sur l’annexion des quatre oblasts. 

Le second discours sur la place Rouge avait la volonté de donner l'impression que Poutine s'adressait à la population russe, galvanisant cette dernière. Dans ce discours, il a également voulu faire savoir au monde occidental qu’il défendait les valeurs traditionnelles. 

Plus généralement, les deux discours restent inquiétants et fermes, encore plus schizophréniques qu’avant. On sent bien la montée en puissance de la rhétorique nationaliste pour satisfaire ceux qui le pressent d’aller plus loin. 

À quel point Vladimir Poutine est-il dans ces dernières actions (pas seulement son discours) dans une stratégie d’intimidation de l’Occident dans ses volets :  militaire ;  énergétique ; politique ?

Il est dans la continuité de ce qu’il a pu dire ces derniers mois. Le théâtre d’opération n’a pas été modifié. Les forces ukrainiennes continuent de progresser. Le contrôle territorial exercé par la Russie est de 70% dans l’oublast de Zaporijia, 60% dans celui de Donetsk, 90% dans celui de Kherson et 99% dans celui de Louhansk. On assiste à une fuite en avant pour essayer de justifier la mobilisation partielle et de russifier le théâtre d’opération. Il y a une forme de dramaturgie derrière ça. 

Jusqu’où peut-on imaginer qu’il aille ? Certains observateurs pensent qu’il ira jusqu’au nucléaire. Même s’il bluffe, à quel point cela change la donne ? 

Aucun signal objectif d'une quelconque menace nucléaire qui ait changé de nature n’est avancé. Vladimir Poutine dit que la Russie a les moyens de se défendre. Autrement dit, il répète que l’Occident est l’agresseur et la Russie l’agressée. 

Sur le terrain, les troupes russes n’ont plus d'armement pour faire front à la contre-offensive ukrainienne. Vladimir Poutine tente de maquiller auprès de l'opinion publique russe l’échec de l'opération militaire spéciale. 

À quoi servirait l’usage d’armes nucléaires dans des régions qui viennent d’être annexées ? Cela contaminerait les soldats russes. Quelles seraient les cibles qui pourraient être visées ? La capitale Kiev ? La réponse américaine serait forte d’un point de vue conventionnel et les Etats-Unis voudront s’imposer en mer Noire. Il n’y a aucun intérêt stratégique à utiliser des armes nucléaires pour les Russes. 

En revanche, la guerre d’attrition multidimensionnelle se poursuivra. Il y aura bien à côté de ça une intensification des frappes contre les civils, avec une guerre qui se fait dorénavant hors limites au regard de l’utilisation de cibles militaires ou infrastructures critiques, comme le laisse penser le sabotage des gazoducs Nord Stream. La Russie ne frappe pas directement les pays de l'Otan mais tente de mettre le curseur là où l 'opinion publique russe ne comprendrait pas que la mobilisation partielle ne lui donne pas l’avantage. Je pense sincèrement que tout ça reste vain. 

Un scénario d’un isolement à la nord-coréenne est-il crédible ? 

Même si les soutiens ne sont pas aussi fermes que l’aurait imaginé Vladimir Poutine, le scénario à la nord-coréenne n'est pas envisageable. En revanche, Poutine a la volonté de couper les ponts avec l’Occident, ce qui pourrait justifier le sabotage des gazoducs et le fait de fustiger la responsabilité occidentale dans le déclenchement des hostilités. Poutine a d'ailleurs fait part du soutien russe auprès des pays émergents dans la décolonisation.

Comment répondre sans faillir ni prendre le risque d’un dérapage généralisé ?

Comme l’a rappelé le secrétaire général de l’Otan hier soir, les promesses d’armement doivent être tenues (il ciblait les Allemands qui bloquent certaines livraisons). Mais les capacités de production industrielles de nos industries de défense sont saturées. Par exemple, l'industrie américaine produit chaque année 30 000 obus ; or les Ukrainiens en utilisent 30 000 en deux semaines. On fait face à des problèmes de stocks, et nous devons faire attention à ne pas être pris au piège, non seulement pour notre propre sécurité mais aussi pour celle de l’Ukraine. 

Peut-on comparer la situation à celle observée lors de la guerre froide ?

Deux blocs ne se font pas face. La Chine et l’Inde restent hésitantes. Nous ne sommes pas entrés dans une logique binaire, mais la Russie tente de gagner quelques soutiens. 

Faut-il accepter que le risque s’impose à nous et qu’aucune stratégie d’apaisement ne peut rien y changer ?

Vladimir Poutine ira jusqu’à la victoire. Il ne peut pas se permettre de perdre donc il est difficile d’imaginer un apaisement possible dans les prochaines semaines voire les prochains mois. La pression exercée par les nationalistes l’a obligé à accélérer la mobilisation partielle et l’annexion des quatre oblasts à l’est de l’Ukraine. 

Aujourd’hui, les plus fervents défenseurs de Poutine ont le sentiment que l'opération militaire spéciale ne se déroule pas aussi bien que les officiels le disent, et mettent la pression sur Vladimir Poutine pour qu’il accélère l’opération militaire spéciale. 

Comment gérer la stratégie délibérée de la peur et de la mise en avant du comportement irrationnel ? Que dit la psychologie là- dessus ?

Pour les Russes, la rationalité n’est pas la même. Ils observent que le président Poutine rationalise ses discours et tente d’y apporter des éléments tangibles pour justifier ses actions. 

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