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60 ans du début de la guerre d'Algérie : ce que les Algériens ont gagné ET perdu à mener la plus violente des décolonisations
©Reuters

L'heure du bilan

L'Algérie est le seul pays d'Afrique ayant été sous tutelle de l'empire colonial français à avoir connu une décolonisation dans la guerre. Une prise d'indépendance par la rupture qui a eu des conséquences particulières pour la suite de son histoire.

Jean-Jacques Jordi

Jean-Jacques Jordi

Jean-Jacques Jordi est docteur en histoire, et spécialiste de l’histoire des migrations en Méditerranée aux XIXe et XXe siècles, de l’Algérie, des colonisations et des décolonisations et de Marseille.

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Atlantico : Ce 1er novembre marque le soixantième anniversaire du début de la guerre d'Algérie. De tous les pays d'Afrique colonisés par la France, l'Algérie est le seul dont le détachement avec la métropole s'est fait dans la violence. En quoi la colonisation, et la décolonisation brutale a-t-elle donné à l'Algérie un destin particulier par rapport aux deux autres pays du Maghreb et aux Etats de l'Afrique subsaharienne ?

Jean-Jacques Jordi : L'Algérie a été colonisée très tôt par rapport au reste de l'Afrique puisque entre 1830 et 1847, la majorité du territoire était sous le contrôle de la France. Il y a donc une antériorité de l'Algérie dans le mouvement colonial, c'est un élément important. Elle est aussi un espace charnière entre les premiers mouvements de colonisation de peuplement (comme en Amérique du Nord et aux Antilles) et le deuxième mouvement colonial qui va débuter dans les années 1860-70, en Afrique et en Asie où ce qui est en jeu, ce n'est pas d'envoyer une population, mais d'administrer un espace et ses richesses. L'Algérie est donc l'espace colonial où il y a le plus de Français, tout en subissant l'aspect "colonialiste" au sens d'impérialiste, de la France.

Le Maroc et la Tunisie, quand ils ont été colonisés, étaient déjà des espaces relativement autonomes. Quand la France arrive en Algérie, au contraire, il n'y a pas du tout d'Etat algérien. Et comme le Maroc et la Tunisie étaient de plus des protectorats français, on acceptait implicitement l'idée qu'il y aura un jour un départ des Français. L'Algérie, au contraire, était considérée comme une colonisation définitive, ce qui a évidemment radicalisé les positionnements. Alors qu'on a laissé les Tunisiens se gérer assez librement, on voulait faire de l'Algérie une "ultra-France". Par conséquent, on va beaucoup plus développer l'Algérie qu'on ne le fera au Maroc et en Tunisie.

Mais comment cette décolonisation violente a-t-elle influencé la constitution des élites dirigeantes du pays qui, contrairement aux autres pays d'Afrique, n'étaient pas particulièrement favorables à la France ?

Quand l'Algérie est finalement devenue indépendante, ceux qui l'ont dirigée étaient allés préalablement à l'école française, ils connaissent toutes les valeurs françaises. Donc, ils vont se réapproprier les structures urbaines, mais aussi les structures mentales, de l'ancienne puissance tutélaire. Ils vont continuer d'agir comme la France l'avait fait auparavant. Cela pose le problème de l'élite algérienne qui, en réalité, n'est pas tout à fait légitime en termes de lutte. Elle a fait la guerre en dehors de l'Algérie, et est venue prendre le pouvoir en 1962, en s'asseyant dans les fauteuils de l'ancienne puissance coloniale, en développant donc très peu le pays, face à l'augmentation pourtant considérable de la population.

Comment cette violence constante a marqué la vie politique et la société algérienne ?

L'Algérie a longtemps été marquée par la violence, puisqu'elle a été ottomane avant l'arrivée de la France, puis il y eut la violence de la conquête française. Mais pendant la colonisation, comme la France est un pays puissant, elle a envoyé aux indigènes le message d'une répression brutale en cas de soulèvement (comme en 1870, en 1881, en 1902 et en 1945), ce qui a amoindri la violence dans le pays. La guerre d'Algérie, ensuite, a été particulièrement violente avec son lot de meurtre et d'exactions des deux côtés. Mais malgré l'indépendance, cette violence a continué à s'exercer justement parce que ceux qui ont pris le pouvoir était une élite illégitime. Elle a dû donc faire acte de violence pour s'assurer le pouvoir, et cela dès 1962. Cette élite nouvelle s'est donc appuyée sur l'armée pour assurer son pouvoir ce qui a perpétrer l'utilisation de la violence, ce qui a permis d'ailleurs de la maintenir au pouvoir. Et comme les gouvernements algériens qui se succèdent n'arrivent pas à lancer le pays dans un développement économique tel qu'il pourrait subvenir aux besoins des Algériens, le mouvement continue. Dans les années 80, soit une vingtaine d'années après l'indépendance, on voit donc en réaction la montée de mouvements d'actions terroristes islamiques, ce qui va amener à la décennie noire des années 90. Mais ces mouvements islamistes ne feront que récupérer la même dialectique que le FLN avait vis-à-vis de la France, mais contre ceux qui sont au pouvoir à Alger.  

Quelles ont malgré tout été les pertes pour l'économie d'une rupture brutale avec l'ancien colonisateur ?

Les Algériens ont certes gagné idéologiquement, et ont eu une indépendance à construire, ce qui n'était pas le cas de la Tunisie ou du Maroc qui existaient déjà en tant que territoire. Et même si de nombreuses infrastructures étaient déjà là, cette séparation douloureuse a amené la population intermédiaire, celle qui encadre les ouvriers dans les usines ou qui fait tourner l'administration, s'est massivement expatriée. Le pays était donc largement désorganisé au niveau économique et institutionnel. D'où l'appel de l'Algérie à l'appui de populations égyptiennes ou yougoslaves, qui ne sont d'ailleurs jamais resté très longtemps. Mais la grande chance – ou la grande perte selon le point de vue – de l'Algérie, ce fût la question des hydrocarbures. On en connaissait l'existence depuis les années 30, mais l'exploitation n'a réellement commencé que pendant la guerre justement.

On a des sources historiques qui montrent d'ailleurs que le FLN et la France se sont mises d'accord pour ne pas toucher aux pipelines et aux raffineries. En 1962, l'Algérie va hériter de tout cela, une véritable manne financière composée du pétrole et du gaz. La Tunisie et le Maroc n'auront rien de tout cela, ces pays ont donc dû envisager une autre structure économique. L'Algérie s'est donc basée sur cette rente qui n'a pas été exploitée par le colonisateur, mais dont la richesse est en grande partie captée et ne sert qu'à la marge aux intérêts du pays.   

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