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A l’ombre de Coco, les héritiers trop discrets de l’empire Chanel
©Reuters

Le feuilleton de l’été : les héritiers dans tous leurs états

Wertheimer, ce nom est beaucoup moins célèbre que celui de la marque dont ces héritiers sont à la manœuvre. Alain et Gérard Wertheimer sont les propriétaires de Chanel et sont les héritiers d’une famille qui a connu les plus grands du XXème siècle. Mais la célébrité, ils ne l’apprécient que très peu, eux préfèrent rester discrets comme des alsaciens ! Discrets et même secrets.

Aude Kersulec

Aude Kersulec

Aude Kersulec est diplômée de l' ESSEC, spécialiste de la banque et des questions monétaires. Elle est chroniqueuse économique sur BFMTV Business.

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« Et vous mettez quoi pour dormir ... ?

- Deux gouttes de Numéro 5, tout simplement. » La réponse de Marylin Monroe au président des Etats-Unis qui lui faisait la cour a fait le tour du monde ( la photo de Marylin aussi). Le numéro 5 de Chanel est sans doute le parfum le plus célèbre de la planète.

Gabrielle Chanel, la créatrice, l’auteure, les a adorés, puis haïs, puis adoubés, puis trainés en justice quand elle a eu l’impression d’être volée et spoliée.

Ce sont eux, les frères Wertheimer, Paul et Pierre, ceux de la deuxième génération, qui ont mis la main sur l’emblème Chanel. Coco ne peut s’en prendre qu’à elle-même, elle n’avait pas d’enfant, et un empire bien trop important pour laisser de marbre les associés qu’elle avait croisés sur sa route quand elle a voulu se lancer dans le parfum.

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Mais il n’y a pas que Chanel. Les Wertheimer n’ont jamais été des créatifs, mais ils ont toujours été de bons financeurs, devenant ensuite des associés intéressés. Ernest a commencé les affaires à la fin du XIXème siècle. Il rencontre vite Emile Osrodi, à la tête de Bourjois, une société spécialisée en cosmétique qui a développé son produit phare, le fond de teint, grâce aux scènes de théâtre. Ernest Wertheimer s’associe et devient détenteur à 50% de Bourjois. Il ne s’arrête pas là. Par son réseau - il est alsacien et juif, Ernest Wertheimer rencontre les fondateurs des Galeries Lafayette, Théophile Bader et Alphonse Kahn. Ils ont besoin d’argent, et en bon ami, Ernest leur apportera le pactole manquant pour bâtir l’immeuble. Pas bête, Ernest, car une affaire en entraînant une autre, ça profitera aussi aux produits Bourjois qui se verront attribuer une place privilégiée dans les allées du magasin du boulevard Haussmann.

Paul et Pierre, les deux fils d’Ernest, révèlent le même goût pour les affaires que leur père. L’un deux a un bon diplômé: Paul, diplômé d’HEC mais de justesse. Mauvais élève, il préférait dormir en cours. C’est surtout par leurs voyages que les frères vont aider l’entreprise de leur père. Proposant leurs poudres et autres maquillages à qui le veut, ils concluent des licences dans les pays qu’ils visitent. Sans compter le flair qu’ils ont eu d’investir aux côtés de Félix Amiot dans l’aéronautique. Ce dernier construit des avions militaires et bombardiers. En période de guerres, c’est évidemment une affaire qui marche.

Mais tôt ou tard, chacun se mariera, rapatriant le noyau familial dans les environs de Paris. Paris ou Deauville d’ailleurs, car une des passions des frères, ce sont les courses de chevaux. Un jour, à l’hippodrome de Deauville, alors qu’ils vont admirer leur cheval, Epinard, qui remporte course sur course, un vieil ami de la famille se rappelle à eux, Théophile Bader, l’homme des Galerie Lafayette. Il faut dire que la « Riviera normande »  se développe. Dans les années 20, le maire, Désiré le Hoc en a fait une véritable station balnéaire : un casino pour concurrencer celui de Trouville, des palaces tout juste sortis de terre pour accueillir les parisiens en villégiature, et la Promenade des Planches qui, en 1924, vient tout juste d’être inaugurée. Le Deauville des années folles voit alors affluer célébrités comme hommes d’affaires. C’est justement ce que Théophile est venu leur présenter : une affaire, mais ils ne savent pas encore que ce sera l’affaire du siècle.

Théophile est donc venu accompagner d’une couturière, âgée de 40 ans et possédant des boutiques à son nom à Paris, Biarritz et Deauville. Et elle a un sacré caractère. Cette couturière, c’est évidemment Gabrielle Chanel. Mademoiselle, comme on dit, a déjà créé chapeaux, vêtements en jersey ou tailleur féminin ; elle cherche désormais à parfumer la femme d’une nouvelle empreinte, plus sophistiquée que florale.  Elle a déjà

choisi la fragrance, le flacon numéro 5. C’est un pari, parce que c’est une senteur beaucoup plus simple, contenue dans un flacon beaucoup plus sobre que ce dont on a l’habitude à l’époque. La couturière a donc le produit, mais pas les moyens de le produire. Les frères Wertheimer possèdent une usine qui pourrait faire l’affaire. La société Parfums Chanel voit donc le jour en 1924. L’entreprise n’appartient qu’à 10% à la créatrice – ce qui n’a pas fini de provoquer son ire, 70% revenant aux Wertheimer, le reste à desintermédiaires. Alors, pendant plusieurs années, le succès calme tout le monde. Mais en 1928, Coco lance la bataille. Elle craint que la famille d’Alsaciens ne s’enrichisse sur son dos. Il faut dire que l’ « atroce emmerdeuse », comme la qualifie un proche à cette époque, est connue pour son mauvais caractère, et quelquefois, son antisémitisme. Elle leur met comptable, procès et avocat sur le dos. Sans discontinuer, à tort et à raison. Car la guerre passe par là, les Wertheimer s’exilent aux Etats-Unis, pour plus de sécurité. Gabrielle Chanel essaie de faire réquisitionner leur part dans la société, sans succès. Là-bas, ils réussiront quand même à reproduire l’essence du parfum et à le fabriquer en série en usine. Ayant appris l’affaire, Gabrielle se sentira flouée. Le feuilleton durera encore quelques années.

Pourtant, en 1954, quand Coco décide de relancer sa maison de couture, qu’elle avait fermée avant-guerre, Pierre – Paul est décédé il y a peu - la suit et finance la moitié de la collection.  Le businessman n’est pas rancunier. On dit la maison Chanel au bord de la faillite, il la rachète. Les Parfums Chanel englobe la petite maison de couture pour faire place à Chanel SA. Coco en conserve tout de même la direction, et Pierre lui assure son train de vie : une suite à l’année au Ritz, des employés et des voitures. Une manière aussi de la chouchouter pour qu’elle continue de créer dans les meilleures conditions. Car l’inspiration et le succès reviennent à grands pas. Pierre et Gabrielle redeviennent amis comme chien et chat.

Dans les années 70, les petits-fils de Pierre – le fils ayant été écarté, préférant les collections d’art - reprennent le flambeau. Alain, d’abord, se voit attribuer la totalité des parts du groupe à 26 ans, il en deviendra le PDG. Gérard le rejoint peu de temps après à la gestion de la société.

Quarante ans plus tard, ça continue de tourner très bien pour les héritiers Wertheimer.

Les Wertheimer, sous le règne d'Alain, ont pris le contrôle dans une ribambelle de sociétés: dans le service de table avec Guy Degrenne aux montres Bell & Ross, des fusils de chasse Holland & Holland aux maillots de bains Eres. Les deux frères sont classés 6ème fortune de France, avec plus de 14 milliards d’euros. Ils ne sont pas les seuls patrons du luxe dans ce classement, il y a évidemment Bernard Arnault et François Pinault. Mais le groupe dont ils ont hérité est quand même singulier. Chanel n’est pas côté en bourse, n’a donc pas la visibilité d’un LVMH. La rentabilité annoncée est quand même de 25%, autant dire que les héritiers s’enrichissent en dormant.

Gérard Wertheimer réside aujourd’hui en Suisse, les holdings de Chanel sont néerlandaises ou suisse. Alain Wertheimer s’est installé à New York et supervise les affaires de là-bas. Le créateur attitré, Karl Lagerfeld, qui est en grande partie responsable de cette bonne santé, est allemand. Entrez dans une boutique Chanel, et vous verrez que la majorité des vendeurs sont asiatiques.

Alors, Chanel est-elle encore française ? Mais c’est une autre histoire…

Une histoire racontée par Aude Kersulec.  Tous droits réservés Aude Kersulec et Jmsprod

Pour aller plus loin…

Le film réalisé et écrit par Karl Lagerfeld, The return, nous dévoile les relations parfois compliquées de Coco avec ces associés. Un film rare. passionnant.

http://www.dailymotion.com/video/x18d8qc

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