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Alerte rouge sur la psychiatrie française : la moitié des psychiatres seraient en burn-out ou en état de fragilité
©Flickr/Viajar24h.com

Qui soigne les soignants ?

Lors d'un congrès d'une des principales plateformes professionnelles des psychiatres français, une étude a été faite, peu rassurante sur la santé de ceux en charge de notre santé mentale.

Pierre Delion

Pierre Delion

Pierre Delion est pédopsychiatre. Il est l'auteur de plusieurs ouvrages telles que la Fonction Parentale, Accueillir et soigner la souffrance physique de la personne et plus récemment La consultation avec l'enfant aux Editions Elsevier Masson.

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Jean-Paul Mialet

Jean-Paul Mialet

Jean-Paul Mialet est psychiatre, ancien Chef de Clinique à l’Hôpital Sainte-Anne et Directeur d’enseignement à l’Université Paris V.

Ses recherches portent essentiellement sur l'attention, la douleur, et dernièrement, la différence des sexes.

Ses travaux l'ont mené à écrire deux livres (L'attention, PUF; Sex aequo, le quiproquo des sexes, Albin Michel) et de nombreux articles dans des revues scientifiques. En 2018, il a publié le livre L'amour à l'épreuve du temps (Albin-Michel).

 

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Atlantico : Lors d'un congrès de psychiatrie organisé par "L'Encéphale" une enquête a été effectuée sur 820 médecins psychiatres inscrits à ce congrès, qui a révélée que plus d'un tiers des psychiatres interrogés étaient vulnarables au burn-out. 66% d'entre eux se disent aussi épuisés et 89% frustrés. 85% disent avoir été témoins de violence. Au moins la moitié d'entre eux sont "fragilisés. Comment expliquez vous cette situation ?

Pierre Delion : L'augmentation des malaises de notre société amplifie la nécessité pour les psychiatres de recevoir de plus en plus les souffrances ordinaires (angoisses névrotiques au travail, en famille, avec les amis…) et extra-ordinaires (harcèlement, violence, persécution objective…) de leurs patients. Comme la consultation d'un psychiatre en ville n'effraie plus autant qu'auparavant, le nombre des consultants augmente singulièrement depuis plusieurs années.

Mais lorsque ces psychiatres ne sont pas suffisamment formés, notamment par une possibilité de parler en supervision individuelle ou en groupes (groupes Balint), des effets produits par l'accueil dans leur psychisme des souffrances de leurs patients, il arrive un moment où l'accumulation de ces souffrances transmises dépasse les capacités d'un psychiatre classique, et peut conduire au burn-out.

Ceux qui ont été formés à la psychanalyse tiennent mieux le choc, car ils sont formés à transformer les souffrances reçues en éléments acceptables pour le patient (redonner du sens aux symptômes présentés et les remettre en contexte dans l'histoire du patient). Et donc, voyant les effets positifs sur leurs patients, ils ont davantage l'impression de les aider vraiment. Une autre possibilité existe, celle de prescrire des médicaments sans écouter la souffrance de l'autre avec la même intensité, et cela aboutit à une psychiatrie qui se déshumanise rapidement. Il ne s'agit pas de discréditer les médicaments qui ont toute leur place dans le traitement proposé par un psychiatre, à la condition que les médicaments aident le patient à parler de sa souffrance pour redevenir acteur de son traitement, et non à être "camé" objectivement par ce traitement. Mais beaucoup de psychiatres travaillent non seulement en consultations (soit privées et libérales, soit en service public de secteur), mais aussi dans les services d' hospitalisation.

Là, les choses se compliquent singulièrement parce que les patients sont beaucoup plus gravement atteints (suicides, comportements délirants, violents, psychoses chroniques, schizophrénies, autismes graves…). Le niveau de souffrance est beaucoup plus élevé et les psychiatres et toutes leurs équipes soignantes se sentent débordées par l'ampleur de la tâche : accueillir quelqu'un qui souffre intensément, peut être agressif avec ceux là même qui le soignent, conduit les soignants à développer des stratégies défensives de distanciation vis à vis de ces patients, alors que c'est le contraire qui est recherché dans les soins de bonne qualité. tous les moyens qui avaient été développés par les acteurs de la psychothérapie institutionnelle (secteurs de psychiatrie, clinique de la Borde…) pour humaniser la psychiatrie (clubs thérapeutiques, prises en charge extra-hospitalières dès que possible, visites à domicile, actions culturelles avec les patients, voyages thérapeutiques….) ont été progressivement déconstruits par les administrations successives depuis vingt ans, quelque soient leurs couleurs politiques, non seulement par une diminution des moyens financiers (ce qui se traduit par des non remplacements de personnels partant en retraite) et en formation. La psychiatrie en général et les psychiatres en particulier, mais pas seulement eux et de loin, connaît une régression sans précédents depuis que des décideurs qui n'y connaissent décidément pas grand chose à ce domaine mais se font conseiller essentiellement par des comptables. Comme disait Bonnafé "on mesure le degré de civilisation d'une nation à la manière dont elle considère ses malades mentaux". Ce qui me fait penser que notre civilisation a du chemin à parcourir pour devneir simplement humaine.

La raison d'être du métier de psychiatre est souvent décrite comme cette possibilité importante de la "rencontre avec l'autre" pour le patient. Pourrait-on aussi considérer que le psychiatre intériorise et amplifie les malaises de notre société où l'individualisme isole de plus en plus les personnes ?

Jean-Claude Mialet : Posons-nous d’abord la question des raisons d’être de cette montée de l’hospitalisation qui épuise le personnel hospitalier et donne aux soignants, infirmiers et psychiatres de ne plus être que des garde-fous. J’ai connu, dans les années 70, une  époque heureuse où la tendance était strictement inverse. Grâce à la découverte de traitements efficaces, les hôpitaux étaient en voie de se vider ; un séjour temporaire suffisait à régler la crise ou une aggravation de leur état, les soins pouvaient être suivis à l’extérieur de l’hôpital et le patient n’était plus condamné à une vie régressive, hors du monde. Même lorsque la réhabilitation n’était pas complète, le patient avec l’aide de structures moins lourdes que l’hôpital – CMP, hôpitaux de jour – parvenait à vivre une vie semi-normale, au milieu des autres. Que s’est-il donc passé ? 

La société engendre plus de détresse : la précarité professionnelle et affective, l’effondrement des réseaux concrets de soutien humain remplacés par des réseaux virtuels qui masquent une vraie solitude, les difficultés matérielles que l’on rencontre dans une période de moindre prospérité, tout cela rend l’existence difficile aux plus vulnérables d’entre nous. La société est également devenue plus violente : la banalisation de la drogue n’y est sans doute pas pour rien - la cocaïne est aujourd’hui presque aussi répandue que le haschich. Mais il y a également une transformation des états d’esprit : le poing remplace volontiers le dialogue. Et cette société en mutation se montre, paradoxalement, très frileuse. Pas question de prendre le moindre risque. Si un individu instable menace l’ordre, il doit être neutralisé et le psychiatre sera rendu responsable de tout écart. On s’autorise donc moins de souplesse dans la prise en charge, ce qui évite les risques, prend moins de temps et d’argent qu’une prise en charge sur mesure.  

Venons en à votre question. La prise en charge sur mesure, c’est un peu ma spécialité, moi qui ait passé le plus clair de mon existence à assurer des soins hors de l’hôpital. Est-elle aussi aisée que par le passé ? J’en doute. L’évolution des rapports humains dans le monde d’aujourd’hui ne rend pas la relation facile. L’individualisme prend la forme d’une méfiance par rapport à l’autre qui ne favorise pas la rencontre. Le monde contemporain, semble-t-il, ne connaît que la performance et a oublié l’échange. Si l’on n’est pas bien, il faut trouver un professionnel à la hauteur qui vous redonnera le bien-être grâce à des techniques éprouvées. Quelle place pour une rencontre qui donne au patient l’impression qu’il n’est pas aussi seul, qu’on l’accompagne ? Un état d’esprit a donc gagné la société, les patients et peut être aussi, malgré eux, les psychiatres.  L’illusion de la maîtrise de tout, l’affolement devant l’imprévu entrave l’abandon nécessaire à l’échange confiant. 

Tout le monde y perd, le patient comme le psychiatre. Le choix de cette spécialité n’est en effet pas anodin. Si la vocation de médecin naît du souhait d’aider autrui parce qu’alléger la souffrance de l’être humain est porteuse d’un sens évident, l’orientation vers la psychiatrie va plus loin dans cette démarche ; il s’agit d’aller à la rencontre d’une souffrance humaine sans se protéger derrière une technique. On s’expose peut être davantage, mais on y gagne le partage vivifiant d’innombrables intimités. Et le patient, se sentant moins seul, est mis en confiance pour s’interroger sur lui-même. Mais ce travail ne s’avère possible que si l’on est prêt à cet échange, tant du côté du patient que du côté du psychiatre. Or notre époque n’est pas celle des débats, elle est plutôt celle des proférations : voir le spectacle que nous offrent les plateaux de télévision. Cette incapacité à échanger, à confronter son point de vue à celui de l’autre, qui semble aujourd’hui devenu la norme, n’affecte peut être pas grandement les soins dans beaucoup de secteurs de la médecine, mais elle n’est certes pas propice à l’établissement d’une relation thérapeutique de qualité dans le domaine de la psychiatrie.

L'augmentation permanente du nombre de patients (+300.000 entre 2010 et 2016) a entrainé une forte hausse de la psychiatrie hospitalière. Si la question des moyens alloués et des conditions de travail importe énormément, ne faudrait-il pas encourager la psychiatrie à sortir le plus souvent possible de l'hôpital ?

Pierre Delion : La psychiatrie hospitalière augmente sans cesse au détriment des prises en charge en dehors de l'hôpital. le seul moyen cohérent qui avait permis d'inverser ce processus, a été inventé au sortir de la deuxième guerre mondiale et s'appelle la psychiatrie de secteur. une même équipe prend en charge la psychiatrie préventive et curative sur un secteur géodémographique donné (70000 habitants pour la psychiatrie d'adultes et 200000 habitants pour la pédopsychiatrie). celui qui décide d'une hospitalisation est le psychiatre de secteur qui voit le patient en consultation au centre médicopsychoilogique de son secteur (en ville et non à l'hôpital). les statistiques montrent qu'il hospitalise un patient sur dix au grand maximum. si la psychiatrie de secteur est démembrée, ce qui est objectivement le cas depuis vingt ans, malgré des déclarations démagogiques de tous les politiques qui ont compris que les psychiatres tenaient à ce système, celui qui hospitalise en psychiatrie n'est plus le même psychiatre qui va s'en occuper en extrahospitalier et en hospitalisation, et donc la tendance lourde est d'hospitaliser le patient dès qu'il présente des troubles du comportement spectaculaires et trop souvent en urgence, alors que nous savons tous qu'une possibilité de le voir tous les jours en extra-hospitalier suffirait dans la plupart des cas, permettant ainsi de diminuer sensiblement les hospitalisations inutiles. de plus, les patients n'étant pas assez écoutés (non pas que les soignants ne le veuillent pas, mais ils sont débordés par l'affluence)ils deviennent vite demandeurs, puis agressifs et souvent violents. ce qui fait augmenter (est c'est proprement scandaleux) les enfermements à clé dans les chambres, voire, et c'est pire encore, les contentions "par défaut".

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