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Acte XX des Gilets jaunes : pourquoi les manifestations ne disent plus grand chose de la réalité de (la poursuite de) la mobilisation
©MEHDI FEDOUACH / AFP

Acte XX

Selon le ministère de l’intérieur, les Gilets jaunes étaient 33 700 en France, dont 4 000 à Paris pour l'acte XX. Vingt-sept arrêtés d’interdiction établis par les préfectures ont été recensés samedi.

Jean Petaux

Jean Petaux

Jean Petaux, docteur habilité à diriger des recherches en science politique, a enseigné et a été pendant 31 ans membre de l’équipe de direction de Sciences Po Bordeaux, jusqu’au 1er janvier 2022, établissement dont il est lui-même diplômé (1978).

Auteur d’une quinzaine d’ouvrages, son dernier livre, en librairie le 9 septembre 2022, est intitulé : « L’Appel du 18 juin 1940. Usages politiques d’un mythe ». Il est publié aux éditions Le Bord de l’Eau dans la collection « Territoires du politique » qu’il dirige.

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Sylvain Boulouque

Sylvain Boulouque

Sylvain Boulouque est historien, spécialiste du communisme, de l'anarchisme, du syndicalisme et de l'extrême gauche. Il est l'auteur de Mensonges en gilet jaune : Quand les réseaux sociaux et les bobards d'État font l'histoire (Serge Safran éditeur) ou bien encore de La gauche radicale : liens, lieux et luttes (2012-2017), à la Fondapol (Fondation pour l'innovation politique). 

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Atlantico : Alors que les manifestations avaient été plutôt calmes dans l'ensemble lors de l'Acte XIX, quel bilan tirer de l'acte 20 ? 

Sylvain Boulouque : Le bilan cet acte XIX est en demi-teinte. Les Gilets Jaunes sont toujours mobilisés, même si les chiffres dénotent un taux de mobilisation plutôt faible. Et s'il y a eu quelques affrontements sporadiques à Paris et Bordeaux, il n'y avait pas assez de Gilets Jaunes mobilisés ce samedi pour qu'il y ait de réels conflits ou affrontements. 

Il y a une certaine tension palpable, mais cela en reste à quelques échauffourées, en raison de la taille restreinte du cortège, et ne va pas jusqu'à l'émeute.  Par ailleurs, l'interdiction régulière des manifestations participent également à la réduction de la taille des cortèges.

Jean Petaux : Pour tirer un bilan de toute opération il faut qu’il y ait une colonne « actif » et une colonne « passif » ou « recettes » et « charges ». Pour les Gilets Jaunes, la comptabilité est assez simplifiée, c’est celle que Monsieur Nicolle, un des leaders autoproclamés du mouvement, doit être en mesure de comprendre si j’en crois sa grande maitrise des chiffres telle qu’elle ressort d’une de ses dernières vidéos postées il y a quelques heures. Le bilan des « Jaunes », pour cet épisode 20 (et non pas « acte », terme qui répond à une définition bien précise dans la littérature, discipline où l’on devine que Monsieur Nicolle a forcément accumulé d’excellentes notes dans ses « années collège »), comme pour les précédents épisodes, le bilan se résume à la lecture de la colonne « passif ». Il n’est pas « nul » (ce serait un moindre mal), il est totalement dans le « rouge » : vingt semaines de vitrification de dizaines de centres villes ; mobilisation ininterrompue des forces de l’ordre depuis vingt samedis ; des dizaines de petits commerces de proximité en grande difficulté ; un chiffre d’affaires des centrales d’achats en ligne qui explosent pour les cadeaux des fêtes de Noël et engraissent aussi bien les GAFAM que les grandes surfaces ou le m-commerce ; des soldes de janvier 2019 catastrophiques… Tout cela parce qu’un pseudo mouvement social et populaire s’octroie la maitrise et l’occupation de l’espace public dans une impunité quasi-totale alors que, rappelons-le systématiquement, 90% des manifestations ne sont pas déclarées en préfecture et donc purement et simplement illégales.

 Si l’on prend en compte par ailleurs l’évolution de ce minable rituel hebdomadaire, elle est, elle aussi, carrément rentrée dans le rouge dès le deuxième épisode : après une premier samedi où à peine 300.000 personnes ont battu le pavé, partout en France, et un premier décès (du fait de l’occupation d’un rond-point, surtout pas du fait des forces de l’ordre, on en compte au total une douzaine, jamais du fait des forces chargées du maintien de l’ordre) la mobilisation n’a cessé de décroître. S’il n’y avait eu les violences apparues dès la fin du mois de novembre et au tout début de décembre, relayées comme elles l’ont été dans l’espace médiatico-social des réseaux, il n’y avait pas matière à consacrer plus de cinq minutes par semaine à une troupe de décérébrés politiques qui n’ont pas tardé d’ailleurs à laisser s’écouler dans leur sillage la vague puante de l’antisémitisme. Sans jamais, vraiment, à l’exception d’une des figures du « mouvement » Ingrid Levavasseur, irréprochable dans cette affaire, mais qui l’a chèrement payé, dénoncer ces remontées de bouses fascistoïdes, d’extrême-droite ou islamo-gauchistes.

Certains esprits forts, intellectuels complaisants, ont très vite brandi les chiffres de soutien de l’opinion publique aux revendications des « Jaunes ». On savait les Français parfois distraits, fantasques, virulents, volontiers critiques et chahuteurs, presque tous sélectionneurs de quelque chose (équipe nationale de football, de rugby, etc.), mais pas idiots au point de ne pas être d’accord avec des revendications aussi démagogiques que : « moins d’impôts, plus de services publics » ; « augmentation des petites retraites » ; « baisse du prix de l’essence » ; « supprimer la limitation de vitesse à 80 km/h » et autres demandes que l’on pourrait résumer ainsi : « Diriez-vous qu’il est préférable d’être riche, beau, bien portant et jeune que vieux, atteint d’un mal incurable, pauvre et laid ? ». Si entre 70 et 80% des panels de sondages n’avaient pas soutenu les revendications des GJ, autour du 17 novembre 2018, cela aurait signifié deux choses : soit les échantillons des instituts n’étaient plus représentatifs, soit les Français étaient subitement doués d’une grande sagesse et d’une vision politique qui leur aurait fait comprendre que ce mouvement était nul et non avenu, dans sa forme, dans son expression et dans son contenu. Ce qui ne veut absolument pas dire qu’il n’était pas le symptôme d’une société gravement malade, porteur d’un mal profond comme l’écrit Chateaubriand en 1827 (précision à l’usage de certains GJ qui liraient cette contribution : ce n’est pas qu’une pièce de viande) : « il porte en lui (ce peuple) une blessure de l’âme que même un bien-être matériel  n’a pas su et ne saurait guérir ».

Eric Drouet a annoncé cet après-midi depuis Bordeaux, que la manifestation des Gilets Jaunes allait continuer tout au long du mois d'avril. Le mois d'avril coïncide avec la conclusion du Grand débat, attendue mi-avril. Est-ce là un moyen pour les Gilets Jaunes de signaler au gouvernement qu'ils ne sont pas prêts à baisser les bras ? 

Sylvain Boulouque : La poursuite des manifestations est un moyen pour les Gilets Jaunes d'affirmer leur présence et leurs revendications. Il faut néanmoins noter que c'est uniquement une partie des Gilets Jaunes qui continuent aujourd'hui de manifester, les autres ont commencé à cesser de se mobiliser. 

Cela étant dit, le fait d'annoncer ces manifestations permet aux Gilets Jaunes qui sont toujours mobilisés de maintenir une sorte de pression pas tant sur le gouvernement, qui ne semble guère les écouter, mais davantage sur les médias puisque cela prouve qu'ils existent toujours. Cette mobilisation continue est un moyen pour eux de peser sur l'opinion publique d'autant plus qu'ils ne sont pas invités au Grand débat.

Jean Petaux : Il n’y aucune raison pour qu’Eric Drouet cesse ses activités. Désormais entouré d’avocats qui se veulent célèbres, lui et d’autres comme « Fly Ryder » (Maxime Nicolle cité plus haut) comme l’homme au chapeau Jérôme Rodrigues ; un chanteur has been comme Lalanne, qui semble habité par une seule préoccupation, comment faire pour être plus ridicule encore que feu sa marionnette des feux « Guignols » de Canal+ ; on pourrait ajouter le fonctionnaire territorial de l’Indre, sans affectation, qui a « trusté » les plateaux télés au début des événements et qui envisage de se lancer dans la campagne des élections pour le Parlement européen ou encore ce « leader » du sud-est proposant de confier le pouvoir au général de Villiers ou à un autre militaire de haut rang : tous ces personnages ont fait mentir Andy Warhol : ce n’est pas d’un quart d’heure de célébrité dont ils ont pu jouir en une forme d’orgasme magistral mille fois supérieur à la hauteur de leurs espérances et de leurs actions eu égard aux services rendus au titre de l’intérêt général.

C’est une exposition récurrente et permanente que leur offrent les réseaux sociaux et quelques relais médiatiques (qu’ils exècrent par ailleurs) complaisants à leur égard. On ose imaginer ce que le retour à la « vie normale » provoquera comme PTS (post-traumatic syndrom) à ces « figures jaunes » quand il faudra qu’ils rangent leur panoplie de révolutionnaires en peau de lapin dans le petit étui glissé sous le siège de leur véhicule. On les retrouvera dans cinq ans : certains auront bien trouvé un éditeur flairant le bon coup, ils viendront témoigner de l’extraordinaire enthousiasme populaire qu’ils ont connu ; de leur espoir d’un monde meilleur ; de la méchanceté de Macron ; de ces « salauds de médias au service du pouvoir dans les mains des banquiers juifs » et de la grande solitude qui a été la leur quand « ça » c’est arrêté. Certains auront perdu leur boulot, d’autres n’en auront jamais retrouvé un… Le Moloch médiatique les aura ressortis du formol le temps de se refaire une petite séquence « vintage » et nostalgie des « tenies » (les années 2010), avant, pour de bon, un retour à l’anonymat dont ils n’auraient, dans une société « civilisée » et non pas une « société du spectacle », jamais dû sortir, compte tenu de leur œuvre pour le bien commun, de leur surface intellectuelle et de leur contribution à au progrès.

Plusieurs appels à manifester à Lille, Toulouse puis Paris ont déjà été lancés. Alors que l'on croyait à un possible essoufflement du mouvement, doit-on au contraire s'attendre à son regain ? Notamment lorsque le gouvernement aura rendu ses conclusions du Grand débat ? 

Sylvain Boulouque : La mobilisation va continuer pour trois raisons. Premièrement, les Gilets Jaunes qui manifestent toujours sont une communauté militante diverse et variée. Deuxièmement, dans la rue, les Gilets Jaunes cherchent à maintenir la pression sur le gouvernement et sur les médias. Troisièmement, les différents appels à manifester sont un moyen pour eux de prouver qu'ils existent toujours nationalement.

Y aura-t-il un regain des manifestations ou non ? Cela dépendra des conclusions du Grand débat. Pour l'instant, les propositions sont loin de satisfaire les Gilets Jaunes qui sont toujours mobilisés. D'autant plus, qu'à la vue des profils politiques extrêmement divers des manifestants il est très peu probable qu'ils soient en accord avec les propositions gouvernementales. 

Il convient également de relativiser ce Grand débat puisque quand bien même il a touché un nombre important d'individus, il n'en pas touché autant qu'on aurait pu le croire en amont. Un peu plus d'un million de français ont participé au Grand Débat, ce qui représente moins des deux tiers des participants aux primaires socialistes. Qui plus est, si l'on regarde les participants à ce Grand débat il s'agit majoritairement de retraités, de personnes déjà investies dans la vie associatives et dans la vie politique : absolument pas le public des Gilets Jaunes. Il y a donc un effet trompeur.

Ainsi, les conclusions gouvernementales risquent d'aboutir à une colère des Gilets Jaunes qui ne se retrouveront pas du tout dans leurs propositions. Il est donc tout à fait possible qu'ils se remobilisent à partir de ce moment-là, d'où l'annonce de manifestations pour le mois d'avril. Annonce qui prouve d'ors et déjà que les conclusions de ce Grand débat seront décevantes à leur yeux. 

Jean Petaux : Toute personne un peu censée aura compris qu’il s’agit là d’un enfumage de plus. Il faudrait quand même rappeler, que dans le même temps où les « Jaunes » se la jouent « mouvement social » et que certains observateurs ou sociologues en mal d’utopies mal dégrossies y voient une « forme originale d’expression politique  non conventionnelle », dans deux Etats, très différents c’est le moins que l’on puisse dire, dans leur histoire, leur culture, leur organisation politique et sociale, l’un des plus vieux régimes parlementaires au monde, le Royaume-Uni d’un côté et une « démocrature », l’Algérie de l’autre côté, « riverains » au sens étymologique de la France, au nord et au sud, dans ce même temps donc des manifestations « monstres » (plus de 6 millions de personnes au Royaume-Uni, au moins une dizaine de millions, de jeunes mais pas seulement, en Algérie) se déroulent pacifiquement, pour des revendications précises et clairement exprimées : « Non au Brexit » et « Non au régime du FLN ».. Un peu plus sérieuses en tous les cas que contre « Macron (qui) fait du ski à La Mongie ». Cet épisode 20 des « Jaunes » a mobilisé 33.700 personnes dont toute la France, 7.000 de moins que la semaine dernière. Ils ne sont à peine plus de 10% des 300.000 « sortis » le 17 novembre 2018.

4.000 personnes à Paris ce samedi 30 mars. Les « leaders » diront que les conditions météo (il a fait très beau) ont joué, que, bien évidemment, les chiffres sont truqués. Jamais ils ne reconnaitront que « ça suffit ». Qu’ils ont perdu au regard des ambitions affichées au départ.

Alors le plan change : on passe à « la tournée en province ». De toute manière la moyenne d’âge des « Jaunes » reste quand même plus proche de celle des assidus des spectacles de « Age tendre et têtes de bois » : il n’y a donc rien de scandaleux à ce que le « spectacle manifestant » transporte ses « tréteaux » dans les villes de France. Dommage pour celle qui sera « de permanence » le samedi. Reste qu’il n’y a pas eu de foule nombreuse en Avignon ce samedi (ville pourtant choisie comme « spot » national) et les Toulousains invités à venir manifester à Bordeaux étaient fort peu nombreux dans le cortège, malgré les quelques croix occitanes sur des drapeaux qui faisaient illusion. La comparaison avec les quelques chanteurs, icônes des années 70 et 80, doit être prise pour ce qu’elle est : un clin d’œil. Car, contrairement aux « Jaunes ». ces artistes vedettes  avaient et ont toujours de jolis talents. Enfin pas forcément tous… : Francis Lalanne, par exemple, a fait partie de certaines tournées d’ « Age tendre… ».

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