Alerte aux finances : le RN, un parti à la dérive<!-- --> | Atlantico.fr
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Marine Le Pen Jordan Bardella finances rassemblement national
Marine Le Pen Jordan Bardella finances rassemblement national
©CHRISTOPHE ARCHAMBAULT / AFP

Faillite en vue ?

Le Rassemblement national est confronté à d'importantes difficultés financières. André Murawski, Conseiller régional Hauts-de-France, montre que les finances du parti se dégradent depuis de nombreuses années.

André Murawski

André Murawski

André Murawski est Conseiller régional des Hauts-de-France.

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Atlantico.fr : Tout, vous saurez tout sur les finances du Rassemblement National.

  • Le parti de Marine Le Pen, toujours discret sur son argent, va pourtant être obligé de fournir quelques éléments de réponse vendredi prochain. Ce jour-là, le tribunal de Nanterre va la convoquer ainsi qu'un ancien salarié qui avait lancé une assignation en liquidation judiciaire du RN en février dernier pour non-paiement d’heures supplémentaires à hauteur de 20.912 euros. Une enquête avait pu déterminer que le parti n’avait pas "les moyens financiers" de faire face à sa dette. L'analyse d'André Murawski, Conseiller régional Hauts-de-France, montre que les finances du parti se dégradent d'année en année.
  • A partir de 2017, plusieurs recettes sont en diminution sensible comme par exemple les cotisations des adhérents et des élus qui donnent de moins en moins au parti. D'un autre côté, les dépenses du parti sont en nette augmentation. Les frais de propagande et de communication ont obtenu un bond de 178% en 2017. Quant aux frais de voyage, de déplacement et de réception, ils étaient en 2017 largement supérieurs à ceux des autres partis. Troisième indicateur qui explique la situation financière du parti : les résultats annuels déficitaires depuis 2012. L'année 2017 a été particulièrement virulente pour le parti avec un résultat déficitaire de 7 883 411 €, un record depuis 2011 ! Quatrième argument que développe André Murawski : un endettement exponentiel mal maîtrisé. Et la conséquence est dure avec plus de 24 millions d'euros en 2018. L'emprunt russe de 9 millions d'euros de 2014, qui aurait dû être remboursé en septembre 2019 est également un indicateur qui explique la situation du parti.

André Murawski : En février 2020, un ancien salarié du Front national (FN), Mickaël Ehrminger, a défrayé la chronique en lançant une assignation en liquidation judiciaire du FN alors devenu Rassemblement national (RN). Employé par le FN en contrat à durée déterminée en 2016-2017, Monsieur Ehrminger avait obtenu la condamnation du RN devant le Conseil des Prud’hommes pour non paiement, entre autres, d’heures supplémentaires à hauteur de 20 912 euros.

Ne parvenant pas à obtenir l’exécution du jugement, Monsieur Ehrminger initia devant le tribunal de Nanterre une procédure de saisie sur l’un des comptes bancaires du RN qui révéla un solde de 3 008 euros 09. Interrogé, le trésorier du RN affirma l’existence d’un échéancier de 2 000 euros par mois. Selon l’avocate du plaignant, la mise en place de cet échéancier constituait « l’aveu même » que le RN n’avait pas « les moyens financiers de faire face à sa dette ».

Quelques jours plus tard, le RN payait cette dette, faisant ainsi tomber l’assignation. Mais en juillet 2020, le tribunal fit connaître son intention de convoquer les parties et de juger l’affaire, le parquet se réservant même la possibilité de se saisir du dossier et de demander l’ouverture d’une procédure en liquidation judiciaire du RN. Cette affaire sera appelée à l’audience le 25 septembre 2020. Mais plusieurs événements antérieurs avaient appelé l’attention sur la situation financière du parti de Marine Le Pen.

En effet, le 27 juillet 2017, la Société Générale a adressé au FN un préavis de clôture de tous les comptes du parti à 60 jours. Le 26 octobre 2017, le Crédit du Nord, second teneur de compte du parti, a lui aussi dénoncé le contrat qui le liait au FN avec le même préavis. Dans une note du 27 novembre 2017[i], la Banque de France a rappelé que « toutes les banques ont le droit en France de fermer un compte à durée indéterminée quand elles ne souhaitent plus maintenir une relation commerciale avec leurs clients[ii] ». Cependant, à la demande du FN, la Banque de France a désigné le Crédit du Nord comme nouveau teneur de compte tout en rappelant que « la procédure du droit au compte pour les partis politiques reste très exceptionnelle (…) [car elle] a en effet été conçue avant tout pour les particuliers ». Surtout, la note indiquait que « les clôtures de comptes du Front national ne paraissent pas traduire un dysfonctionnement des banques au regard de leurs obligations réglementaires, et ne laissent pas supposer de discrimination [iii]».

Un an plus tard, ce sont les juges Claire Thépaut et Renaud van Ruymbeke qui, dans une ordonnance rendue le 28 juin 2018 dans le cadre de leur enquête sur les emplois présumés fictifs d’assistants de représentants français du Front national au Parlement européen, ont demandé la saisie de 2,04 millions d’euros de l’aide publique versée au Rassemblement national. Les juges fondaient leur décision sur la réunion de « nombreux indices » montrant un détournement de fonds, mais aussi sur « la situation d’endettement » du parti et le risque « d’une dissipation » de cette somme en remboursement d’emprunts. Le Rassemblement national ayant interjeté appel de la décision, la saisie fut confirmée mais toutefois divisée par deux à 1,04 millions d’euros. Le Rassemblement national renonça alors à se pourvoir en cassation.

Encore un an plus tard, en juin 2019, c’est Jean-Marie Le Pen qui déposait une cession de créance auprès du ministère de l’Intérieur. L’ancien président du Front national, créancier du RN par l’intermédiaire de son micro parti COTELEC, entendait obtenir le remboursement de 4,5 millions d’euros que le Rassemblement national restait lui devoir depuis les présidentielles de 2017, soit un peu plus de 2 ans, alors que 11 millions d’euros avaient été remboursés au RN en 2018 par l’Etat au titre des frais de campagne. Le ministère ayant validé la demande, l’aide publique versée au RN fut donc diminuée de 4,5 millions d’euros.

La clôture des comptes bancaires à l’initiative des banques, la saisie d’une partie de l’aide publique dans le cadre d’une enquête judiciaire révélant l’endettement du parti, la cession d’une créance visant à rembourser une autre dette, enfin l’assignation en liquidation judiciaire pour non exécution d’un jugement par un ancien salarié ont placé la question de la situation financière du Rassemblement national au cœur de l’actualité politique depuis plusieurs années. Dès lors, l’examen et l’analyse des comptes déposés par le RN entre 2011 et 2018 ne manquent pas d’intérêt. L’examen permet de constater l’évolution des recettes et des dépenses ; l’analyse d’en tirer des enseignements notamment au regard de l’endettement et donc, des marges de manœuvre dont le parti dispose sur le plan financier. Enfin, un regard particulier peut être porté sur « l’emprunt russe » qui, n’ayant pu être remboursé à l’échéance, a pu faire naître chez divers observateurs une suspicion de cessation des paiements du Rassemblement national.

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Des recettes en augmentation jusqu’en 2017, puis en diminution sensible.

Sur le plan statutaire, les partis politiques sont des associations selon la loi de 1901. A l’inverse des entreprises, ils n’ont pas de capital social et ont vu la loi n° 88-227 du 11 mars 1988 réglementer leur financement. Ainsi, les recettes des partis politiques sont les suivantes[iv] :

  • l’aide publique directe de l’Etat ;
  • les dons consentis par les personnes physiques ;
  • les cotisations des adhérents ;
  • les cotisations des élus ;
  • les contributions reçues d’autres formations politiques ;
  • les legs ;
  • le solde des comptes de campagne ;
  • les autres recettes.

On observe une différence de nature parmi les ressources énumérées ci-dessus. Certaines, comme l’aide publique de l’Etat, les cotisations des adhérents et des élus ou encore les dons, sont pérennes dans la mesure où elles sont enregistrées chaque année. D’autres, dans la mesure où elles peuvent dépendre par exemple du calendrier électoral ou d’événements exceptionnels, sont plus irrégulières. C’est pourquoi seules les ressources régulières seront retenues dans la présente étude.

L’aide publique directe de l’Etat.

Cette ressource est la principale source de financement des formations politiques importantes[v]. Elle est attribuée chaque année en fonction de deux critères cumulatifs : le résultat des élections à l’Assemblée nationale, et le nombre de parlementaires (députés et sénateurs) qui déclarent au bureau de leur assemblée leur rattachement à la formation politique.

De 2010 à 2018, le Front national a reçu de l’Etat une aide publique qui a plus que triplé entre 2012 et 2013.

Cette évolution s’explique par une progression du vote FN entre les élections législatives de 2007 (1 107 005 voix) et celles de 2012 (3 528 663 voix). En revanche, la très faible évolution de l’aide publique en 2018 montre la stagnation du vote RN, en léger retrait en 2017 (2 990 454 voix) par rapport à 2012 malgré l’entrée de 8 députés, bientôt ramenés à 6, au Palais Bourbon.

Versée pour la durée d’une législature, l’aide publique de l’Etat est une ressource particulièrement stable qui permet d’assurer le fonctionnement du parti. La cession de créance de 4,5 millions d’euros au bénéfice du micro parti COTELEC a donc considérablement diminué cette ressource en 2019. A titre indicatif, l’aide publique de l’Etat représentait 44 % du total des produits en 2018, et 56 % des produits d’exploitation.Cette évolution s’explique par une progression du vote FN entre les élections législatives de 2007 (1 107 005 voix) et celles de 2012 (3 528 663 voix). En revanche, la très faible évolution de l’aide publique en 2018 montre la stagnation du vote RN, en léger retrait en 2017 (2 990 454 voix) par rapport à 2012 malgré l’entrée de 8 députés, bientôt ramenés à 6, au Palais Bourbon.

Les cotisations des adhérents.

Les cotisations des adhérents sont fixées librement par le parti politique. Toutefois, la cotisation doit correspondre à celle définie dans les statuts ou dans le règlement intérieur de la formation politique[vi].

Le montant des cotisations ajoute aux ressources du parti politique. Cependant, son évolution dans le temps est aussi un bon indicateur de la capacité du parti à convaincre les Français ainsi que du degré de confiance que ces derniers lui accordent.

Le tableau ci-dessus montre deux périodes au cours desquelles des tendances différentes se sont dessinées. Entre 2011 et 2016, le produit des cotisations des adhérents n’a cessé de croître, montrant qu’un plus grand nombre de Français ont été sensibles au discours du Front national, même si la progression a été irrégulière comme l’indiquent les paliers de 2012 et surtout de 2014 et 2016.

En revanche, les années 2017 et 2018 montrent un effondrement des adhésions, les recettes de 2018 représentant moins de la moitié de celles de 2016. Cette désaffection peut être expliquée par la déception ressentie après la contre performance de Marine Le Pen lors du débat qui l’opposa à Emmanuel Macron, mais aussi par l’incapacité du parti à accomplir sa rénovation après l’échec des présidentielles et celui des législatives qui en fut le corollaire.

Dans l’hypothèse où le Front national aurait compté 80 000 adhérents en 2016, avec une cotisation moyenne de 30 euros par adhérent, alors le parti de Marine Le Pen n’aurait plus compté que 62 000 adhérents en 2017 et 37 000 adhérents en 2018.

Les cotisations des élus.

Comme les cotisations des adhérents, les cotisations des élus sont fixées librement par le parti conformément à leur définition dans les statuts ou dans le règlement intérieur de la formation politique.

Les contributions des élus consistent en un reversement par chaque élu titulaire d’un mandat ouvrant droit à une indemnité d’une fraction de cette indemnité. Au Rassemblement national, vu le faible nombre de députés européens, de députés, de sénateurs et de conseillers municipaux attributaires d’une indemnité, ce sont principalement les conseillers régionaux et, dans une moindre mesure, les conseillers départementaux qui sont concernés.

Cette ligne de recette est intéressante à double titre. D’abord, elle montre les progrès ou, au contraire, les reculs du RN aux élections régionales et départementales. Ensuite, son évolution dans la durée d’une mandature permet de mesurer la capacité du parti à convaincre, à mobiliser et à accompagner les élus qui portent ses couleurs en même temps qu’ils représentent les électeurs. De ce point de vue, la stabilité de recettes indiquerait une motivation soutenue. Une augmentation pourrait être le signe de la capacité du parti à rallier des candidats élus sur des listes présentées par d’autres partis que le RN. Une diminution au contraire serait le signe d’un malaise interne, le parti n’étant pas en mesure de convaincre ses élus de lui garder leur confiance ou, à l’inverse, le parti retirant sa confiance à certains élus en allant jusqu’à leur exclusion.

Le tableau retraçant l’évolution des cotisations des élus entre 2010 et 2018 présente deux pics : en 2011 et en 2016. Ces années suivent les élections régionales de 2010 et de 2015. Les listes du Front national avaient totalisé 2 223 800 voix en 2010 et 6 018 904 voix en 2015, d’où la différence très nette. Cependant, on constate une diminution régulière de ces recettes chaque année de 2011 à 2015. Cette diminution s’explique par la décision prise par certains élus de mettre un terme à leurs cotisations, soit que les élus ont quitté le parti, soit qu’ils en ont été exclus, soit encore que l’accord qu’ils ont passé avec le parti a été rompu. Le même phénomène est observé entre 2016 et 2018, mais la baisse constatée est bien plus importante en pourcentage qu’au cours de la période précédente. C’est ici la qualité ou plutôt le manque de qualité du management qui trouve sa traduction comptable.

Les dons.

Les personnes physiques peuvent consentir des dons aux formations politiques dans des conditions strictement réglementées. Cette ligne de recettes est caractéristique du soutien qu’une formation politique peut recevoir de ses adhérents, mais aussi de sympathisants qui ne souhaitent pas nécessairement adhérer à un parti.

Pour ce qui concerne le Rassemblement national, les dons des personnes physiques ont connu une progression remarquable entre 2010 et 2018, avec toutefois des paliers en 2012, 2013 et 2018. Sans doute sa médiatisation et les succès électoraux ont-ils encouragé les donateurs à partir du moment où Marine Le Pen a accédé à la présidence du FN en janvier 2011. Mais on observe également que le produit des dons continue à augmenter en 2017 et 2018 alors que les revers électoraux et les difficultés judiciaires, financières et managériales évoquées supra entraînent la chute des adhésions et la désaffection d’une partie des élus. Peut-être les appels répétés aux dons ont-ils convaincu des personnes qui, parce qu’elles étaient moins engagées au sein du mouvement, étaient moins conscientes de ses faiblesses ? Il n’en reste pas moins que l’évolution des dons est paradoxale si on la compare à celles des cotisations des adhérents et des reversements des élus, ce qui justifierait une étude approfondie.

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Des dépenses en hausse vertigineuse, donc la réduction est difficile.

Ni la Constitution ni la loi n° 88-227 du 11 mars 1988 modifiée ne définissent ou ne limitent les dépenses des formations politiques[vii]. Comme dans le cas des recettes, on peut distinguer les dépenses destinées à assurer le fonctionnement normal du parti politique des dépenses engagées dans certaines circonstances et notamment les échéances électorales.

Les dépenses de fonctionnement sont les suivantes :

  • Charges de personnel ;
  • Loyers et charges locatives ;
  • Propagande et communication ;
  • Frais de voyage, de déplacement et de réception ;
  • Charges financières.

Les charges de personnel.

Après la divulgation par la presse des salaires versés à certains cadres dirigeants du RN, la question des charges de personnel est particulièrement sensible. Selon les rapports des commissaires aux comptes, le Rassemblement national employait 50 salariés en 2017, en équivalent temps plein. Les effectifs étaient de 53 salariés en 2018, répartis entre 17 cadres et 36 employés non cadres.

Le tableau ci-dessus montre une augmentation constante des charges de personnel de 2011 à 2017, mais aussi une diminution sensible en 2018 sans doute sous la pression des difficultés financières. Cependant, on note que malgré une baisse de 23 % en 2018 par rapport à 2017, le montant des salaires et des charges sociales restait supérieur en 2018 à son niveau de 2015 ce qui indique une certaine rigidité structurelle rendant plus difficile un redressement financier.

Cette rigidité est accentuée par la diminution observée à partir de 2017 des cotisations des adhérents et des reversements des élus. Ces recettes, ainsi que celles provenant des dons, ont un caractère plus incertain que l’aide publique dont la stabilité est acquise pour la période allant des législatives de 2017 à celles de 2022. Mais la saisie de l’aide publique à l’initiative des juges ou la cession de créance consentie au profit du micro parti COTELEC ont affecté cette ressource et montré la fragilité financière du RN compte tenu des choix décidés par la direction du parti en termes de fonctionnement et d’endettement.

La politique de recrutement et, peut-être aussi, de rémunération des salariés du RN pendant la présidence de Marine Le Pen n’est néanmoins pas sans conséquences. A titre illustratif, tandis que les charges de personnel représentaient 37 % de l’aide publique en 2011, elles en représentaient 69 % en 2018.

Les loyers et charges locatives.

La vente du siège du Front national en 2011 a conduit la direction du parti à choisir de louer de nouveaux locaux plutôt que d’en acheter. A cette location s’ajoutaient les locations de permanences dans les fédérations départementales. L’évolution des charges locatives a été la suivante :

On constate que les locations ont doublé entre 2011 et 2018, malgré une légère diminution en 2017 et une autre, plus prononcée, en 2018. Les locations représentaient 20 % de l’aide publique en 2018. Si on y ajoute les charges de personnel, on mobilise presque 90 % de cette aide.

Propagande et communication.

Si l’objet d’un parti politique consiste à participer au suffrage, les dépenses de propagande et de communication sont incontournables pour la bonne information du public sur l’offre politique proposée par le parti. Ces charges sont donc particulièrement justifiées.

Les dépenses de propagande et de communication ont connu une augmentation constante entre 2010 et 2015. Elles ont ensuite baissé de 46 % en 2016, année sans élections, avant de bondir de 178 % en 2017, année d’élections présidentielles et législatives, pour de nouveau diminuer de 54 % en 2018. Le calendrier électoral influence bien entendu ce poste de dépenses. Toutefois, on note que les élections présidentielles et législatives de 2012 ont été suivies par un effort soutenu jusqu’en 2015 tandis qu’un effondrement a suivi les élections présidentielles de 2017, ce qui peut être aussi le marqueur de difficultés financières.

Frais de voyage, de déplacement et de réception.

La révélation par la presse de certaines dépenses de bouche jugées particulièrement dispendieuses de députés européens du RN a appelé l’attention sur les frais de voyage, de déplacement et de réception supportés par le parti.

L’examen des comptes montre un quasi doublement des dépenses entre 2011 et 2013, puis un maintien de la dépense à un niveau assez constant avant une chute de 43 % en 2018. Cette baisse rejoint la tendance générale de réduction des dépenses observée en 2018 et pourrait être rattachée aux difficultés financières du parti. A titre de comparaison, les dépenses de déplacements, missions et réceptions des principaux partis politiques en 2017, année d’élections présidentielles, placent le RN en tête des partis les plus dépensiers dans ce domaine :

Les charges financières.

Inscrites au compte de résultat, les charges financières se rattachent à l’endettement qui apparaît au bilan. Leur évolution est particulièrement significative :

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On observe que si les charges financières n’ont cessé d’augmenter de 2012 à 2018, leur rythme n’a cependant pas été constant. Assez modéré entre 2012 et 2014, il montre un premier saut en 2015, puis deux autres en 2017 et en 2018. Les charges financières ont connu un accroissement considérable, le montant de 2018 étant 15 fois plus élevé que celui de 2012. Le rapprochement avec l’endettement permet de mesurer une évolution exponentielle.

Des résultats annuels constamment déficitaires à partir de 2012.

Une bonne gestion n’est pas déterminée seulement par les recettes ou les dépenses considérées dans l’absolu. Elle est déterminée par les rapports établis tout au long de l’année entre les recettes et les dépenses, mais aussi par la nature des recettes, leur caractère plus ou moins certain, ainsi que par l’endettement et ses conséquences à terme. Le résultat annuel se calcule facilement par la différence entre les recettes et les dépenses. Si les recettes sont supérieures aux dépenses, le résultat est excédentaire et l’excédent pourra servir à financer les projets des années suivantes. Dans le cas contraire, si les dépenses sont supérieures aux recettes, le résultat est déficitaire et le déficit devra être comblé par les excédents des années à venir. Ce schéma simple ne se retrouve pas dans la gestion du RN entre 2011 et 2018.

Le tableau ci-dessus indique que le RN n’a présenté un résultat excédentaire qu’une seule fois depuis que Marine Le Pen a accédé à la présidence du mouvement. Cet excédent a été constaté en 2011 et peut être expliqué par la recette exceptionnelle qu’a constitué la vente du « Paquebot », l’ancien siège du parti.

A partir de 2012, les résultats annuels du RN ont toujours été déficitaires, le parti ayant payé plus de dépenses qu’il n’encaissait de recettes. On observe que le déficit a été particulièrement lourd en 2017, mais aussi qu’un déficit a été constaté en 2018 malgré les diminutions de dépenses par rapport à l’année précédente. En effet, si l’on met entre parenthèses l’année 2017 où sont intervenues les élections présidentielles et législatives, on voit que les dépenses 2018 ont continué à augmenter par rapport à 2016 alors que les recettes diminuaient.

On ne peut donc que prendre acte d’une gestion financière qui a abouti à des résultats déficitaires pendant une période de 7 années consécutives, représentant un déficit cumulé de 19 millions d’euros. On peut dès lors s’interroger sur la qualité de la gestion du RN sous la présidence de Marine Le Pen, mais aussi poser la question de savoir pour quelles raisons le trésorier est resté en fonctions alors que les déficits succédaient aux déficits.

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Un endettement exponentiel et mal maîtrisé.

Pour une entreprise, le degré d’endettement a des incidences sur l’indépendance, la sécurité, le développement et la rentabilité. L’indépendance et la sécurité sont obtenues par une réduction de l’endettement. En revanche, le développement et la rentabilité peuvent être facilités par le recours à l’endettement. L’endettement doit donc trouver un point d’équilibre pour permettre à l’entreprise d’atteindre ses objectifs tout en limitant sa vulnérabilité afin de ne pas inquiéter ses créanciers[viii].

Mais un parti politique n’est pas une entreprise. Comme toute association, il peut contracter des emprunts sans que les notions de développement et de rentabilité pèsent de la même façon que dans le cas d’une entreprise produisant des biens ou offrant des services.

Un principe de bonne gestion pose que in fine, un emprunt ne devrait pas coûter plus qu’il ne rapporte. Par exemple, emprunter pour dépenser au-delà du plafond de remboursement de l’Etat pendant une campagne électorale entraîne l’obligation de rembourser le capital emprunté, mais aussi les intérêts de l’emprunt au moyen des recettes propres du parti. Dans le cas des élections départementales ou régionales, l’emprunt est rentable si les dépenses de campagne ont permis de faire élire suffisamment de personnes dont les contributions ultérieures sous forme de reversement représentent un montant supérieur à celui du coût total de l’emprunt pour ce qu’il excède le montant du remboursement public. Dans le cas des élections législatives, la rentabilité de l’emprunt se mesure au nombre de suffrages obtenus et à l’augmentation de l’aide publique qui en résulte, sachant également que cette élection est très sensible au résultat de l’élection présidentielle qui la précède.

Dans le cas du RN, l’aide publique est passée de 5 millions d’euros en 2017 à 5,2 millions en 2018, soit un gain d’un million d’euros sur 5 ans. Dans l’hypothèse où le RN aurait emprunté pour financer des dépenses dépassant le plafond des dépenses remboursables à l’occasion des élections présidentielles et législatives de 2017, l’emprunt aurait été rentable s’il avait été limité à 1 million d’euros intérêts compris. Dans le cas contraire, il aurait constitué une charge pesant sur les comptes du parti jusqu’à son remboursement. Trop élevé, un tel emprunt aurait pu aller jusqu’à entraver l’autonomie du parti pendant plusieurs années.

Un autre emploi de la dette parfaitement admissible consiste dans l’acquisition de biens immobilisés, par exemple un immeuble destiné à devenir le siège du parti ou une de ses permanences locales. Dans ce cas, c’est le caractère durable du bien acquis qui garantit la rentabilité de l’emprunt dans la mesure où l’accès à la propriété fait disparaître les loyers et charges locatives et où le bien peut même s’apprécier si le marché immobilier évolue favorablement. Comme le montrent les documents comptables, tel n’est pas le choix qui a été fait par le RN qui a décidé de vendre son siège en 2011 pour ensuite passer à la location des immeubles dont il avait besoin. Un tel choix lui a coûté près de 6,8 millions d’euros en loyers et charges locatives entre 2012 et 2018 :


Entre 2011 et 2018, la dette globale du RN est passée de 4 millions à 24,4 millions d’euros, avec un pic de 30,5 millions en 2017. Cette dette présente des caractéristiques très diverses, puisqu’on y trouve autant des emprunts contractés auprès de banques que des emprunts contractés auprès d’autres organismes ou auprès de personnes physiques. Viennent également s’y ajouter des dettes fournisseurs, des dettes fiscales et sociales et des dettes diverses dont les montants ne sont cependant pas négligeables.

On voit que le niveau d’endettement est préoccupant pour plusieurs raisons. On constate d’abord une certaine opacité dans la mesure où des dettes dont les montants ont été de l’ordre d’1 million d’euros en 2012, de 1,2 millions d’euros en 2016 et de 3,4 millions d’euros en 2017 semblent se rapporter à des prestations parfois anciennes. Ainsi, en 2017, les « autres dettes » étaient due à hauteur de 3 448 871 euros au micro parti Jeanne pour des prestations réalisées à l’occasion des cantonales de 2011, des législatives de 2012 et des municipales de 2015 ainsi qu’à des prêts accordés à des candidats du Front national et non remboursés par ces derniers.

Un autre sujet de préoccupation réside dans l’importance croissante des dettes fournisseurs qui étaient d’environ 475 000 euros au 31 décembre 2011 mais qui dépassaient 5 millions d’euros le 31 décembre 2018. Même si certains fournisseurs peuvent consentir au RN des délais allant très au-delà du délai légal de paiement d’une facture, l’augmentation des dettes fournisseurs alors que le total des produits a baissé de 22 % en 2018 par rapport à 2017 est lui aussi révélateur d’une difficulté.

La nature des dettes pose également un problème. En effet, on constate que la part des dettes à plus d’un an et celle des dettes à moins d’un an s’est inversée entre 2016 et 2017 et qu’elle s’est accentuée en 2018. Cela signifie que la plupart des dettes deviennent exigibles, plaçant le RN dans l’obligation de les honorer ou de les renégocier avec ses créanciers, ce qui se traduit par une dégradation de son image, par un risque accru pesant sur son indépendance et, bien entendu, par des frais supplémentaires en termes d’intérêts.

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Une analyse confirmant l’impossibilité d’emprunter et appelant un redressement

Les ratios sont des rapports mettant en évidence certains aspects de la situation financière, de son évolution dans le temps traduisant une amélioration, une stabilité ou une détérioration, ou encore le degré d’autonomie d’une structure et donc sa capacité à emprunter et à rembourser ses emprunts.

Jusqu’en 2018 qui est la dernière année pour laquelle les comptes des partis politiques ont été publiés, le RN ne pouvait prétendre à aucun prêt venant d’un établissement bancaire ou d’une institution financière dans l’espace économique européen. En effet, le rapport entre le total des dettes et le total de l’actif montre que le ratio d’endettement du RN est très dégradé et que la situation s’est particulièrement aggravée en 2018 :

Le degré d’indépendance vis-à-vis des prêteurs est calculé par le rapport entre les fonds propres et les dettes à plus d’un an. Ce rapport permet aussi d’évaluer la capacité d’endettement. En général, un établissement financier exige que ce ratio soit supérieur à 1 avant de consentir un prêt.

La distinction entre dettes à plus d’un an et dettes à moins d’un an n’est disponible que pour les exercices 2016, 2017 et 2018. Dans tous les cas, les fonds propres négatifs, conséquence des nombreux déficits cumulés, ne permettent pas au RN de prétendre à un prêt. On note que les dettes à plus d’un an au 31 décembre 2018 semblent correspondre à l’emprunt russe qui cependant arrivait à échéance en septembre 2019. Il aurait donc plutôt dû être inscrit comme une dette à moins d’un an et cette inscription comme dette à plus d’un an alors qu’il restait 9 mois avant l’échéance est surprenante !

La solvabilité est le rapport entre l’actif et les dettes. Elle exprime la capacité à rembourser l’intégralité des dettes par la vente de tous les actifs. On considère qu’elle doit toujours être supérieure à 1.


Ici encore, on constate non seulement une très faible solvabilité, mais encore une dégradation significative entre 2017 et 2018.

Enfin, le rapport entre les actifs à court terme et les dettes à moins d’un an mesure la liquidité générale. Il doit être supérieur à 1 et exprime la capacité du parti à régler ses dettes arrivées à échéance.


Une nouvelle fois, on observe un état dégradé. Compte tenu de ces indications, il est clair que ce n’est pas une volonté de nuire qui amène les banques à refuser de consentir des prêts au RN mais bien sa situation financière qui ne permet plus au parti d’emprunter.

Dès lors, le recours à l’emprunt auprès des personnes physiques apparaît comme la seule issue qui s’offre au RN, avec l’appel aux dons, la réconciliation avec les cadres qui se sont éloignés et la reconquête des adhérents perdus. On note toutefois que le dernier emprunt dit « patriotique » est gagé sur l’aide publique dont on peut se demander si elle sera suffisante pour permettre le remboursement dans les délais convenus, surtout si l’aide publique venait à diminuer en cas de nouvelle contre performance de Marine Le Pen à la prochaine élection présidentielle et la démoralisation des électeurs qu’elle entraînerait lors des élections législatives qui suivraient.

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Un emprunt « russe » problématique et renégocié

La procédure initiée contre le Rassemblement national par la société russe Aviazaptchast au motif de non remboursement d’un prêt initialement contracté en septembre 2014 auprès de la First Czech-Russian Bank et arrivé à échéance en septembre 2019 a replacé les difficultés financières du parti de Marine Le Pen au cœur de l’actualité.

Ce qui a été rendu public à propos de cet emprunt met en effet en évidence pour la période 2014-2019 un problème de gestion ayant placé le RN dans l’incapacité d’honorer sa signature. Les éléments connus de la renégociation qui a abouti à un accord sanctionné par la Cour d’arbitrage de Moscou montrent que le RN devra se plier à une contrainte supplémentaire dans un contexte incertain.

Un emprunt d’un montant élevé et mal géré à l’interne

L’emprunt connu sous le nom « d’emprunt russe », ou de « prêt russe » a été négocié en 2014. Sa durée était de 5 ans et le remboursement du capital devait être réalisé en un seul versement en septembre 2019. Les intérêts, fixés au taux de 6 %, s’élevaient à environ 560 000 euros par an, soit 2,8 millions d’euros sur 5 ans.

A titre de comparaison, les cotisations des adhérents en 2014 représentaient 2 millions d’euros, les contributions des élus 466 000 euros, les dons des personnes physiques 306 000 euros et l’aide publique 5 millions d’euros. On constate que l’emprunt russe représentait 5 fois les cotisations des adhérents et 2 fois le montant de l’aide publique.

Un plan d’amortissement de l’emprunt a été élaboré alors que le contexte de départ était extrêmement favorable. En effet, si l’aide publique est restée stable à hauteur de 5 millions d’euros, les cotisations des adhérents ont augmenté pour atteindre 2 406 000 euros en 2016 tandis que les contributions des élus s’élevaient à 1 271 000 euros et les dons des personnes physiques à 857 000 euros. L’augmentation sensible de certaines recettes permettait donc incontestablement de provisionner pour rembourser l’emprunt russe.

La contre performance de Marine Le Pen lors du débat qui l’a opposée à Emmanuel Macron et des méthodes de management contestables des élus ont produit des conséquences fâcheuses dès 2017. Ainsi, les cotisations des adhérents se sont effondrées à 1 857 000 euros et les contributions des élus sont tombées à 1 100 000 euros. La même année, les emprunts (qui ne représentent pas l’ensemble des dettes) ont doublé passant de 12 millions d’euros en 2016 à plus de 24 millions d’euros en 2017.

Le plan d’amortissement destiné au remboursement de l’emprunt russe a-t-il été réalisé partiellement au cours de cette période ou n’a-t-il jamais été mis en œuvre ? Quoi qu’il en soit, une incontestable insuffisance dans la gestion  a été mise en évidence puisque le RN n’a pas pu payer cette dette à échéance. Entre temps et dans l’hypothèse où il aurait été payé régulièrement, le coût du crédit s’est élevé à 2,8 millions d’euros. De bonnes pratiques d’entreprise posant qu’un emprunt doit, in fine, rapporter davantage qu’il ne coûte, le prêt aurait dû permettre de dégager des recettes d’un montant au moins égal à 2,8 millions d’euros. Un bilan d’utilisation de l’emprunt russe permettrait d’en mesurer les effets. Mais le RN n’a apparemment pas cru devoir communiquer sur ce sujet.

Une renégociation raisonnable mais plus contraignante qu’elle ne paraît.

Un débiteur défaillant place le créancier face à un choix raisonnable : Est-il dans son intérêt d’initier une procédure contentieuse au risque de provoquer la faillite du débiteur impécunieux ? Ou son intérêt réside-t-il dans une renégociation raisonnable qui lui laisse l’espoir de recouvrer, sinon la totalité, du moins une partie des sommes qui lui sont dues ?

La décision du créancier russe de renoncer à la procédure contentieuse est peut-être un signe supplémentaire de la fragilité financière du RN dont on se rappelle que la présidente réclamait, au moment où le Gouvernement annonçait des mesures en faveur des entreprises, que ces mesures soient étendues aux partis politiques notamment pour ce qui concernait le paiement des loyers. Aucun autre responsable de parti politique n’ayant formé la même demande, on peut en déduire que la situation financière du RN restait probablement très précaire au premier trimestre de 2020.

Autre indicateur : le créancier russe a renoncé à réclamer le produit des amendes applicables pour non remboursement du prêt. Ce choix permet d’éviter de fragiliser davantage un débiteur déjà en grande difficulté.

La durée de l’échéancier, enfin, courant de juin 2020 à fin 2028, dépasse la durée initiale du prêt qui était de 5 ans. Elle montre là encore une volonté de ménager le débiteur pour lui permettre de rembourser sa dette dans l’espoir d’éviter une défaillance.

Pour autant, les conditions faites au RN sont bien plus contraignantes. Ainsi, tandis que l’emprunt de 2014 devait être remboursé en 2019, c’est désormais sous 5 jours que le créancier exige de recevoir 1 million d’euros, et 390 000 euros supplémentaires avant le 20 septembre 2020.

Ensuite, le créancier exige des versements trimestriels à hauteur de 322 000 euros, soit 1 288 000 euros par an jusqu’en 2028. Il semble difficile d’interpréter cette périodicité comme une marque de confiance. Il s’agit plutôt pour le créancier de s’assurer de la régularité des versements, tout en se ménageant la faculté d’intervenir au plus vite en cas de défaillance.

Concernant les informations communiquées sur le rééchelonnement du prêt, il apparaît que le RN devra rembourser 1 390 000 euros en 2020, puis 1 288 000 euros par an jusqu’en fin 2028. Si ces indications sont justes, le montant total du remboursement s’élèverait à 11 694 000 euros, ce qui dépasse la somme empruntée. Faut-il considérer que les intérêts sont compris dans ce calcul ? Si tel est le cas, l’incapacité du RN à rembourser le prêt à échéance aura porté les intérêts de 3 à 5 millions d’euros. L’équivalent d’une année d’aide publique !

Si le « débat » de l’entre deux tours des présidentielles a révélé les limites de la candidate, la situation financière du RN pourrait révéler les limites de la présidente de parti. Après la cession de créance de 4,2 millions d’euros au profit du micro parti COTELEC, ce sont 1,4 millions que le RN devra payer aux Russes en 2020. Le remboursement d’une partie des dettes mobilisera donc l’intégralité d’une année d’aide publique. 

En 2018, les contributions des élus ne représentaient plus que 919 000 euros et les cotisations des adhérents 1 103 000 euros. La même année, les locations du RN coûtaient 1 million d’euros, les salaires et les charges sociales 3,5 millions d’euros, les charges financières 2,2 millions d’euros. Dès lors, ces chiffres permettent de mieux comprendre les appels réitérés du RN à la générosité de ceux qui veulent encore le soutenir, et les campagnes successives pour les dons ou… de nouveaux prêts !

Avec à l’horizon un risque supplémentaire : Celui d’une nouvelle contre performance aux présidentielles qui entraînerait par effet d’entraînement une contre performance aux législatives et une diminution substantielle de l’aide publique. Avec les conséquences que l’on imagine.

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En guise de conclusion

Selon les termes de l’article 4 de la Constitution du 4 octobre 1958, les partis politiques « se forment et exercent leur activité librement ». La plus grande latitude est donc accordée aux formations politiques pour ce qui concerne leur administration et, donc, leur gestion au sens large.

Cependant, la loi n° 88-227 du 11 mars 1988 relative à la transparence de la vie politique dispose que les partis politiques « ont l’obligation de tenir une comptabilité selon un règlement établi par l’Autorité des normes comptables ».

D’autre part, le chapitre II du Plan comptable général pose que la comptabilité doit être tenue en application des principes d’image fidèle, de comparabilité, de continuité de l’activité, de régularité, de sincérité, de permanence des méthodes et de prudence.

Les difficultés financières incontestables auxquelles le RN est confronté ont amené certains observateurs à s’interroger à propos d’une éventuelle cessation des paiements de cette formation politique, ce que le parti a contesté.

L’article L631-1 du Code de commerce définit la cessation des paiements comme « l’impossibilité de faire face au passif exigible avec son actif disponible ». Toutefois, le même article ajoute que « le débiteur qui établit que les réserves de crédit ou les moratoires dont il bénéficie de la part de ses créanciers lui permettent de faire face au passif exigible avec sont actif disponible n’est pas en cessation des paiements. » La bonne ou la mauvaise volonté des créanciers peut donc se révéler déterminante pour la pérennité de l’activité.

La question de l’emprunt russe illustre ce cas de figure. Selon les documents publiés par la Commission nationale des comptes de campagne et de financement des partis politiques, le RN a souscrit un contrat de prêt le 11 septembre 2014. La somme de 9 399 030 euros a été portée au bilan d’ensemble 2015 dans le compte « Emprunts et dettes auprès des établissements de crédit ».

Cette somme a ensuite été portée au même compte dans les bilans 2016, 2017 et 2018. Dans la publication des comptes de 2016, le RN a précisé que « le capital de ce prêt doit être remboursé infine en septembre 2019 ».

Le 4 février 2020, Le Parisien publiait un article intitulé « Prêt russe : le RN visé par une plainte pour non-remboursement de crédit ». Le journal indiquait que l’entreprise Aviazaptchast avait porté plainte le 10 décembre 2019 pour obtenir le recouvrement des 9 millions d’euros prêtés en 2014.

Il ressort de ces informations que le RN n’a pas remboursé à son créancier russe le prêt arrivé à échéance en septembre 2019, ce qui a conduit le créancier à saisir la Justice, puis à négocier un rééchelonnement du remboursement.

Le RN s’est-il trouvé dans l’impossibilité de faire face au passif exigible en septembre 2019 avec son actif disponible ? C’est maintenant au juge qu’il appartiendra d’apprécier le 25 septembre si oui ou non le RN se trouve en situation de cessation des paiements ou s’il s’y est trouvé en septembre 2019, et d’en tirer les conséquences de droit.

André Murawski 

Conseiller régional Hauts-de-France


[i]Eléments d’information sur la situation des comptes bancaires du Front national, Banque de France, 27 novembre 2017.

[ii]              Ibid.

[iii]             Ibid.

[iv]La mission des commissaires aux comptes dans les partis et groupements politiques entrant dans le champ d’application de la loi n° 88-227 du 11 mars 1988 modifiée, Avis technique de la CNCC, avril 2012.

[v]              Ibid.

[vi]             Ibid.

[vii]            Ibid.

[viii]L’analyse financière, Béatrice et Francis Grandguillot, Gualino, 2018.

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