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Alerte au sanitairement correct : les dangers d’un nouvel ordre fondé sur la surveillance, la punition et la peur
©HECTOR RETAMAL / AFP

Vulnérabilité

Bertrand Vergely évoque l'impact du coronavirus au sein de la société et ses conséquences sur notre rapport à la mort face à l'apparition récente du transhumanisme.

Bertrand Vergely

Bertrand Vergely

Bertrand Vergely est philosophe et théologien.

Il est l'auteur de plusieurs livres dont La Mort interdite (J.-C. Lattès, 2001) ou Une vie pour se mettre au monde (Carnet Nord, 2010), La tentation de l'Homme-Dieu (Le Passeur Editeur, 2015).

 

 

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Aujourd’hui, fait sans précédent dans l’histoire de l’humanité, en raison de la lutte contre l’épidémie qui a cours, alors qu’ils ne sont nullement malades, près de cinq milliards d’êtres humains sont obligés sous peine d’amendes voire de prison, de rester confinés chez eux. La médecine étant encore très ignorante au sujet du Covid 19, confiner le monde entier est le meilleur moyen de lutter contre sa propagation, est-il dit afin de justifier cet incroyable emprisonnement planétaire. Toutefois, le souci de protéger n’explique pas tout.

Depuis près de trois siècles, l’Europe rêve d’installer le bonheur sur terre grâce à la politique, à la science et au progrès. Avec l’apparition récente du transhumanisme, ce rêve s’est accéléré, le projet de pratiquer une hybridation entre l’homme et la machine promettant  de créer bientôt un homme augmenté qui ne connaîtra ni la maladie, ni la mort, ni les inégalités intellectuelles, ni la pauvreté. Soyons lucides : aujourd’hui, quand on cherche à sauver des vies, c’est aussi ce rêve que l’on cherche à sauver.

Ainsi, quand il est dit que le confinement est fait pour éviter la maladie et la mort, c’est vrai. Mais, en même temps, il s’agit là d’un rêve. On peut reculer la maladie. On ne l’évite pas. On peut reculer l’échéance de la mort. On ne l’évite pas non plus. La maladie et  la mort sont incontournables et elles ne sont pas faites que pour les autres. Or, nous rêvons que nous allons les contourner et y échapper. Nous rêvons ainsi parce que ce rêve est celui de l’enfant qui vit en chacun de nous, de la modernité qui attend tout du progrès et de l’opinion toute puissante qui sévit derrière les réseaux sociaux. 

Tocqueville a pensé que la démocratie est  guettée par la tentation de créer un monde dans lequel le rêve de la population d’être totalement assistée se fondra dans le rêve de l’État de tout prendre en charge. À travers la mise en place sous nos yeux en deux mois d’un ordre sanitaire mondial, l’intuition de Tocqueville est devenue réalité. L’État prenant tout en charge est né et la population entièrement assistée est née avec lui. Si cela évite la maladie et la mort de milliers d’êtres humains, tant mieux, a-t-on tendance à dire ! C’est bien là le problème. L’ordre qui se met en place est d’autant plus redoutable qu’il a d’excellentes raisons d’exister. D’où le double langage à travers lequel il se déploie en reprenant une vieille pratique.

Comme le souligne Michel Foucault, au XVIIème siècle, quand il punit un assassin en place publique, le pouvoir en profite pour terroriser les honnêtes gens. Au XIXème siècle, quand la médecine cherche à aborder scientifiquement la maladie et la folie et quand la justice met en place la prison moderne, la culture dans son ensemble se met à surveiller mentalement la société. Aujourd’hui, à l’occasion de la lutte contre la pandémie, tout en luttant contre la maladie et la mort, l’ordre fondé sur la surveillance, la punition et la peur, prend une dimension planétaire. Certes, il y a à la base de cet ordre le souci de soigner, de sauver et de protéger. Mais il y a aussi  un pouvoir sans précédent sur le monde qui émerge en ne cachant pas son intention d’installer demain un système de surveillance généralisé à travers ce qu’il faut bien appeler le sanitairement correct.

Nous avons assurément affaire aujourd’hui à un problème sanitaire sérieux. Mais nous avons également affaire à un problème de vérité tout aussi sérieux. Depuis des décennies nous vivons dans une peur de la maladie que nous prenons pour la santé et une peur de la mort que nous confondons avec l’amour de la vie. Etre en pleine santé, ce n’est pas ne pas être malade. C’est être capable de tout vivre, même la maladie. Être vivant, ce n’est pas ne pas mourir. C’est être capable de tout vivre, même le fait de mourir. En entretenant le monde dans la peur de la maladie et de la mort, on ne le protège pas. Le maintenant dans l’ignorance des forces qui sont en en lui, on l’affaiblit.

Aujourd’hui, l’humanité réelle ne se trouve pas dans celle qui cherche à éviter la maladie et la mort mais dans celle qui est capable de vivre avec force, solidarité et humour malgré la perte de liberté qu’elle subit. Belle à voir, cette humanité montre que l’humain qui vit en l’homme a plus de force qu’on ne le pense pour faire face à l’adversité.

Avec le rêve  du transhumanisme, nous avons cru depuis quelques années que nous allions être immortels. Aujourd’hui, en l’espace de deux mois, nous avons découvert que tout ce en quoi nous avons cru et que l’on pensait bien installé peut s’écrouler et mourir. Il s’agit là d’une chance. Quand on se découvre vulnérable, on cesse d’être fou en se croyant invulnérable. Et, cessant d’être fou, on découvre la liberté étonnante qu’il y a à savoir que l’on peut être blessé sans en être blessé. Alors, la vie gangrénée par la peur  cessant d’être, la vie intelligente peut commencer.

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