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Alerte sur le front des inégalités : le rectorat de Paris lance son algorithme contre le manque de mixité sociale au mépris de tous les retours d'expérience
©Reuters

Pompier pyromane

Plusieurs jours après la rentrée scolaire, le recteur de Paris a décidé d'utiliser pour 2017 un nouvel algorithme du nom d'Affelnet pour répartir les élèves lorsqu'ils passent du CM2 à la 6ème. Son objectif ? Enrayer la ségrégation sociale dans la capitale. Pourtant, le même système mais pour le passage du collège au lycée a montré quelques défaillances : le lycée Turgot, situé dans l'est de Paris affiche par exemple 83% d'élèves boursiers, soit un niveau bien supérieur aux autres.

Atlantico : Le rectorat de Paris a récemment annoncé son intention d'utiliser un algorithme à compter de 2017 pour mieux répartir les élèves qui passent du CM2 à la 6ème, en fonction de leurs origines sociales notamment. En quoi cette méthode d'affectation peut-elle être considérée comme inappropriée au regard de la question centrale qui est celle de la ségrégation territoriale ? 

Laurent Chalard : Par définition, les résultats d’un algorithme reposent sur un choix de critères de répartition des élèves effectué par l’administration qui sont ensuite entrés dans l’ordinateur. Donc, le résultat est loin d’être parfait si ces critères ne correspondent pas réellement à ceux permettant une réelle mise en place d’une mixité sociale, ce qui est le cas à Paris avec les trois critères retenus : un critère géographique (quatre secteurs : est, ouest, sud et nord), un critère de méritocratie (les résultats scolaires) et un critère d’origine sociale (le fait d’être boursier). En effet, les deux premiers critères vont à l’encontre d’un processus de mixité sociale. Par exemple, le critère géographique fait qu’étant donné la relative homogénéité sociale dans certains secteurs de la capitale (l’ouest en particulier), cela ne change pas grand-chose à la composition sociale moyenne des lycées dans les différents secteurs. En effet, à moins d’obliger les élèves de l’ouest à se déplacer à l’autre bout de la capitale, il ne peut y avoir de modifications radicales des caractéristiques de recrutement social des établissements scolaires parisiens. En conséquence, cet algorithme reproduit, parfois de manière différenciée de celui originel, comme c’est le cas pour l’exemple cité du lycée Turgot, des phénomènes de concentration de jeunes peu favorisés au sein du secteur est, où les boursiers sont les plus nombreux. 

A quels effets pervers ce type de politique peut-il aboutir ? Quels sont les risques, à terme, qui risquent de se matérialiser ? Le remède ne risque-t-il pas de renforcer le mal ?

Etant donné l’importance du critère géographique, les effets pervers de cette politique ne peuvent exister que dans le secteur est de la capitale, à la population socialement mélangée. En effet, jusqu’ici, il y existait de bons lycées, avec plus de mixité sociale qu’à l’ouest, qui risquent de voir leur niveau décliner, étant donné le caractère aléatoire de la nouvelle répartition des élèves. L’affectation au lycée public apparaissant comme une forme de loterie, les catégories sociales les plus aisées, qui détestent le hasard, risquent de les déserter privilégiant l’enseignement privé, non concerné par la mesure, ou trouvant des moyens, à travers, entre autres, le choix des options, pour inscrire leurs enfants dans les autres secteurs de la capitale. On risque d’arriver dans l’est parisien à la même situation qu’aux Etats-Unis dans les années 1960 où les politiques de busing ont conduit à l’effondrement du système scolaire public des grandes villes américaines, très rapidement déserté par les classes moyennes blanches. A terme, il existe un risque de disparition des bons lycées de l’est parisien, avec à la clé une désaffection des enseignants pour ces lycées.

Le remède risque effectivement de grandement renforcer le mal, réduisant fortement l’attractivité, aussi bien pour les élèves que pour les enseignants, des lycées de l’est parisien, qui avaient, jusqu’ici, des résultats très honorables. Se défausser sur la machine de la difficile question de la constitution d’établissements scolaires à mixité sociale n’est pas vraiment la solution !

Quelle est alors selon vous la part d'aveuglement politique sur le sujet ? Doit-on continuer à chercher de nouveaux mécanismes (ou ajuster ceux qui existent déjà) ou faut-il se résoudre à certaines réalités en la matière ? Quelles sont les solutions envisageables ?

La part d’aveuglement politique est totale, soit par naïveté, soit par cynisme. Les politiques de mixité sociale, qui s’apparentent, rappelons-le, simplement à une politique de mixité ethnique dans les grandes métropoles, n’ont jamais fonctionné, mais les dirigeants politiques français continuent malgré tout de les prôner en faisant une sorte de panacée à tous les problèmes sociaux du fait de leur incapacité à proposer de nouvelles solutions à un problème ancien, qui s’est accentué au fur-et-à-mesure du temps. Il n’y a pas de réelle volonté politique de régler ces problèmes, les politiques de mixité sociale mises en œuvre servent surtout à faire croire au reste de la population que l’on fait quelque chose.

Non, il faut complètement abandonner les politiques de mixité sociale totalement inefficaces et les remplacer par des politiques de justice spatiale, qui au niveau éducatif permettent à chaque enfant d’avoir les mêmes chances de réussite quel que soit l’établissement scolaire d’où il vient, qu’il soit composé d’enfants très favorisés ou peu favorisés. Pour cela, il faut que le niveau de sécurité et d’exigence de résultats comme celui du personnel encadrant soit le même partout, ce qui passe par plus de moyens dans les secteurs scolaires défavorisés. En effet, on ne peut malheureusement aller contre des processus d’entre soi inhérents à l’espèce humaine. Gouverner demande d’être pragmatique et non idéologique !

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