Agression sexuelle d’une fillette à domicile par un mineur isolé, vengeance du père : qui risque quoi devant la justice ?<!-- --> | Atlantico.fr
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La police est intervenue quelques minutes après l'altercation entre le père de la victime et le coupable.
La police est intervenue quelques minutes après l'altercation entre le père de la victime et le coupable.
©LOIC VENANCE / AFP

Effondrement régalien

Le père d'une fillette de six ans a frappé le coupable après l'avoir cherché pendant plusieurs heures.

Gérald Pandelon

Avocat à la Cour d'appel de Paris et à la Cour Pénale Internationale de la Haye, Gérald Pandelon est docteur en droit pénal et docteur en sciences politiques, discipline qu'il a enseignée pendant 15 ans. Gérald Pandelon est Président de l'Association française des professionnels de la justice et du droit (AJPD). Diplômé de Sciences-Po, il est également chargé d'enseignement. Il est l'auteur de L'aveu en matière pénale ; publié aux éditions Valensin (2015), La face cachée de la justice (Editions Valensin, 2016), Que sais-je sur le métier d'avocat en France (PUF, 2017) et La France des caïds (Max Milo, 2020). 

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Henri de Beauregard

Henri de Beauregard

Henri de Beauregard est avocat au barreau de Paris, agréé près la Cour Pénale Internationale.

Titulaire d’une maîtrise en droit public, et diplômé d’études supérieures en sciences politiques. Il conseille de plusieurs syndicats professionnels (Syndication National des Discothèques et Lieux de loisirs, APIIH…), il assiste aussi de nombreuses associations (Equipes d’Action contre le Proxénétisme, Associations familiales…), des élus (locaux et nationaux), et de nombreux chefs d’entreprises. Il est intervenu dans plusieurs dossiers à fort retentissement.  

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L'Avis de Henri de Beauregard

Atlantico : Un mineur isolé a été incarcéré pour des agressions sexuelles sur une fillette de six ans. Le suspect avait été interpellé puis roué de coups par le père de la victime et ses amis venus lui prêter main-forte. Que risque le père de la victime présumée pour ses actions ? 

Henri de Beauregard : Le risque encouru dépend de l’état du jeune homme frappé. S’il subit une ITT de plus de 8 jours, le risque sera de 7 ans d’emprisonnement et 100 000 € d’amende, dès lors que les coups ont été portés en réunion et avec arme. (art 222-12 du code pénal).

Que risque concrètement le mineur isolé si les accusations d’agression sexuelles sont avérées ?

Henri de Beauregard : S’agissant d’un mineur de plus de 15 ans, le risque théorique est de la moitié de la peine encourue pour un majeur, soit 5 ans d’emprisonnement et 75 000 € d’amende. Toutefois, compte tenu des circonstances particulières de l’infraction, le Tribunal peut décider d’écarter le bénéfice de la minorité et condamner dans les limites du risque maximal prévu pour les majeurs.

Mais dans un cas comme dans l’autre, ces « risques » évoqués de manière abstraite n’ont pas grand intérêt : ce qui en a, ce sont les peines effectivement prononcées dans ce genre de cas, qui sont souvent assez éloignées du risque.

S’il est évident que toute forme de vendetta est à proscrire, comment comprendre qu’un homme en soit venu à cette extrémité ? Faut-il y voir le résultat de défaillances de la justice ? Cette affaire est-elle révélatrices de failles et de renoncements de l’Etat ?

Henri de Beauregard : Il existe en effet, dans notre pays, une défiance grandissante à l’égard de la justice. Toutes les études le montrent. Cette défiance a beaucoup de raisons. Certaines tiennent à la tension générale que connait le pays depuis plusieurs années, qui inclut une forme de radicalisation et de contestation des institutions en général, ou sont liées à la surmédiatisation de certains faits divers et à une forme de populisme catalysé par les réseaux sociaux. Mais il faut admettre que d’autres tiennent à l’institution judiciaire elle-même, dont l’état catastrophique ne permet plus véritablement au citoyen d’espérer obtenir justice dans des délais et des conditions acceptables. Services de police débordés, parquets submergés, la justice est au bord de l’embolie. Déposer plainte aujourd’hui, y compris pour un avocat, c’est le plus souvent la certitude de n’avoir aucune réponse dans des délais acceptables, devoir relancer soi-même le processus pendant des mois… pour aboutir parfois péniblement à une « mesure alternative aux poursuites » afin de ne pas surcharger des audiences correctionnelles déjà au bord de la rupture, quand toutefois on ne se voit pas contraint à déposer plainte avec constitution de partie civile et à verser une consignation prohibitive pour espérer le début d’une investigation. Quand, à Paris, il est impossible d’avoir un commissariat directement au téléphone ; quand, dans le moindre tribunal de France, il est inenvisageable de rencontrer un Procureur ou d’espérer de lui une réponse avant plusieurs mois, l’article 73 du code de procédure pénale (qui permet à tout citoyen d’appréhender l’auteur d’un crime ou d’un délit flagrant) se voit promis à des utilisations de plus en plus régulières et à des invocations de plus en plus nombreuses… C’est la même situation et la même conviction, parfois inconsciente mais bien réelle, qu’il sera impossible d’obtenir une intervention rapide, qui peut être à l’origine de l’invocation de plus en plus fréquente de la « légitime défense ». Cette situation est d’autant plus préoccupante que les violences aux personnes à l’origine du sentiment d’insécurité apparaissent en forte augmentation et que l’esprit civique, qui implique la conscience d’appartenir à une nation commune et le respect des règles qu’elle se fixe à elle-même, est en voie de désagrégation sous la pression conjuguée d’un individualisme forcené et de difficultés d’intégration d’une part de la population issue de l’immigration. De fait, il y a bien une forme d’ « ensauvagement » dont sont notamment victimes les femmes, enfants ou personnes âgées, comme c’est le cas dans plusieurs affaires récentes ayant défrayé la chronique. Pour autant, il ne faut pas tout confondre : si l’on doit entendre l’état d’émotion ressentie par le père de famille de Roanne, il n’apparait pas raisonnable de faire de son comportement une « légitime défense » au sens de l’article 122-5 du code pénal tant il est vrai que, contrairement à ce que certains ont pu prétendre, il n’existe pas de « légitime défense différée ». Et si l’article 73 du code de procédure pénale pouvait être invoqué pour fonder l’interpellation, il ne peut évidemment l’être pour justifier les coups portés. Au-delà de cette affaire singulière, la réponse à la violence croissante de notre société ne tient pas dans la mise en cause démagogique de nos principes fondamentaux (prohibition de la peine de mort, médiatisation de la vengeance, irresponsabilité des individus privés de discernement, individualisation des peines)  mais dans l’octroi de moyens renforcés à la police et à la justice.

Cette affaire est-elle révélatrices de failles et de renoncements de l’Etat ?

Henri de Beauregard : Avec d’autres, elle est le symptôme d’une défiance à l’égard de la justice et de l’insatisfaction des citoyens devant l’incapacité de l’Etat à les protéger en faisant appliquer avec fermeté des règles claires. Cela vaut en amont de l’intervention de la justice, en particulier avec la question des OQTF non-exécutées elle-aussi au cœur de l’actualité judiciaire, ou en aval de cette intervention, avec les questions de la lenteur de la justice ou de l’illisibilité de l’application des peines. Nos concitoyens ne comprennent pas qu’une obligation puisse ne pas être obligatoire ni une peine exécutoire ne pas être exécutée. Or la justice, comme le droit, ne sont pas des concepts autonomes, répondant à leur propre logique : ils sont des instruments au service d’une société. Force est de constater qu’ils n’apparaissent plus comme tels à nos concitoyens au point que l’on voit désormais des quartiers s’organiser pour mettre en place des patrouilles ou, dans un genre différent, des victimes aller demander justice sur des plateaux de télévision. C’est que, à l’heure de l’instantanéité, l’institution judiciaire apparait lente, inaccessible, parfois partiale (beaucoup n’ont pas oublié qu’un autre père de victime fut affiché sur le triste « mur des cons » du syndicat de la magistrature) et souvent peu compréhensible. Les praticiens ne pourront pas éternellement considérer ces demandes en faveur de davantage de rapidité, de lisibilité et de responsabilité avec dédain. Outre les moyens, qui sont la seule réponse crédible à apporter à la lenteur, la justice doit s’adapter à une société plus rapide, dans laquelle la communication est omniprésente. A peine d’être constamment débordée, il lui faut être présente sur ce terrain et fournir un effort de simplification de notre procédure (qui n’est pas nécessairement synonyme de réduction des droits de la défense) et de pédagogie à l’égard de nos concitoyens. Enfin, et c’est un serpent de mer, il me semble que l’on n’échappera pas éternellement à l’ouverture d’une réflexion sur une vraie responsabilité des magistrats.

Que propose aujourd’hui la justice face à ce genre de situation ? Comment peut-elle indemniser ou non le préjudice, y compris moral, subi si les faits sont avérés ?

Henri de Beauregard : La justice indemnise, bien-sûr, à l’aide d’expertises médicales et psychiatriques et de « grilles » fondées sur les pratiques jurisprudentielles. Naturellement, ces indemnisations apparaissent rarement satisfactoires aux victimes qui peinent à accepter que l’on mette des chiffres sur leur souffrance. Pourtant, j’explique régulièrement à celles que je reçois qu’il ne faut pas y voir une indécence ou une indélicatesse mais la seule manière dont la justice dispose pour reconnaitre leur qualité et dire la considération qu’elle porte à leur souffrance. La manière dont il s’en acquittera sera aussi une manière, pour l’auteur, de dire la sincérité de son amendement.

L'Avis de Gérald Pandelon : 

Atlantico : Un mineur isolé a été incarcéré pour des agressions sexuelles sur une fillette de six ans. Le suspect avait été interpellé puis roué de coups par le père de la victime et ses amis venus lui prêter main-forte. Que risque le père de la victime présumée pour ses actions ? 

Gérald Pandelon : Permettez-moi, en premier lieu, de me placer sur le terrain de l'éthique et de l'humanisme le plus élémentaire. En effet, à l'instar du drame qui a pu se produire récemment concernant la jeune Lola, cette nouvelle affaire ne peut qu'heurter notre sensibilité, nous choquer également car elle témoigne toujours davantage d'une évolution et banalisation de la violence. Car, n'en déplaisent à ceux qui refusent d'admettre les évidences et qui n'analysent les évolutions sociétales que sous le prisme d'un hypothétique progrès de l'esprit humain, force est d'admettre que nos sociétés, loin d'être dictées par une quelconque amélioration, sont révélatrices d'un échec, lorsque de façon paradoxale les auteurs de faits abominables s'en sortent finalement mieux que ceux qui sont animés d'une légitime envie de s'en venger. Comment, en effet, condamner un père pour avoir souhaité se venger d'un adolescent ayant perpétrés des actes immondes ? Des actes commis par un pervers sur une fillette de six ans ? En d'autres temps et autres lieux, cet homme n'aurait-il pas plutôt obtenu la légion d'honneur pour acte de bravoure et de courage ? Nos sociétés, au nom du patriotisme constitutionnel cher à Habermas, doctrine qui consiste, pour simplifier, à tout soumettre au droit et aux procédures, en sont-elles réduites à être à ce point aseptisées ? La vengeance privée, lorsque les actes relèvent d'une particulière gravité, est-elle à ce point incompréhensible par un juge pénal, au point de poursuivre pour violences volontaires un père ayant voulu sanctionner à Roanne l'auteur du viol d'un enfant ? Certes, m'objectera-t-on, le mineur, isolé, ce qui devient un leitmotiv car la plupart ne le sont pas, a été placé sous mandat de dépôt, donc incarcéré. Mais devait-on poursuivre en pareilles circonstances le père qui dans un excès de rage aura voulu, par une action privée, pallier le manque d'autorité de notre Etat, lequel, en effet, ne nous protège quasiment plus ? La preuve n'en est-elle rapportée par la circonstance que, désormais quotidiennement, surviennent des actes de barbarie dans notre pays ? En second lieu, sur le plan philosophique, n'assiste-t-on pas, de façon plus fondamentale, à une barbarie intérieure ou à un immonde moderne au nom d'un "tout-progressisme" ou d'un "tout-culturel" ? Pourtant, si tout est culturel, plus rien ne l'est. On appauvrit la culture en lui supprimant tout fondement. «Culture» est un mot inventé par Cicéron.Il désigne le travail de l'âme sur elle-même par lequel l'homme conteste la stérilité originelle de la pensée. La culture fait pousser des fruits dans le désert initial car la pensée est oasis. Dans la notion de culture il y a aussi l'idée de culte rendu à soi. Mieux : de soin de soi. Le soin de son âme. Pourtant, à l'heure des décapitations d'enfants, des trépanations de prêtres, du terrorisme aveugle, d'assassinats quotidiens, de viols ou tentatives banalisés car trop fréquents, ce à quoi nous assistons en réalité est l'émergence définitive de l'immonde, c'est dire la déréalisation totale et donc barbare du monde. Etymologiquement c'est «ce qui ne peut pas faire monde», selon l'expression du philosophe Jean-François Mattéi, et extensivement, ce qui ne peut pas faire communauté. L'immonde, ce n'est pas le dégoûtant, c'est la non-forme. La modernité n'a en effet pas tenu ses promesses de construire un monde commun. Elle les a même bafouées. Le développement anarchique du sujet a signé la faillite en définitive de l'universel. A l'universalité, on préfère désormais aujourd'hui la singularité, même si elle est le cache-sexe de la barbarie.  

Que risque concrètement le mineur isolé si les accusations d’agression sexuelles sont avérées ?

Gérald Pandelon : En France, sur un plan pénal, la loi fait une distinction entre les mineurs de moins de 10 ans, ceux entre 10 et 13 ans, ceux entre 13 et 16 ans et ceux de 16 ans à 18 ans. Pour simplifier, avant 13 ans l'incarcération est quasiment impossible, après 13 ans oui. Avant 10 ans, on peut faire l'objet de mesures éducatives, mais pas de sanctions, et contrairement aussi à ce que l'on peut croire, il n'y a pas d'âge minimum pour que la responsabilité pénale d'un enfant soit engagée, même avant 10 ans. Un enfant peut donc être déclaré responsable pénalement de ses actes quel que soit son âge à partir du moment où les magistrats estiment qu'il est capable de discernement. Avant 7 ans, il est rare (pour ne pas dire jamais) qu'un magistrat poursuive un enfant. C'est ce à quoi nous avions pu assister s'agissant d'enfants de 4 ans accusés au départ de "viol" sur une autre enfant du même âge dans la cour d'une école parisienne. A partir de 10 ans, des sanctions sont possibles mais pas la prison, du moins jusqu'à 13 ans. Entre 10 et 13 ans, l'enfant pourra ainsi faire l'objet d'un avertissement solennel, d'une interdiction pour maximum 1 an de paraître dans certains lieux ou de fréquenter certaines personnes, de confiscation d'objets, de travaux scolaires, de stage obligatoire de formation civique. Le but est donc de faire comprendre à l'enfant la mesure de ses actes par la réparation. C'est à partir de 13 ans que des peines de prison peuvent être prononcées. La seule différence avec les majeurs, réside dans le fait que la peine infligée ne pourra être supérieure à la moitié de la peine prévue pour un adulte, c'est ce que l'on définit comme " l'excuse de minorité ". Cette atténuation automatique de la responsabilité pénale souvent énoncé dans les médias ne signifie pas que les mineurs échappent tous à la détention, cela signifie uniquement qu'ils ne peuvent pas effectuer la même peine qu'un adulte. La peine de prison prévue par le code pénal est divisée par deux pour les mineurs. Par exemple, si un mineur de 14 ans vole un scooter, il risque 1 an et demi de prison et non 3 ans de prison comme cela est prévu dans le code pénal pour un vol. Le mineur pourra donc être condamné au maximum à 18 mois de prison pour ce délit. En l'occurence, s'agissant de l'affaire qui nous occupe puisque le mineur auteur présumé des faits est âgé de 16 ans, et de manière exceptionnelle en fonction des circonstances et de la personnalité de la personne mise en cause, ce qui est le cas dans l'affaire de Roanne, le mineur pourra se voir infligé la même peine qu'un adulte dans le maximum légal de 30 ans (jamais de perpétuité pour les mineurs), raison pour laquelle il a fait l'objet d'un mandat de dépôt. Enfin, la loi n° 2018-703 du 3 août 2018 a fait passer le délai de prescription des crimes sexuels sur les mineurs de vingt à trente ans, pour conserver une spécificité après la loi du 27 février 2017 qui avait porté le délai de droit commun à vingt ans en matière criminelle.

Qu'aurait risqué le mineur isolé si le père de la victime ne l'avait pas lui même retrouvé et interpellé ? 

Gérald Pandelon : Si le père ne l'avait pas retrouvé et procédé à son interpellation, d'une part, aurait-il fallu que les policiers procèdent d'abord à son arrestation ; or, il est des cas où des délinquants peuvent s'en sortir indemnes de leurs forfaits ; et, dans l'hypothèse de son interpellation, il aurait encouru les mêmes poursuites pénales, savoir un mandat de dépôt. D'autre part, sur un plan pollitique, cela n'aurait malheureusement conduit à aucune réflexion suppplémentaire sur la cause profonde en France de l'augmentation de ces infractions, plus importantes qu'il y a 20 ans, contrairement à ce qui est indiqué sur des plateaux télé, l'immigration, trop importante pour pouvoir en intégrer les candidats, en raison notamment de l'écart de culture. 

Atlantico : Un haut responsable de la sécurité publique affirme sous couvert d'anonymat à Atlantico que le mineur n'aurait pas risqué grand-chose sans l'intervention du père. Il n'y aurait en effet à priori pas eu de grosse enquête et le prévenu aurait écopé d'un suivi psychologique. Par ailleurs, toujours selon cette source, le contentieux des agressions sexuelles est énorme donc la justice est très lente dans ces affaires.

S’il est évident que toute forme de vendetta est à proscrire, comment comprendre qu’un homme en soit venu à cette extrémité ? Faut-il y voir le résultat de défaillances de la justice ? Cette affaire est-elle révélatrices de failles et de renoncements de l’Etat ?

Gérald Pandelon : Je considère que lorsqu'un individu n'a plus aucune confiance en l'Etat censé assurer sa sécurité, qu'il ne lui reconnaît plus ce droit fondamental que de le protéger ainsi que sa famille, il peut effectivement vouloir par un excès de désespoir se faire justice lui-même. Ce réflexe étant d'ailleurs le corollaire de l'absence de réponse efficace de l'Etat-pouvoir désormais appréhendé comme impuissant, défaillant et irresponsable. Omnipotent, en théorie, au regard de ses missions et prérogatives régaliennes, mais, en pratique, désormais perçu comme illégitime à réparer le mal commis par la société, l'autorité n'étant donc plus acceptée car elle n'est en définitive plus crédible. Comment, en effet, pouvoir encore estimer que notre Etat nous protègerait alors que c'est au quotidien que se produisent des actes qui témoignent de son impuissance ? Ce n'est en rien être le dépositaire d'une quelconque pensée faciste, qui n'existe d'ailleurs plus en France, que de réagir normalement à une situation anormale, ce n'est en rien relever d'un quelconque penchant extrémiste que de réagir de façon extrême à un acte précisément extrême ! Le fait que des personnalités politiques comme madame Marine LE PEN ou Monsieur Eric ZEMMOUR puissent de façon véhémente réagir à une situation objectivement catastrophique en matière d'insécurité ne révèle en rien de leur côté d'un quelconque extrémisme mais témoigne, à l'inverse, d'une grande lucidité sur ce type de sujets qui ont été, à l'évidence, dans leur gravité, sous-estimés par la plupart des acteurs politiques les ayant précédés. Ces deux personnalités sont celles qui, en définitive, sont les seules à venir briser le consensus mou autour de non-dits ou d'évidences qu'il ne faudrait plus révéler. A l'inverse, nos irresponsables politiques, aveuglés par leur idéologie qui fonctionne comme un discours-écran entre leur intellect et les faits à observer, préfèrent avoir tort avec leurs propres grilles de lectures que de donner raison à ceux qui inspirent une pensée alternative, pourtant la seule, sur ces sujets, à être en adéquation avec la réalité vécue par des millions de français. Arborant le relativisme en blason et prônant la repentance comme horizon indépassable, la pensée dominante refuse en définitive d'assumer l'identité de sa culture au motif que toute identité constituerait une menace. 

Que propose aujourd’hui la justice face à ce genre de situation ? Comment peut-elle indemniser ou non le préjudice, y compris moral, subi si les faits sont avérés ?

Gérald Pandelon : Le fait d'indemniser un préjudice moral, ce qui est toujours possible, n'est que la réponse de l'homme faible considéré comme civilisé face au fort qui agit comme un barbare ; en d'autres termes, la réparation pécuniaire ne rendra jamais un enfant sauvagement assassiné à ses parents. Même si, comme le disent les juristes, il sera toujours possible, au regard d'un dommage, de réparer les divers chefs de préjudices subis, pas uniquement d'ailleurs le préjudice moral ; en pareilles circonstances, "faire le deuil", constitue une expression vide de sens. Sa finalité est d'exhorter à l'oubli, à la nécessité d'oublier l'inoubliable, pardonner l'impardonnable. Elle s'adresse, in fine, à des non-humains. Car ce qui constitue précisément la part d'humanité comprise en théorie en chaque homme réside en sa sensibilité, sa souffrance, son incapacité à surmonter l'insurmontable. D'ailleurs, c'est précisément parce que les épreuves sont parfois trop dures que la réponse se traduira par une médicalisation de cette nécessité d'oubli, les psychiatres prescrivant des anti-dépresseurs puissants permettant à l'homme de sortir de lui-même, de s'oublier, dans une position d'extériorité à soi, extatique. A l'épreuve des faits, ce travail de deuil est pourtant une ineptie pour celui qui ne reverra jamais son enfant, l'être aimé ; un non-sens, du sang écoulé au fond sans transfusion de sens, l'absurdité d'un monde, celle de l'incipit de Camus, reposant sur une antinomie structurelle, à savoir la nécessaire souffrance devant s'infliger volontairement (le "travail" de deuil) l'ascendant ou descendant du défunt pour occulter une autre souffrance (la perte définitive d'un être cher). Car, en réalité, dans cette folie ou cette nuit de l'intelligible, les souffrances loin de se soustraire ne font que s'accumuler, elles constituent, elles et elles seules, des condamnations réellement à perpétuité.  

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