Affirmer que « manger bio ne sert à rien » est-il vraiment une preuve d’inculture scientifique ?<!-- --> | Atlantico.fr
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Des tomates biologiques cultivées en Bretagne.
Des tomates biologiques cultivées en Bretagne.
©FRED TANNEAU AFP

Complot contre lobby

Une enquête réalisée par l’IFOP pour la fondation Jean Jaurès sur le rapport des jeunes à la science a intégré à sa liste de questions, un item sur l’alimentation en bio. Et si l’idée scientifiquement fausse n’était pas chez les jeunes mais chez les commanditaires du sondage…?

Gil Rivière-Wekstein

Gil Rivière-Wekstein est rédacteur pour la revue Agriculture et Environnement. Il est l'auteur du livre "Panique dans l’assiette, ils se nourrissent de nos peurs". 

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Atlantico : Dans son dernier sondage, l’IFOP écrit dans ses questions que déclarer "manger bio ne sert à rien" est une preuve d’inculture scientifique. Est-ce véritablement le cas ?

Gil Rivière-Wekstein : J’ignore la méthodologie qui a été utilisée dans ce sondage, qui mesure essentiellement les croyances aux thèses complotistes – comme croire que les Américains ne sont jamais allés sur la Lune ou que la terre est plate – mais les résultats me semblent peu crédibles. Il en ressort en effet que 16% des jeunes Français seraient convaincus que la terre est plate. Cela signifie que dans une classe de 25 élèves, 4 élèves en moyenne auraient cette opinion. Cela fait beaucoup, alors qu’à titre personnel je n’ai jamais croisé de jeunes affirmant de telles aberrations.

Mais le plus choquant dans ce sondage, c’est de mettre au même niveau la croyance que manger bio ne sert à rien avec la croyance que les Américains n’ont jamais été sur la lune. On pourrait plutôt penser que ce sont ceux qui ont formulé cette question qui font preuve d’une évidente inculture scientifique ! Visiblement, ils ignorent qu’aucune étude sérieuse n’a aujourd’hui été en mesure de démontrer les avantages sanitaires d’une alimentation issue de l’agriculture bio. En réalité, rien ne permet de croire que manger bio fait gagner une seule minute d’espérance de vie.

Que savons-nous exactement alors de l'impact de l’agriculture biologique sur la santé et sur l'environnement ?

Tous les produits qui sont issus de l'agriculture conventionnelle comme de l’agriculture biologique vendus en France ne posent strictement aucun problème sanitaire, dès lors qu’ils font partie d’un régime alimentaire équilibré. Ce n'est pas le mode de production agricole qui joue sur la qualité de l’alimentation et sur la santé, mais la manière dont on va s'alimenter qui fait la différence. Manger des chips à l'excès est mauvais, qu’elles soient bio ou conventionnelles. En revanche, manger une pomme tous les jours, bio ou non, reste excellent pour la santé. 

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Sur l’environnement, c’est plus complexe. L'agriculture biologique a des avantages mais aussi des inconvénients, notamment parce que c’est un mode de production extensif. Cela signifie qu'il faut une surface plus importante pour produire la même quantité d'alimentation, et donc que, pour produire une tonne d’aliments, l’impact sur la biodiversité, par exemple, est beaucoup plus important que pour un mode de production plus intensif. Ainsi, si la France choisissait une agriculture exclusivement biologique, nous serions amenés à importer de la nourriture en raison de la faiblesse des rendements. Le bilan carbone serait alors bien plus élevé, et l’impact sur l’environnement dans sa globalité bien plus mauvais qu’aujourd’hui.

En revanche, il est vrai que dans l’agriculture biologique, on se passe de certains produits phytosanitaires, et donc que l’impact comparé pour une même surface sera plus faible. Au final, cela dépend quel est le critère pris en compte : la quantité de nourriture produite ou l'impact sur la surface de production. 

Mais surtout, arrêtons de penser qu’il y aurait une seule forme d’agriculture biologique et une seule forme d’agriculture conventionnelle. Les modes de production, tant en bio qu’en conventionnel, sont multiples avec des impacts sur l’environnement différents. Certaines formes d'agriculture conventionnelle sont incontestablement plus respectueuses de l'environnement que ne peuvent l'être certaines pratiques de l'agriculture biologique. Par exemple, l’agriculture sans labour – c’est-à-dire qui laisse le sol tranquille – aura moins d’impacts négatifs qu’une agriculture où le labour est utilisé, comme c’est le cas en AB. Par ailleurs, certains pesticides autorisés en bio, notamment ceux à base de cuivre, sont particulièrement mauvais pour la biodiversité et l’environnement.

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Le fait que cela soit une interrogation d'un sondage IFOP pour la Fondation Jean Jaurès est-il révélateur d'une vision idéologique du bio qui s'est répandue dans la société ? 

En effet, il est surprenant qu’une fondation aussi sérieuse que la Fondation Jean Jaurès puisse véhiculer ce genre de fausses idées. On voit ici les effets d'années de campagnes de marketing du lobby du bio, qui a réussi à implanter ce genre  de fausses croyances. De loin la plus répandue reste cependant la croyance que l'agriculture biologique n'utilise pas de pesticides. C’est totalement faux, puisque plus de 300 formulations de pesticides différentes bénéficient d’une autorisation de mise sur le marché (AMM) – y compris certaines dont l’impact sur l’environnement n’est pas vraiment satisfaisant –, et que chaque année la filière bio demande des dérogations pour pouvoir épandre d’autres produits.

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