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6 mois de Macron, un an de Trump : le match des premiers bilans des présidents "surprise"
©Brendan Smialowski / AFP

Duel à distance

Emmanuel Macron "fête" ses 6 mois à l'Elysée,tandis que Donald Trump a été élu il y a un an. L'occasion de dresser un premier bilan sur leur présidence respective.

Rémi Bourgeot

Rémi Bourgeot

Rémi Bourgeot est économiste et chercheur associé à l’IRIS. Il se consacre aux défis du développement technologique, de la stratégie commerciale et de l’équilibre monétaire de l’Europe en particulier.

Il a poursuivi une carrière d’économiste de marché dans le secteur financier et d’expert économique sur l’Europe et les marchés émergents pour divers think tanks. Il a travaillé sur un éventail de secteurs industriels, notamment l’électronique, l’énergie, l’aérospatiale et la santé ainsi que sur la stratégie technologique des grandes puissances dans ces domaines.

Il est ingénieur de l’Institut supérieur de l’aéronautique et de l’espace (ISAE-Supaéro), diplômé d’un master de l’Ecole d’économie de Toulouse, et docteur de l’Ecole des Hautes études en sciences sociales (EHESS).

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Edouard Husson

Edouard Husson

Universitaire, Edouard Husson a dirigé ESCP Europe Business School de 2012 à 2014 puis a été vice-président de l’Université Paris Sciences & Lettres (PSL). Il est actuellement professeur à l’Institut Franco-Allemand d’Etudes Européennes (à l’Université de Cergy-Pontoise). Spécialiste de l’histoire de l’Allemagne et de l’Europe, il travaille en particulier sur la modernisation politique des sociétés depuis la Révolution française. Il est l’auteur d’ouvrages et de nombreux articles sur l’histoire de l’Allemagne depuis la Révolution française, l’histoire des mondialisations, l’histoire de la monnaie, l’histoire du nazisme et des autres violences de masse au XXème siècle  ou l’histoire des relations internationales et des conflits contemporains. Il écrit en ce moment une biographie de Benjamin Disraëli. 

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6 mois après l'élection d'Emmanuel Macron, une année après la victoire de Donald Trump aux Etats Unis, les deux présidents peuvent d'ores et déjà dresser un bilan de leurs premières actions. Alors que la presse américaine, malgré son opposition à Donald Trump, souligne le réveil démocratique du pays, par rejet ou par adhésion, comment analyser l'impact croisé de ces deux personnalités que tout semble opposer ? Plus précisément, comment comparer leurs bilans respectifs, notamment sur les questions économiques et diplomatiques, entre autres ? 

Edouard Husson : Les deux hommes ont un tempérament éminemment politique. Et ils polarisent, positivement ou négativement. On aura tendance à dire que Trump polarise négativement et Macron positivement. En fait, ils ont choisi deux voix opposées pour répondre à la même crise, qui est celle du monde occidental. Donald Trump a choisi la voie du populisme; il s’est voulu le porte-parole de tous les individus précarisés par la mondialisation. Emmanuel Macron, lui, a choisi une stratégie opposée: rassembler tous les optimistes et les gagnants de la mondialisation, de droite et de gauche, en faisant le pari que leur mobilisation pourrait remettre en mouvement la société française et son économie. En fait, ce sont deux stratégies qui ont largement profité des erreurs stratégiques des adversaires. Imaginons que Hillary Clinton ait eu le sens politique d’Emmanuel Macron: elle aurait fait appel à tous les républicains qui ne voulaient pas de Trump et elle aurait gagné, au centre. Trump aurait fini comme Marine Le Pen. Mais il n’a pas commis l’erreur de cette dernière; au lieu de courir en vain après la gauche populiste (Sanders) comme Marine Le Pen a couru après les électeurs de Mélenchon, Trump a tâché de rassembler à droite, en s’emparant d’un des deux grands partis. Macron, lui, aurait eu plus de mal si Marine Le Pen avait plus rassemblé à droite. Il aurait tout de même gagné car Marine Le Pen n’a pas été capable, à la différence de Trump, de trouver des soutiens dans l’appareil d’Etat ni de rassembler l’électorat catholique conservateur (elle en a eu seulement la moitié); mais son avance aurait été moins large. 

Une fois au pouvoir, les deux hommes se heurtent au principe de réalité. Ils ont affaire, chacun, à des sociétés profondément divisées, où les inégalités sont très fortes et croissantes; où il y a une opposition marquée entre des métropoles qui prospèrent dans la mondialisation et des régions qui se sentent laissées pour compte. Leur marge de manoeuvre est étroite car leurs deux pays sont respectivement dépendants du bon vouloir d’une grande puissance industrielle, championne des exportations: la Chine dans le cas des Etats-Unis; l’Allemagne dans le cas de la France. Par tempérament, Trump choisit la confrontation avec la Chine, pour réduire sa dépendance; tandis que Macron essaie, au contraire, d’amadouer la puissante Allemagne. Dans les deux cas, le chemin vers la réussite politique, s’il apparaît viable, sera long. 

Rémi Bourgeot :Il est naturellement encore tôt pour parler de bilan dans un cas comme dans l’autre. Donald Trump a été élu au terme d’une campagne qui brisait la plupart des codes politiques et qui se concentrait sur une politique économique protectionniste, un grand plan d’investissement et un virage diplomatique. D’un côté il continue à offrir au cœur de son électorat un spectacle de transgression permanente. De l’autre, la contestation phénoménale à laquelle il est confronté le force à composer avec les différentes factions du Parti républicain et avec le Congrès. Sur le plan économique, il se peut qu’il parvienne à rallier une partie des élus démocrates à une version de son plan d’investissement, mais tout ce qui relève de protections douanières est autrement plus compliqué. Sa politique économique finit par se concentrer sur une réforme fiscale qui doit favoriser les entreprises, mais cette réforme ne constitue certainement pas un changement économique majeur. Notons tout de même que sa nomination de Jerome Powell à la Fed constitue une affirmation de son approche personnelle, dans la continuité de celle de ses prédécesseurs dont Barack Obama, favorable à la relance monétaire et aux taux bas, face aux factions les plus monétairement orthodoxes du parti républicain.

C’est sur le plan géopolitique que les limites auxquelles il est confronté sont le plus évident, avec son alignement sur l’aile néoconservatrice du parti républicain et la remise en cause, en particulier, de l’accord avec l’Iran. Le « Russia gate » le contraint à abandonner toute idée d’une refonte de la politique étrangère américaine, et l’on voit le néoconservatisme dominer sous sa forme la plus primaire.

Emmanuel Macron a pour sa part plutôt surpris sur le plan géopolitique en ayant tendance à se distancier du néoconservatisme à la française de ses deux prédécesseurs, qui a culminé sous Nicolas Sarkozy avec la participation à la désastreuse intervention en Libye. Emmanuel Macron ne fait que prendre ses distances vis-à-vis de la dérive de la doctrine française en matière de politique étrangère sous Nicolas Sarkozy et François Hollande, mais il est intéressant de noter cette divergence avec un Donald Trump tenu de s’aligner sur la ligne dure du parti, qui n’est pas la sienne. En matière économique naturellement, Emmanuel Macron est fidèle à la ligne technocratique qui l’a porté au pouvoir. La focalisation sur la fiscalité, la dérégulation du marché du travail pour les travailleurs du secteur privé avec peu d’ancienneté et une réforme de la zone euro illusoire au regard des réalités européennes, ne fait que retarder la réorientation économique du pays.

Tout en ayant une image publique et médiatique antinomique, les deux hommes partagent une cote de confiance de 38% auprès de​s électeurs​ en ce début novembre 2017 ​  (KantarSofres-Onepoint pour Le Figaro Magazine, et Gallup Daily). Comment expliquer ces deux parcours sondagiers, et que révèlent​-ils de la stratégie des deux hommes ? 

Edouard Husson : Il y a eu une bulle Macron. Crédité de quelques pourcents début 2016, s’il se présentait, son iconoclasme l’a fait monter à 24% au premier tour et deux tiers des voix au second tour de l’élection présidentielle en 2017. Comment expliquer que le président français ait perdu autant de soutien en six mois au pouvoir, puisqu’il est désormais sous les 40% d’opinions favorables? En fait, si nous nous rappelons qu’il y a eu une forte abstention à la présidentielle française, on s’aperçoit que ses 38% ne représentent pas une baisse si forte que cela. Macron est élu avec à peine la moitié des électeurs inscrits. Sa baisse n’est pas beaucoup plus spectaculaire que celle de Donald Trump, passé en un an de 45 à 38% d’opinions favorables. Il est probable que les deux hommes ont désormais rejoint leur socle électoral. Trump est très impopulaire, comparé à ses prédécesseurs mais il dispose d’un noyau dur d’électeurs qui devraient le soutenir dans la durée. Et il suffira qu’il fasse passer une partie de son « agenda » au Congrès avant les élections de mi-parcours (novembre 2018) pour qu’il regagne une partie du terrain perdu. Dans le cas d’Emmanuel Macron, la situation est plus complexe. Il a perdu du soutien au centre-gauche et à gauche mais il en gagne au centre-droit et dans l’ancien électorat de Fillon. La question pour lui est de savoir s’il arrivera à se créer un socle à droite, point de départ d’une deuxième conquête du pouvoir, en 2022. En tout cas, Emmanuel Macron développe une sorte d’antipopulisme propre à séduire un électorat conservateur âgé, par exemple lorsqu’il fustige la fainéantise ou le désordre créé par des manifestants. Il sait très bien ce qu’il fait puisqu’il coupe l’herbe sous le pied à un Wauquiez qui s’était laissé aller à critiquer « l’assistanat ». 

Rémi Bourgeot : Si les deux présidents se retrouvent actuellement au même niveau, bas, de popularité, ils n’ont pas suivi le même itinéraire en la matière. Donald n’a jamais joui d’une popularité élevée dans l’ensemble et continue à soigner le cœur de son électorat en transgressant les codes politiques traditionnels, de façon de plus en plus théâtral en réalité au fur et à mesure qu’il se retrouve contraint dans l’exercice politique. Donald Trump n’a jamais été populaire et, à l’évidence, ne s’adresse pas à l’ensemble de la nation américaine, en se focalisant sur les catégories susceptibles de lui être favorables. Ses aptitudes sont évidemment remises en cause dans une large partie des médias et du milieu politique mais il bénéficie d’une vraie base électorale qui le soutient par-delà ses difficultés. Aussi controversé qu’il soit, il est contesté dans le cadre de l’exercice du pouvoir. Si on peut ainsi le rapprocher de leaders populistes d’Europe centrale capables malgré tout d’assumer des responsabilités gouvernementales, il peut difficilement être comparé, en ce qui concerne aussi bien son approche du pouvoir que son rapport à l’électorat, aux populistes français de type FN dont l’inaptitude générale relève de failles personnelles plus lourdes.

Emmanuel Macron pour sa part a connu une chute de popularité importante, guère surprenante car il est rattrapé par le soutien limité à la ligne qui est la sienne dans le contexte français. Il convient de souligner la différence de système politique entre la France et les Etats-Unis. Dans un contexte de désagrégation politique, ceux qui finissent par gagner la présidentielle française disposent souvent d’un socle très limité qui, dans le cadre d’une élection à deux tours, peut sembler un instant massif voire même majoritaire avant d’avoir une certaine tendance à s’effondrer comme ce fut le cas de François Hollande jusqu’à des niveaux de popularité qui n’étaient en réalité plus même mesurables. Emmanuel Macron reste prisonnier du logiciel qui l’a porté au pouvoir, avec une série de réformes présentées comme libérales mais qui font l’impasse sur le cœur du problème économique auquel est confrontée la France. 

La surprise que ces deux élections ont pu provoquer rassemble pourtant les deux hommes. ​6 mois après l'élection d'Emmanuel Macron, et une année après la victoire de Donald Trump, comment analyser leur capacité respective de se différencier encore et toujours de l'ancien monde ? 

Edouard Husson : Trump et Macron sont deux grands fauves politiques. Les deux épisodes de la poignée de main virile ne prêtent pas seulement à sourire: le plus jeune des deux lance un défi à l’autre lors de la première rencontre en lui secouant l’avant-bras et en lui broyant les phalanges; le plus vieux rétablit son autorité quelques semaines plus tard en forçant le plus jeune à l’accompagner sans lui lâcher la main sur plusieurs mètres. Lorsque Macron provoque Trump sur le sujet du climat, celui-ci ne daigne même pas répondre. Le vrai rapport de force est bien entendu celui de l’âge mais aussi celui du créateur de richesses, l’entrepreneur, qui s’impose à un haut fonctionnaire énarque. Il n’empêche que Trump, comme Poutine, sont volontiers venus observer le nouveau prodige de la politique française. Les deux hommes, l’Américain comme le Russe, ont été partiellement déçus. L’extraordinaire énergie d’un Macron ne s’accompagne pas d’une rupture avec l’ancien monde, entendons par là, le monde du néo-libéralisme triomphant, de Ronald Reagan à Barack Obama, de Margaret Thatcher à Angela Merkel. Emmanuel Macron représente la dernière tentative d’appliquer un modèle néo-libéral dans un monde qui est en train de changer de paradigme; il fait penser au François Mitterrand des années 1981-1983, qui voulait encore pratiquer le keynésianisme alors que tout le monde se ralliait au monétarisme. On peut bien entendu imaginer que comme François Mitterrand en son temps, l’actuel président français changera brusquement de paradigme pour survivre politiquement. Imaginez-vous un Macron converti au néoprotectionnisme et au laxisme monétaire? Never say never! Ce sera une question de destin politique, pour lui. Trump, lui, fait irrésistiblement penser à Reagan: sous-estimé et méprisé par les élites, homme de la télé-réalité comme Reagan était acteur, va-t-en-guerre apparent mais qui préfère un bon accord à une guerre, Trump est devenu le symbole du néo-protectionnisme et de la réindustrialisation comme Reagan fut celui du néo-libéralisme et de la financiarisation. 

Rémi Bourgeot : Rappelons qu’il ne s’est pas vraiment agi du même type de surprise. L’élection de Donald Trump a surpris une vaste majorité d’observateurs qui estimaient évidente la victoire d’Hillary Clinton le jour même du scrutin. Quant à Emmanuel Macron, c’est plutôt le chaos des primaires des deux grands partis d’alors et les affaires qui ont créé une combinaison propice à sa victoire. La présidence Macron est à la fois née de l’effondrement du cadre politique de Vème République et de la réaffirmation de la ligne centrale de l’appareil d’Etat. Nous avons ainsi assisté simultanément à ce « dégagisme » qui a balayé une génération de responsables politiques et au grand retour des thèmes portées par la haute fonction publique. Si certaines dérives semblent être remises en cause, sur le plan éducatif et géopolitique notamment, cette ligne ne permet pas de répondre aux enjeux actuels du développement de la France, en particulier sur le plan technologique, ni d’un rééquilibrage européen.

En ce qui concerne Donald Trump, sa ligne repose sur l’idée de balayer cette « ancien monde » dont il est lui-même issu. S’il a saisi l’importance de la localisation productive sur le plan économique, social et politique, il est évident que les moyens lui échappent, pour des raisons plus profondes encore que l’opposition à laquelle il fait face. Il n’a aucune vision technologique, ce dont sa récente nomination d’un politique à la NASA témoigne encore, et trébuche sur la moindre difficulté liée à la remise en cause de la mondialisation. Donald Trump n’a pas les moyens, ni politiques ni conceptuels, du dépassement de cet « ancien monde » dont la révocation l’a pourtant mené à la Maison blanche ;  ce qui l’amène à s’enfermer dans un recours systématique à la xénophobie. Alors que les sujets sérieux ne manquent pas pour critiquer Donald Trump, il est troublant de voir l’opposition basculer dans la défense à tout prix de tout ce qui a caractérisé les trois dernières décennies. L’héritage même de Barack Obama s’en retrouve dilapidé, alors qu’il avait tout de même remis en cause, sans jamais certes s’aventurer sur la voie d’une véritable réorientation, les pires dérives de l’ère Clinton-Bush. Que d’éminents opposants à Trump en arrivent à citer, comme un argument d’autorité, une critique émise par une personne comme George W Bush, illustre la confusion de la période actuelle et la nécessité de réfléchir à la réorientation de nos modèles politico-économiques en dépit du vacarme idéologique.

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