8 Français sur 10 ne font pas confiance au nouveau gouvernement : à partir de quand la légitimité démocratique de l’élection présidentielle est-elle totalement perdue ? <!-- --> | Atlantico.fr
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Huit Français sur dix pensent que la politique économique du gouvernement Valls 2 ne sera ni claire, ni juste, ni efficace.
Huit Français sur dix pensent que la politique économique du gouvernement Valls 2 ne sera ni claire, ni juste, ni efficace.
©Reuters

Défiance

Alors que le gouvernement Valls II vient de prendre ses fonctions, un sondage Odoxa pour le quotidien Le Parisien révèle que 8 Français sur 10 pensent que la politique du gouvernement ne sera pas efficace. Par ailleurs, 63% des sondés demandent à François Hollande de dissoudre l'Assemblée.

Christian Delporte

Christian Delporte

Christian Delporte est professeur d’histoire contemporaine à l’Université de Versailles Saint-Quentin et directeur du Centre d’histoire culturelle des sociétés contemporaines. Il dirige également la revue Le Temps des médias.

Son dernier livre est intitulé Les grands débats politiques : ces émissions qui on fait l'opinion (Flammarion, 2012).

Il est par ailleurs Président de la Société pour l’histoire des médias et directeur de la revue Le Temps des médias. A son actif plusieurs ouvrages, dont Une histoire de la langue de bois (Flammarion, 2009), Dictionnaire d’histoire culturelle de la France contemporaine (avec Jean-François Sirinelli et Jean-Yves Mollier, PUF, 2010), et Les grands débats politiques : ces émissions qui ont fait l'opinion (Flammarion, 2012).

 

Son dernier livre est intitulé "Come back, ou l'art de revenir en politique" (Flammarion, 2014).

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Atlantico : Selon un sondage Odoxa pour le Parisien publié le 27 août 2014, le "gouvernement de clarté" voulu par le président de la République ne convainc pas car huit Français sur dix pensent que la politique économique du gouvernement Valls 2 ne sera ni claire, ni juste, ni efficace. Comment un gouvernement, et plus particulièrement un ministre de l'économie tout juste arrivé aux affaires, peut-il mener à bien sa politique lorsque que le niveau de confiance des Français semble si bas ?

Christian Delporte : Ce sondage souligne la défiance des Français à l’égard de François Hollande et leur impatience désormais exaspérée. Ils croyaient en Manuel Valls, comme l’indiquaient les sondages à son arrivée à Matignon, et ils n’ont rien vu venir. Bref, pour eux, un gouvernement "clair, juste, efficace", cela reste un slogan. A défaut de résultats, le nouveau gouvernement a le mérite de la cohérence et d’être conforme à la ligne définie par Manuel Valls. C’est ce que devra démontrer Emmanuel Macron. On peut s’attendre à beaucoup de communication (de "pédagogie" dira le gouvernement) et peut-être à quelques mesures spectaculaires. Mais, en tout état de cause, les marges de manœuvre restent limitées, d’autant qu’il ne faut pas trop irriter le PS.

La confiance indispensable, aujourd’hui, est moins celle de l’opinion (qui voudra des résultats pour changer d’avis sur Hollande/Valls) que celle des créateurs d’emplois. Et ce n’est pas un hasard si, au lendemain de la nomination de son second gouvernement, fondé sur une ligne plus libérale, le Premier ministre est venu parler à l’université d’été du MEDEF. La confiance indispensable, c’est aussi celle des députés socialistes qui seront mis au défi par le vote de confiance, en septembre ou en octobre. Mais là planera la menace d’une dissolution. Les socialistes ne sont pas suicidaires. Ils savent qu’avec des législatives anticipées la défaite serait cinglante et que, sans doute, deux députés socialistes sur trois ne reviendraient pas au Palais-Bourbon. Or, de ce point de vue, l’électeur ne ferait sans doute pas la différence entre les frondeurs et les autres. Pour le reste, on peut gouverner même avec une opinion largement défiante, les institutions de la Ve République sont faites pour cela.

Y a-t-il un niveau de confiance en-dessous duquel un gouvernement ne peut plus mettre en œuvre les réformes qu'il souhaite ?

Dans le cadre institutionnel, non. Ce qui peut bloquer les choses, c’est une situation de chaos : grèves massives, manifestations, paralysie du pays, spéculation boursière contre la France, etc. Ce qui peut aussi les bloquer, ce sont les calculs électoraux. Un gouvernement, quel qu’il soit, évite les mesures impopulaires lorsque les échéances électorales nationales se rapprochent. Nous en sommes encore loin. Enfin, autre donnée très politique : la confiance de son électorat. De ce point de vue, la récente séquence est plutôt favorable à Hollande/Valls, puisqu’une large majorité de l’électorat socialiste semble approuver l’éviction d’Arnaud Montebourg, ce qui, au passage, en dit long sur l’écart entre les militants et les sympathisants.

Selon le baromètre Ifop pour le Journal du Dimanche, François Hollande a perdu un point de popularité (17%) par rapport au mois de juillet, tandis que le Premier ministre enregistre une chute de 9 points pour s'établir à 36%. A partir de quel seuil d'impopularité la légitimité du chef de l'État peut ou doit être remise en cause ? Qu'en est-il pour le Premier ministre ?

La légitimité d’un président de la République, quel qu’il soit, repose sur le suffrage universel et non sur une opinion mesurée par des sondages. Si la forte impopularité révélée par les enquêtes d’opinion avaient dû entraîner le retrait du chef de l’Etat, tous les derniers présidents auraient démissionné : Mitterrand, Chirac comme Sarkozy, même si, je vous l’accorde, Hollande bat des records en la matière. Le respect des règles constitutionnelles est le gage de la démocratie.

On peut évidemment préférer le régime des soviets où "les masses" déterminaient "la tenue et le rythme des élections" (Lénine) et où les électeurs avaient le droit de révoquer leurs élus ! On peut revenir à la Constitution de l’An I (1793), sous la Terreur (texte d’ailleurs jamais appliqué) où les électeurs pouvaient récuser des lois dont ils contestaient la légitimité ! C’est un choix. Mais nous sommes sous la Ve République.

De Gaulle, en l’instituant, avait prévu un système électoral majoritaire, précisément pour éviter l’instabilité politique. Tant que Hollande disposera d’une majorité à l’Assemblée, il pourra gouverner. Comme je l’ai dit, les députés socialistes n’ont pas intérêt à la dissolution qui les conduirait à leur perte, avec le risque d’être exclus du pouvoir pendant fort longtemps. Le Président pourrait utiliser la dissolution comme une arme tactique, misant sur l’échec de la nouvelle majorité de droite, comptant sur la cohabitation pour regagner en popularité (à l’instar de Mitterrand voire de Chirac), le tout pour viser 2017. Ce serait tout de même un pari très risqué.

Quant au Premier ministre, il restera en poste tant le Président le souhaitera (même si, selon la Constitution, il ne peut partir que de son plein gré). La légitimité d’un chef de gouvernement n’est celle que lui accordent les sondages, mais celle que le Président lui donne en le nommant et celle que l’Assemblée nationale lui confirme par sa confiance. Pour le reste, l’impopularité, si elle reste en l’état ou si elle s’aggrave, est surtout dommageable pour la carrière politique de Manuel Valls. En cas de défaite (surtout catastrophique) en 2017, il ne pourrait pas incarner l’après-Hollande au PS. Les destins de Hollande et de Valls sont liés dans la victoire comme dans la défaite.

Quels types de problèmes la remise en cause de la légitimité du président de la République poserait-elle ?

En mettant en cause la légitimité d’un chef de l’Etat, c’est tout l’équilibre des institutions de la Ve République et du pacte républicain qui serait atteint. Quand on ne respecte plus le Président, on ne respecte plus les institutions, la représentation nationale, les partis républicains. Un climat de désobéissance à la loi, d’anarchie, d’atmosphère insurrectionnelle est toujours favorable à la montée des extrémismes.

Et puis, pensons aux effets à long terme. Pourquoi faire des élections si IPSOS, IFOP ou CSA (instituts de sondage ndlr) se substituent à la souveraineté du peuple exprimée par le vote ? La crainte de l’impopularité, pour les gouvernants, serait la porte ouverte à la démagogie et l’impossibilité, pour toujours, de faire des choix courageux pour l’avenir du pays. La démocratie d’opinion est un danger pour la démocratie tout court.

Quel que soit le niveau d'impopularité de François Hollande, il peut rester en fonction. Dans d'autres grandes démocraties, le Parlement a un pouvoir de contrôle sur la tête de l'exécutif. C'est le cas notamment en Grande-Bretagne ou aux États-Unis avec la mesure d'impeachment. Peut-on considérer cette carence comme un trou noir des institutions françaises ?

Depuis janvier 2012 et l’adoption par le Parlement de la révision constitutionnelle sur le statut du président de la République, il existe une forme d’impeachment, de mise en accusation à la française. Le chef de l’Etat peut être poursuivi pour "manquement à ses devoirs manifestement incompatibles avec l’exercice de son mandat", dans un cadre public, mais aussi privé.

Une telle procédure peut conduire à sa destitution, à condition qu’elle soit prononcée par les deux-tiers des juges de la Haute Cour. Le manquement aux devoirs est une notion à la fois large et floue. Mais, sauf accusation de haute trahison, de corruption ou de faits de mœurs graves, on voit mal comment des parlementaires pourraient poursuivre un chef de l’Etat.

Certains analystes conseillent à François Hollande de devenir un président non plus qui gouverne mais qui arbitre. Qu'est-ce que cela signifie ? Doit-il prendre de la hauteur, rendre sa parole rare, n'intervenir que sur les grands sujets ? Ce scénario est-il vraiment crédible aujourd'hui ?

La logique du quinquennat est implacable : il est le chef d’une majorité, un super-Premier ministre et, à ce titre, il est sur tous les fronts. L’équilibre voulu par De Gaulle en 1958 n’existe plus. Aujourd’hui le Premier ministre ne protège plus le président de la République : c’était vrai avec Fillon/Sarkozy, ça le fit récemment avec Ayrault/Hollande, cela pourrait le devenir avec Valls/Hollande.

Le Président-arbitre, à la parole rare, fixant le cap, tandis que le Premier ministre s’attelle au quotidien et prend les coups, c’est le schéma que Hollande avait en tête en arrivant à l’Elysée. C’est aussi –surtout- ce qu’il mettait derrière sa formule de la "présidence normale". Il s’est vite aperçu que, surtout en temps de crise, il n’était pas pertinent.

La logique des institutions est impitoyable. En 2017, s’il se représente, c’est lui que les Français jugeront, c’est lui qui assumera entièrement le bilan. 

*Cet article est une mise à jour de Date limite d'utilisation : à quel seuil d'impopularité François Hollande perdrait-il totalement la légitimité tirée de son élection ?, publié en novembre 2013. 

Propos recueillis par Sylvain Chazot et Carole Dieterich. 

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