A long terme, les génériques ne sont pas une bonne affaire pour les finances publiques (et notre santé) <!-- --> | Atlantico.fr
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La Sécurité sociale espère, avec ce nouvel accord, réaliser 300 à 400 millions d'euros d'économies supplémentaires.
La Sécurité sociale espère, avec ce nouvel accord, réaliser 300 à 400 millions d'euros d'économies supplémentaires.
©Reuters

Pas si automatique

La Sécurité sociale vient de passer un accord avec deux syndicats de pharmaciens afin d'accroître la vente de médicaments génériques. Pourtant, des doutes subsistent quant à leur innocuité et à la possibilité de constituer une solution rentable pour la Sécurité sociale sur le long terme.

Sauveur Boukris - Frédéric Pierru

Sauveur Boukris - Frédéric Pierru

Sauveur Boukris est médecin généraliste. Enseignant à Paris, il participe à de nombreuses émissions de radio et de télévision sur les questions de santé. Il est l'auteur de plusieurs livres médicaux dont "Santé : la démolition programmée", aux Editions du Cherche Midi. Il vient de publier "Médicaments génériques, la grande arnaque" aux Editions du Moment.

Frédéric Pierru est sociologue, chargé de recherche au CNRS,au CERAPS-Université Lille 2 . Il travaille sur la réforme des systèmes de santé français et européens. Il a publié, entre autresHippocrate malade de ses réformes (Editions du Croquant – 2007), Manifeste pour une santé égalitaire et solidaire, Paris, Odile Jacob, 2011 ; L'hôpital en réanimation, Editions du Croquant, 2011 et L'hôpital en sursis. Idées reçues sur le système hospitalier, Le Cavalier Bleu, 2012 (avec Bernard Granger).

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Atlantico : La Sécurité sociale vient de passer un accord avec deux syndicats de pharmaciens afin d'accroître la vente de médicaments génériques. Gilles Bonnefond, secrétaire général de l'Union des syndicats de pharmaciens d'officine a déclaré que cette signature était "un accord gagnant pour tout le monde". Est-ce réellement le cas ?

Frédéric Pierru : La CNAMts fait preuve d’une belle constance stratégique : comme avec les médecins libéraux, il s’agit ici d’”acheter” des changements de comportements. La CNAMts parle plus volontiers d’intéressement, mais au fond c’est la même chose : “Je fais des économies grâce à toi, je t’en redistribue une petite part en primes”. Pourquoi pas. Je remarque seulement que lorsqu’il s’agit des assurés sociaux, la CNAMts emploie plus volontiers le bâton que la carotte : il s’agit alors de sanctionner des comportements jugés déviants comme dans le cas de la majoration d’honoraires quand l’on recourt directement au spécialiste sans passer par le médecin traitant. La responsabilisation des assurés sociaux semble devoir passer par le fait de leur faire supporter une part croissante du coût des soins qu’ils reçoivent alors que les professionnels de santé, médecins ou pharmaciens, eux, sont responsabilisés en étant récompensés. C’est un peu deux poids deux mesures. Mais il est vrai que les syndicats de médecins libéraux ou de pharmaciens sont des groupes professionnels bien organisés et assez redoutés pour leur capacité de mobilisation et de nuisance politique... Après tout, l’on pourrait aussi considérer qu’en tant que professionnels dont les revenus sont largement garantis par la Sécurité sociale, ils doivent déontologiquement participer de sa viabilité financière en évitant par exemple de prescrire des médicaments coûteux alors qu’il existe des génériques. D’ailleurs, c’est exactement ce que disent les pouvoirs publics aux soignants dans les hôpitaux ! 

La Sécurité sociale espère, avec ce nouvel accord, réaliser 300 à 400 millions d'euros d'économies supplémentaires. N'est-ce pas une solution d'urgence ? Les génériques permettent-ils vraiment de faire des économies sur le long terme ? 

Frédéric Pierru : Je me méfie toujours des affichages d’économies budgétaires attendues, tant ceux-ci sont aussi des stratégies de communication. Souvent les réalisations sont plus modestes. Mais il s’agit aussi de montrer ainsi la détermination politique aux acteurs du secteur. L’on voit bien que le gouvernement est dans l’urgence budgétaire : il s’agit de réaliser des économies substantielles sur les principaux postes de dépenses publiques, dont les retraites et la santé. En même temps, la politique de promotion du générique est, elle, un objectif poursuivi depuis longtemps par les pouvoirs publics quelle que soit la couleur des gouvernements. Cette volonté politique a été bien entendu ralentie par l’obstruction opposée par les laboratoires dont la capacité d’innovation décline depuis deux décennies. Les blockbusters, qui sont pour beaucoup anciens, sont menacés de tomber les uns après les autres dans le domaine public. Entre 2007 et 2011, la fin des protections a représenté 106 milliards de dollars en moins pour le chiffre d’affaire de l’industrie mondiale (soit 5%) ! Les coûts de R&D s’envolent malgré les restructurations. Les appétits des actionnaires s’aiguisent. Elle a livré des batailles homériques au niveau européen et international pour, par exemple, allonger les délais des brevets ou pousser à la vente de médicaments “over the counter”. Elle fait aussi régulièrement du chantage à l’emploi, particulièrement efficace en ces temps de chômage de masse. Elle se donne aussi les moyens d’avoir des relais au sein des régulateurs publics comme l’ont montré, différemment, les affaires Mediator et Cahuzac.  De surcroît, l’industrie pharmaceutique a une influence systémique sur le système de santé : elle influe sur les comportements des prescripteurs et des “consommateurs”- patients. Promouvoir les génériques n’est pas aussi simple qu’on pourrait le croire : cela suppose de changer les règles du jeu et d’infléchir des comportements dont tous les acteurs du système de santé se sont accommodés depuis des années. Au final, il s’agit ni plus ni moins que de changer le rapport de la société française au médicament. Rien de moins. 

On assiste à une baisse du coût de production des médicaments. De plus en plus de laboratoires délocalisent la production de leurs princeps dans les pays du Sud et en Asie. Les génériques ont-ils une responsabilité dans cette délocalisation ? Si oui, dans quelle proportion ? 

Frédéric Pierru :L’industrie pharmaceutique mobilise tous les leviers possibles pour préserver sa formidable rentabilité, qui tient désormais moins à sa capacité d’innovation, déclinante, qu’à sa capacité à savoir se jouer des régulations internationales et nationales... C’est un acteur global, mondialisé. Elle met en concurrence les territoires et les législations sociales et sanitaires des Etats nations pour accroître, ou au moins, préserver ses marges. Elle fait aussi du chantage à l’emploi. Les délocalisations de production s’inscrivent dans cette stratégie globale. Le chiffre de 80% des molécules “consommées” en Europe viendraient de Chine ou de l’Inde circule. 

Sauveur Boukris : Il faut faire la distinction entre les molécules originales développées par des laboratoires qui font de la recherche et les médicaments issus de fabricants des génériques, qui eux ne font que du commerce. Ces derniers n'ont pas de frais de recherche et de développement, tout ne repose que sur la commercialisation de leurs produits. Depuis quelques temps, étant donné que les prix des médicaments en Europe sont très contrôlés - en plus de l'arrivée des génériques qui sont en vente 30 % moins cher - les fabricants sont tentés de chercher les coûts les plus bas : ils vont donc chercher les matières premières dans les pays tels que l'Inde, la Chine ou le Brésil afin de baisser le prix de revient du médicament. Cette baisse du coût de revient du médicament peut engendrer fatalement une moins bonne qualité des médicaments. Les génériques engendrent une moins grande vigilance sur la qualité du médicament et notamment sur ses critères de fabrication.

Avec quelles conséquences sur la qualité des médicaments ? 

Frédéric Pierru :L’industrie met en concurrence non seulement les législations sociales (par exemple, les règles d’admission au remboursement et de fixation des prix) mais aussi sanitaires. Clairement, quand on délocalise dans ces pays c’est pour bénéficier d’une main d’œuvre nettement moins chère mais aussi de règles beaucoup moins contraignantes. Sans parler même des moyens de faire appliquer ces règles accommodantes ! Une usine chinoise est cinq fois moins contrôlée qu’un site de production français. C’est coup double : sur les coûts de main d’œuvre et sur les processus de production. L’on aura du mal à faire croire que produire des médicaments dans des conditions aussi favorables, pour ne pas dire laxistes, n’a pas d’impact sur la qualité finale des produits. Hélas, le système de santé ne se réforme qu’après la survenue d’un scandale. Tant qu’on n’est pas vu et pas pris, on continue. Et puis, un jour, survient le drame... Et là, tout le monde se renvoie la balle. Pour au final, dire que l’on va renforcer la “régulation”... Ça rassure l’opinion publique, le business reprend as usual, jusqu’à la prochaine crise... 


Quelles seraient les autres solutions à envisager afin de diminuer significativement les dépenses de la Sécurité sociale ? 

Frédéric Pierru :Diminuer significativement ? C’est une chimère en matière de dépenses de santé. Il existe une tendance lourde, à la fois économique, sociale et culturelle, à l’augmentation structurelle des dépenses de santé dans les pays développés : plus un pays est riche, plus la part de la richesse qu’il consacre à la santé augmente. L’enjeu réaliste est de maîtriser la croissance de ces dépenses, percute la quasi-récession économique. Rappelons quand même que cette croissance des dépenses de santé a eu tendance à ralentir ces dernières années, pour des raisons que les économistes ne sont pas toujours en mesure d’expliquer, hormis les effets parfois socialement délétères de la privatisation rampante des soins courants (franchises, tickets modérateurs).

Le poste médicaments est, à mon sens, celui où il existe des marges d’économies assez substantielles à réaliser. Le marché français est le premier d’Europe en termes de chiffre d’affaires des laboratoires. Et les Français sont les troisièmes consommateurs mondiaux. La France est aussi le pays où les innovations pharmaceutiques coûteuses se diffusent le plus rapidement. D’autres estiment que l’hôpital devrait faire l’objet de contraintes budgétaires encore plus sévères, idée dont, en tant que sociologue faisant de l’observation dans les services, je doute, au moins à court terme. En effet, Le gros des économies que je dirais “faciles” à obtenir a été réalisé. On est désormais dans le dur et les économies passent pas des réorganisations du travail soignant qui ne se décrètent pas et ne livreront leurs potentialités budgétaires qu’à moyen ou long terme. Et puis, il existe la piste du financement, la plus délétère du point de vue de l’égalité d’accès aux soins : il s’agit de transférer toujours plus de dépenses de soins, notamment courants, vers les complémentaires santé et les patients.

C’est ce que l’on a fait depuis 2004. Avec les résultats que l’on sait. Il s’agit d’un raisonnement purement comptable : ce que vous ne payez plus avec votre CSG et ce que vous ne recevez plus de la Sécu, vous le payez avec une prime de mutuelle qui explose pour des prestations très différentes selon le contrat dont vous bénéficiez. Une dépense publique contrainte devient une dépense privée non moins contrainte. Un impôt “public” devient un impôt “privé”, de surcroît plus injuste ! Est ainsi dans l’air l’idée selon laquelle on devrait moduler les remboursements en fonction du niveau de revenu. Hormis que cela constitue une rupture avec les principes de solidarité et d’égalité de 1945, c’est une impasse économique. La seule voie consiste à maîtriser l’offre, et elle est politiquement coûteuse puisqu’elle oblige à s’affronter à de puissants groupes d’intérêt (industrie pharmaceutique, fédérations hospitalières, syndicats de médecins libéraux, etc.). 


Selon les derniers sondages, les Français semblent toujours très méfiants vis-à-vis des génériques - environ 4 sur 10 doutent de leur efficacité . Ont-ils raison ? Les médicaments génériques sont-ils dangereux ?

Sauveur Boukris : On peut émettre des doutes sur l'efficacité et la tolérance sur les génériques tant que les autorités sanitaires n'auront pas réalisé d'études de toxicologie et de pharmacovigilance entre génériques et princeps et entre les génériques eux-mêmes. Les autorités sanitaires ne font pas d'études sur les génériques comme pour un princeps. Nous sommes dans une situation paradoxale : l'autorisation de mise sur le marché des génériques bénéficie d'une procédure de mise sur le marché accélérée. Pour pouvoir lever les doutes, il est nécessaire de réaliser des études approfondies.

Cette méfiance peut-elle être étayée par des résultats scientifiques ? Y a-t-il des études qui ont prouvé leur nocivité sur le long terme ?

Sauveur Boukris : Nous ne disposons d'aucune étude les génériques, tant du point de vue de l'efficacité que du point de vue de la tolérance. Les seules indications que nous avons sont des remontées de patients : ce sont les malades eux-mêmes qui nous font part de la différence d'efficacité ou de la présence d' effets secondaires. Ce sont ces remontées qui ont permis aux autorités sanitaires de prendre des décisions. On parle des génériques de façon globale alors qu'il existe des différences notoires entre eux.

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