Mais à quoi jouent les Chinois avec leur projet de canal au Nicaragua à 40 milliards de dollars mais aucune rentabilité économique visible ?<!-- --> | Atlantico.fr
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Le président du Nicaragua Daniel Ortega (G) serre la main de Wang Jing, président de l'Kong société internationale Nicaragua Canal Development Investment Co. Hong (HKND Groupe) après la signature d'un contrat de concession pour la construction d'un canal
Le président du Nicaragua Daniel Ortega (G) serre la main de Wang Jing, président de l'Kong société internationale Nicaragua Canal Development Investment Co. Hong (HKND Groupe) après la signature d'un contrat de concession pour la construction d'un canal
©Reuters

Made in China

Le Congrès du Nicaragua a approuvé jeudi 13 juin une loi attribuant à une entreprise chinoise la concession pour concevoir et exploiter un canal entre l’Atlantique et le Pacifique, dont le coût est estimé à 40 milliards de dollars.

Antoine Brunet

Antoine Brunet

Antoine Brunet est économiste et président d’AB Marchés.

Il est l'auteur de La visée hégémonique de la Chine (avec Jean-Paul Guichard, L’Harmattan, 2011).

 

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Récemment, M.Daniel Ortega a annoncé que son pays avait décidé de construire sur son territoire un deuxième canal transocéanique et que c’était la société HKND appartenant à un tycoon chinois et basée à Hong Kong qui procéderait au financement à la construction et à l’exploitation de cette infrastructure.

Tout d’abord, il s’agit là à l’évidence d’une initiative chinoise. Jamais le Nicaragua de M.Daniel Ortega n’aurait tenté de concrétiser un tel projet si la Chine ne le lui avait pas proposé. Vu le budget annoncé pour ce projet, 40 milliard de dollars, il est plus que probable que l’obscure société HKND (dirigée par un tycoon chinois et basée à Hong Kong) qui doit prochainement signer avec le Nicaragua s’avère être un faux nez de l’Etat chinois. Seul un Etat d’une aussi grande taille et d’une aussi grande solidité financière que la Chine peut en effet se permettre de se lancer dans une initiative aussi pharaonique.

Initiative d’autant plus pharaonique qu’elle ne répond pas du tout au critère habituel de rentabilité des financements de projets : le coût en est très élevé et reste susceptible d’être révisé à la hausse ; le trafic effectif est problématique car le Canal de Panama est engagé lui-même dans une réfection lui permettant d’accueillir lui aussi des navires de gros calibre ; au total le montant escompté des péages ne devrait même pas assurer l’amortissement…. A l’évidence, la rentabilité n’est pas l’élément qui a inspiré ce projet.

Quelles sont donc alors les motivations qui ont pu amener l’Etat chinois à se lancer dans une telle entreprise ?

Quatre motivations essentielles nous semblent inspirer la Chine :

1)      La Chine cherche à développer dans le monde un réseau de transports qu’elle contrôle le plus possible.

Il s’agit pour elle de sécuriser ses échanges internationaux et de minimiser ses coûts de transport mais plus encore de mettre en place un énorme réseau mondial de transports dont elle sera maitresse et qui constituera pour elle un formidable atout sur les plans commercial, diplomatique et militaire.

Ce canal du Nicaragua lui permettrait en tout cas de s’affranchir du Canal de Panama, largement contrôlé par les Etats-Unis, pour transporter les biens que la Chine échange avec l’Amérique Latine (Mexique, Caraïbes, Amérique du sud).

Les importations de pétrole, de métaux, de soja et de bois en provenance du Venezuela, du Brésil et de l’Argentine seront de plus en plus nécessaires à la Chine. De même, la Chine sera de plus en plus intéressée à mieux accéder, grâce à un transport  bon marché et garanti, aux marchés intérieurs de l’Amérique Latine.

En se constituant un canal dont elle sera l’utilisateur prioritaire et privilégié, la Chine se donne les moyens de sécuriser plus encore ses approvisionnements et ses livraisons. Cette opération succède à beaucoup d’autres :

  • On a déjà assisté à la constitution par la Chine d’un réseau de six ports de guerre qui lui appartiennent et qui sont échelonnés entre le Détroit d’Ormuz et la Chine du sud pour mieux garantir la sécurité des approvisionnements pétroliers en provenance du Moyen-Orient et la sécurité des livraisons par porte-conteneurs à destination de l’Europe, de la Russie et du bassin méditerranéen.
  • On a assisté aussi à l’achat et au développement par la Chine de la moitié du Port du Pirée.
  • On a vu aussi la Chine s’approprier en Italie et en France des installations portuaires (Naples, Le Havre) et aéroportuaires  (Rome, Châteauroux et Reims).
  • On a vu aussi la Chine ouvrir une négociation avec l’Islande pour obtenir un port commercial qui lui serait réservé et qui serait un atout pour la Chine sur les nouvelles routes maritimes qui passeront par le pôle nord.
  • Plus récemment, on a vu aussi la Chine annoncer son intention prochaine d’une liaison ferroviaire marchandises entièrement nouvelle entre la Chine et la Pologne.

2)      Démontrer la supériorité de la Chine en matière de constructions de grandes infrastructures. Il s’agit pour elle à la fois d’un enjeu technologique et d’un enjeu soft power.

La Chine vient d’annoncer qu’elle avait décidé de construire la tour la plus haute du monde, plus haute encore que celles qui existent en Malaisie ou dans les Emirats. La Chine veut prouver qu’elle est la plus forte en ingénierie BTP et elle veut en même temps en retirer de bénéfices de type soft power. Réaliser un Canal du Nicaragua très moderne un siècle seulement après la Canal du Panama serait une opération très prestigieuse pour la Chine.

3)      Renforcer de façon très tangible le lien géopolitique entre la Chine et les pays latinos qui lui sont politiquement acquis : Nicaragua, Cuba, Venezuela, Bolivie.

La Chine avec cette opération Nicaragua, espère à l’évidence se créer un point d’appui géopolitique très significatif sur le continent latino-américain, à la fois face aux Etats-Unis et face au Brésil qui n’a pas renoncé à son statut de pays métropole de l’Amérique du sud.

4)      Se créer des installations militaires au Nicaragua, à quelques centaines de kilomètres des Etats-Unis.

Vu le montant important de capitaux qu’elle engage dans cette affaire, il y a fort à parier que la Chine a très probablement déjà demandé au gouvernement de Managua une contrepartie très particulière : l’octroi de bases militaires pour la Chine.

A supposer que cette contrepartie ne soit pas encore actée, la Chine trouvera les arguments (assurer la sécurité des installations face à la menace américaine) et les leviers (menace d’interrompre le chantier en cours de route) pour obtenir au minimum un port de guerre sur le Pacifique Est et un port de guerre sur le Golfe du Mexique.

Après tout, le Nicaragua ne serait que le huitième pays souverain à accorder une ou plusieurs  bases militaires à la Chine : il viendrait allonger la liste après le Pakistan, les Maldives, les Seychelles, Sri Lanka, le Bangladesh, le Myanmar, le Cambodge….

En s’assurant virtuellement une base militaire au Nicaragua, la Chine lance un nouveau défi majeur aux Etats-Unis. La Chine prend-elle ainsi le risque d’une réaction fulgurante des Etats-Unis à son encontre ?

En réalité, c’est au contraire la faible réactivité face à la Chine des Etats-Unis sur les dossiers majeurs les plus récents (Agressivité commerciale multiforme de la Chine ; Mer de Chine du sud ; Mer de Chine de l’est ; Hacking chinois contre les multinationales et contre les Administrations américaines) qui encourage à l’évidence le Parti Communiste Chinois à initier des offensives de plus en plus audacieuses et de plus en plus lourdes. Espérons que Washington en tirera les leçons qui s’imposent.

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