Albin Chalandon, ce gaulliste d'exception <!-- --> | Atlantico.fr
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Albin Chalandon aura été un grand résistant, un banquier d'affaires remarqué, un gestionnaire de qualité notamment à la tête du groupe Elf et un homme politique habile.
Albin Chalandon aura été un grand résistant, un banquier d'affaires remarqué, un gestionnaire de qualité notamment à la tête du groupe Elf et un homme politique habile.
©AFP

Hommage

Albin Chalandon aura eu le privilège de vivre 100 ans. Autant dire que pour cet homme aussi intelligent que travailleur, son existence est une épopée d'autant plus exceptionnelle qu'elle a croisé des moments importants de l'Histoire de notre pays.

Jean-Yves Archer

Jean-Yves Archer

Jean-Yves ARCHER est économiste, membre de la SEP (Société d’Économie Politique), profession libérale depuis 34 ans et ancien de l’ENA

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Sa biographie écrite d'une plume alerte est l'œuvre de Pierre Manenti, normalien et conseiller ministériel. Rigoureusement, il nous livre une analyse nourrie du regretté Albin Chalandon. Soyons clair : il évite ici l'écueil du pointillisme faussement savant mais réalise incontestablement une démarche d'historien rigoureux. Son ouvrage est par conséquent accessible tout autant qu'une mine d'informations qui forge la satisfaction du lectorat. J'en recommande la lecture.

Albin Chalandon aura été un grand résistant, un banquier d'affaires remarqué, un gestionnaire de qualité notamment à la tête du groupe Elf et un homme politique habile au point de réussir son passage à la Chancellerie ( garde des Sceaux pendant la cohabitation de 1986 ).

Et pourtant, tout bien compté, il était marqué du sceau de la pudeur par-delà sa trajectoire remarquable. En 100 ans, il aura réussi à être un résistant émérite notamment dans le maquis de Lorris situé à l'Est du Loiret qui le marqua à jamais.

L'écrivain Francis Scott Fitzgerald a su poser une réflexion emblématique :  "Montrez-moi un héros et je vous écrirai une tragédie". Effectivement, en scrutant les lignes de Pierre Manenti, on décèle un héros ( Croix de guerre 1939 – 1945  et Légion d'honneur à titre militaire ) mais aussi de vifs coups d'épée dans le déroulement de certaines étapes de la vie de Chalandon. Tout chrétien sait que le pèlerinage terrestre suppose l'épreuve. Au demeurant, la devise familiale empruntée à Monseigneur Georges Chalandon tient lieu de réconfort : " Noli timere, ecce ego tecum sum : " Ne crains rien, car je suis avec toi " ( extrait du Livre d'Isaïe, chapitre 43 ).

Oui, une des clefs de décryptage de la personnalité complexe de Chalandon réside dans l'épreuve de la Guerre. Il y a des souvenirs, fussent-ils techniquement glorieux et qualifiés d'actes de bravoure qui entaillent la mémoire d'un homme, qui le scarifient pour toujours.

Je rappelle qu'à la Libération, le maquis de Lorris comptait plus de 400 prisonniers nazis. Autant dire l'efficacité de ses dirigeants.

Albin Chalandon, en amont de son mariage avec Salomé Murat, a su être remarqué par de puissantes familles aristocratiques. La liste est conséquente et l'auteur aborde avec tact cette série de mentors parmi lesquels il convient de retenir les Mortemart. 

Selon toute vraisemblance, il est attribué à Solange de Rochechouart de Mortemart le fait que le jeune homme courageux parvint à rejoindre les maquis de l'Est du Loiret. De même, il sût tisser des liens avec les Schneider et Wendel et autres familles influentes.

Le conflit mondial lui a permis de tisser des liens d'amitié, les fameux réseaux de la Résistance et des maquis.

Pour des raisons de santé, il échoua à l'ENS et rejoint quelques années plus tard la fine fleur de l'Inspection des Finances ( 1945 ) où il fit notamment connaissance avec Simon Nora, un des inspirateurs de la " Nouvelle société " de Jacques Chaban-Delmas.

A cet égard, je m'interroge sur les liens qui ont pu exister – ou pas – entre Pierre Juillet ( anti-Chaban ) et Albin Chalandon. Deux grandes intelligences mais dont la convergence demeure incertaine voire électrique.

Dans l'immédiat après-guerre, il fût un haut fonctionnaire brillant au point de participer activement à la réorganisation de la filière aéronautique nationale et de se rapprocher, en lien direct, de Marcel Dassault.

En 1950, Albin Chalandon rejoint ainsi la BNCI : banque publique où il fera la connaissance des frères Mercier. Ernest Mercier étant le fondateur d'Alsthom ( 1928 ) et de la Compagnie française des pétroles ( 1929 ). Premier contact direct avec l'univers du monde tellement intéressant des entrepreneurs complétant ses liens préalables avec Marcel Dassault.

Remarqué dans le monde de la haute finance, il devint trésorier actif de l'UNR portée par le retour aux affaires du Général de Gaulle. La politique allait être un nouvel univers pour exercer ses compétences.

Nommé ministre émerillonné tant à l'Équipement ou l'Industrie et évidemment place Vendôme en tant que Garde des Sceaux. Il démontra un savoir-faire incontestable en tant que parlementaire et devint, comme l'indique l'auteur, un authentique baron du Gaullisme.

Et bien évidemment un vif capitaine d'industrie notamment lors de sa présidence d'Elf.

Une telle trajectoire imprime encore la mémoire de milliers de personnes et ce point doit être souligné. Lorsqu'un être s'inscrit ainsi dans la mémoire collective, c'est la preuve de l'efficience de ses actions au service du bien commun. Il acceptait de le souligner avec une certaine fierté s'agissant du nombre de kilomètres d'autoroutes construits sous son impulsion.

Certains se contenteront de voir dans ce parcours celui d'un baron du gaullisme ( avec alors une connotation un rien péjorative )  parfois proche d'un certain affairisme ( Garantie foncière, scandale Aranda ) là où la Justice ne l'impliquera nullement ce qui dilue la portée des procureurs de presse qui se sont autorisés bien des excès notamment dans ses liens avec la maison Chaumet.

Pour François Mauriac, " un auteur ne se décide à écrire une biographie entre mille autres que parce qu'avec ce maître choisi il se sent accordé : pour tenter l'approche d'un homme disparu, la route la meilleure passe par nous-mêmes. " ( in La vie de Jean Racine ). Ainsi, le texte de Pierre Manenti est d'autant plus teinté de sagacité qu'il a préalablement réfléchi et finement écrit sur le Gaullisme social. Incontestablement, ce récit premier lui a ouvert les portes de la compréhension de la trajectoire politique d'Albin Chalandon.

Catherine Nay et Fabien Chalandon ont notamment contribué à éclairer l'auteur et nous devons les remercier de leurs apports qualifiables de précieux. J'ose une métaphore. La préface et la conclusion ( écrite par les fils ) sont comme un double serre-livres dont le lecteur prend connaissance le cœur serré tant il émane de ces lignes une tendresse et un respect intellectuel dévolu au disparu.

Les recherches de l'auteur permettent de situer l'ambition politique d'Albin Chalandon qui était à la fois vive mais éloignée du devant des tréteaux. Cet homme d'État œuvrait pour son pays davantage que pour lui-même : toute sa vie en atteste. Il appréciait le pouvoir mais pas les projecteurs. Et Catherine Nay écrit ainsi dans la préface :  " Albin ne parlait pas de lui. Il était un homme sans vanité. "

A cet égard, l'explication consistant à dire que ce type de rectitude a pour siège la pratique ardue des années de Guerre mérite d'être ici retenue et donc soutenue.

Au demeurant, l'auteur nous confirme que le spectre relationnel d'Albin Chalandon était large au point de rejoindre jusqu'au général Pierre de Bénouville qui ne fût pas, dans l'avant-guerre, du même bord.

Un être intelligent et ouvert à l'Autre sont des qualités quand vous présidez un groupe aussi complexe qu'Elf. Il faut savoir nouer des relations avec Omar Bongo mais aussi avec les syndicats des raffineries ou le ministère des Finances sans omettre la confiance du président de la République.

Nul ne peut contester que l'essor d'Elf soit issu des heures de travail acharné de son dirigeant qui a réussi à naviguer en temps de forte houle.

Pour le général de Gaulle, " Albin Chalandon était une valeur ", ce qui déplut à certains proches de Georges Pompidou qui conviennent néanmoins de son talent en matière de développement de la maison individuelle tranchant ainsi avec la politique des grands ensembles. Au fond, il s'inspira de la loi Loucheur de 1928, socle des pavillons de banlieue. Et l'affaire des " chalandonnettes " est dérisoire au regard d'autres malfaçons issues de commandes publiques. 

Fidèle au Général comme l'a confirmé Bernard Tricot ( au présent rédacteur en présence d'Augustin de Romanet en 1982 ), le ministre Chalandon aura été aussi bon skieur qu'habile dans ses rapports avec le Parlement comme le rapporte finement Pierre Manenti.

Lorsque la présidence d'Elf est évoquée, certains sont heureux de faire des gorges chaudes au sujet des avions renifleurs en omettant de souligner que ce dossier n'a jamais été initialisé par Chalandon mais par son prédécesseur en 1975. Le trop fameux Pierre Guillaumat. 

Le journaliste du Monde, Bernard Franck, évoque le vocable de " mémoires oublieuses " et effectivement notre époque aime parfois à conserver quelques slogans ( Chaumet, Dailly, … ) même dans les cas navrants où ils ne se conjuguent pas avec la Vérité. Ainsi son rôle de Garde des Sceaux reste à dévoiler… et repose sur sa haute conception de la République.

Cette vérité, seul le " Bel Albin " ( sic ) la connaissait et il n'a jamais voulu suivre la suggestion de la solaire Catherine Nay consistant à écrire ses mémoires.

Cet homme pudique en savait trop sur son époque et il a probablement été pris en étau entre le désir de fidélité du récit et les risques divers de la narration publique.

Tout dire était impossible et se contenter d'un écrit édulcoré n'était ni digne de son intelligence ni de son rang de grand-croix dans l'ordre de la Légion d'honneur.

Pierre Manenti nous propose un récit à la fois reflet de sa puissance cognitive personnelle et de son sens très objectif de l'Histoire.

 Son livre est sincèrement si bien construit qu'il est à mille lieux de synthèses médiocres. Face à un titan que fût Albin Chalandon, l'auteur a su parvenir à une hauteur remarquable tout en laissant son lectorat libre de conclure certains pans des cent ans d'un grand Français où l'ombre se bat parfois avec la lumière.

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