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50e anniversaire de l’homme sur la Lune : la génération la plus gâtée de l’histoire a-t-elle aussi été la plus égoïste ?
©AFP

Optimisme vintage

La génération qui avait 20 ans en 1969 a vu son confort matériel s’améliorer de manière extraordinaire, et la conquête spatiale a été le signe d’un optimisme conquérant inédit. Mais c'est aussi la génération qui a légué à ses descendants un monde perclus de problèmes (économiques, environnementaux, sociaux, politiques, etc.).

Michel Fize

Michel Fize

Michel Fize est un sociologue, ancien chercheur au CNRS, écrivain, ancien conseiller régional d'Ile de France, ardent défenseur de la cause animale.

Il est l'auteur d'une quarantaine d'ouvrages dont La Démocratie familiale (Presses de la Renaissance, 1990), Le Livre noir de la jeunesse (Presses de la Renaissance, 2007), L'Individualisme démocratique (L'Oeuvre, 2010), Jeunesses à l'abandon (Mimésis, 2016), La Crise morale de la France et des Français (Mimésis, 2017). Son dernier livre : De l'abîme à l'espoir (Mimésis, 2021)

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Philippe Fabry

Philippe Fabry

Philippe Fabry a obtenu son doctorat en droit de l’Université Toulouse I Capitole et est historien du droit, des institutions et des idées politiques. Il a publié chez Jean-Cyrille Godefroy Rome, du libéralisme au socialisme (2014, lauréat du prix Turgot du jeune talent en 2015, environ 2500 exemplaires vendus), Histoire du siècle à venir (2015), Atlas des guerres à venir (2017) et La Structure de l’Histoire (2018). En 2021, il publie Islamogauchisme, populisme et nouveau clivage gauche-droite  avec Léo Portal chez VA Editions. Il a contribué plusieurs fois à la revue Histoire & Civilisations, et la revue américaine The Postil Magazine, occasionnellement à Politique Internationale, et collabore régulièrement avec Atlantico, Causeur, Contrepoints et L’Opinion. Il tient depuis 2014 un blog intitulé Historionomie, dont la version actuelle est disponible à l’adresse internet historionomie.net, dans lequel il publie régulièrement des analyses géopolitiques basées sur ou dans la continuité de ses travaux, et fait la promotion de ses livres.

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En quoi la génération 1969 (qui avait 20 ans en 1969 et qui a assisté à la mission Apollo 11) est-elle la plus gâtée de l’histoire sur tous les points et possède-t-elle les bénéfices de tout ce qui l'a précédé sans les coûts - confort matériel, stabilité politique et économique issues des Trente Glorieuses ?

Philippe Fabry : Nous parlons bien entendu de l'Occident, il est utile de le préciser, car la problématique de la génération des baby boomers n'existe que dans cette limite civilisationnelle : c'est la génération qui est née dans un monde démocratique et libéral, a grandi pendant les Trente glorieuse, est arrivée dans le monde du travail avant le premier choc pétrolier, a obtenu - sans difficultés - la libération des moeurs et en a profité avant l'apparition du SIDA, et tout cela en étant une génération qui a vécu de la naissance à la vieillesse sans jamais être exposée à une guerre d'envergure menaçant l'intégrité nationale, ni à aucune expérience collective aussi traumatisante : le danger qui semblait peser sur ses jeunes années, celui d'une confrontation Est-Ouest, ne s'est jamais concrétisé. Et en vieillissant, cette génération a la certitude de vivre longtemps à la retraite, une retraite globalement très confortable.  Au plan matériel, on peut donc bien dire que c'est une génération très gâtée. 

Est-elle la plus gâtée de l'Histoire ? L'affirmation est peut-être discutable : ses représentants souligneront sans doute le fait qu'ils n'ont pas bénéficié dans leurs jeunes années d'Internet, des smartphones, des voitures presqu'universellement climatisées... La relative continuité du progrès peut donc effectivement rendre difficile de porter un jugement, mais si l'on se place à la date d'aujourd'hui, donc sans pouvoir tenir compte de ce que sera l'avenir des jeunes générations, alors on peut dire effectivement qu'il s'agit de la génération la plus gâtée de l'Histoire, en particulier si l'on considère qu'outre le confort matériel relatif dont elle a bénéficié dans sa jeunesse, elle s'est forgée dans une l'ambiance dynamique, exaltante d'un Occident triomphant, probablement plus insouciante qu'aujourd'hui où l'Occident, et spécifiquement l'Europe, est exposé à son déclassement à l'échelle mondiale, à la crise migratoire et à celle de l'Etat-Providence : on peut dire que la génération qui avait vingt ans en 1968-1969 était plus "libre" que celles qui l'ont suivie, et non seulement par tempérament, par disposition d'esprit, c'est-à-dire ce goût de la liberté que l'on a vu s'exprimer dans la libération sexuelle et la mondialisation des échanges, mais aussi et surtout par sa situation : c'est une génération qui avait probablement plus le choix de ce qu'elle deviendrait, alors que les suivantes n'ont pas autant de liberté d'action et de détermination, et semblent condamnées à subir beaucoup plus leur existence, cernées de toutes parts par la peur : la peur du chômage qui rend angoissante la perspective d'entrer sur le marché du travail, la peur du SIDA qui a désenchanté la libération sexuelle, la peur de vieillir dans un système où une retraite précoce et confortable ne semble plus un espoir réaliste, et où même l'espérance de vie stagne voire diminue. 

Donc, même si la génération des "boomers" ne profite qu'en ses vieux jours des dernières avancées technologiques avec lesquelles les nouvelles générations grandissent, on peut dire que oui, vu le relatif confort psychologique dans lequel ils ont vécu, ils sont pour l'heure la génération la plus gâtée de l'Histoire - et sont bien partis pour le rester. 

Michel Fize : C'est une génération qui a été sur le plan de la vie privée gâtée. Nous avions la liberté sexuelle « sans danger » et avions une vraie liberté sur le plan du travail. Non seulement il y en avait et nous avions le choix de l'employeur. Nous choisissions l'employeur, le tout dans un contexte social apaisé.

Mais en quoi cette génération est-elle aussi la génération la plus “égoïste” de l’histoire ? En quoi paie-t-on encore ce qu’ils nous lèguent, un monde perclus de problèmes qu'ils soient économiques, politiques ou sociaux ?

Philippe Fabry : Léguer un monde plein de problèmes n'est pas nécessairement une marque d'égoïsme, donc ce simple fait ne saurait permettre de porter cette accusation, d'autant que l'état du monde peut être considéré, sur de nombreux plans, comme meilleur qu'il y a cinquante ans, c'est-à-dire le moment où la génération des boomers est "entrée dans la carrière". 

Ce que l'on constate, c'est que l'on trouve chez les jeunes générations deux types d'accusations différents, que qualifierais sommairement "de gauche" et "de droite". 

Les critiques de la jeunesse "de gauche" portent généralement sur l'état environnemental du monde, la génération du baby-boom étant considérée comme la génération consumériste par excellence, qui ne se serait pas souciée d'écologie et laisserait un monde pollué et au bord de l'effondrement climatique. Ces critiques vont évidemment dans le sens de l'agenda écologiste partagé par l'ensemble des élites politico-médiatique en Europe, et largement aux Etats-Unis. Elles sont celles qui sont le plus encouragées par l'establishment puisqu'elles lui permettent de faire avancer cet agenda, en créant des figures médiatiques de cette jeunesse critique, comme le produit marketing qu'est la pauvre Greta Thunberg, instrumentalisée par ses parents et des spin doctors. 

La critique de la jeunesse "de droite" est sans doute plus acerbe, et les boomers ont vraisemblablement plus de mal à l'entendre, précisément parce qu'elle est contraire à l'idéologie dominante du système qu'ils ont bâti : il y est reproché à la génération du baby-boom d'être soixante-huitarde, c'est-à-dire d'avoir volontairement rompu la chaîne de la transmission et d'avoir dilapidé l'héritage de cinquante générations, en ayant abandonné toute tradition spirituelle pour aller chercher de l'exotisme oriental, par exemple dans le bouddhisme, ou simplement sombrer dans le matérialisme ; en ayant renoncé à tout roman national, voire avoir volontairement saccagé celui-ci, et privé les jeunes générations de racines historiques et d'un passé inspirant, dont eux-mêmes avaient bénéficié dans leur jeunesse ; en initiant le processus de l'immigration de masse, qui cinquante ans plus tard menace l'intégrité de la société, redevenue subitement hétérogène et conflictuelle alors qu'elle était remarquablement homogène et policée dans les années 1960 (le taux de criminalité en France était de 14 pour mille dans les années 1960, il est aujourd'hui de presque 60 pour mille). 

A ces critiques, sans doutes pas toutes également fondées, s'ajoute l'histoire économique, plus objective, de cette génération : elle est entrée sur le marché du travail, on l'a dit, à une époque où l'emploi était abondant et où faire une carrière dans la même entreprise pendant quarante ans en CDI était une perspective crédible. Elle a connu l'immobilier bon marché, quand il est aujourd'hui souvent prohibitif dans les grandes villes pour des jeunes - ce dont elle bénéficie dans sa vieillesse, puisque la hausse de l'immobilier profite aux propriétaires, qui appartiennent massivement à cette génération. Les boomers bénéficient aujourd'hui, durant de nombreuses années, et souvent plusieurs décennies, de retraites généralement confortables (83% des retraités touchent plus de 1.000 euros par mois, quand le SMIC est à 1201 euros net et que les retraités n'ont pas d'enfants à charge et sont souvent propriétaires de leur logement, donc ne paient pas de loyer) alors qu'eux-mêmes ont connu un ratio cotisants-retraités de 4 pour 1 en 1960, contre 1,7 pour 1 aujourd'hui, c'est-à-dire que les actifs actuels paient littéralement presque trois fois plus pour leurs aînés qu'eux-mêmes n'ont payé pour les leurs : on peut dire que les actifs, aujourd'hui, sont authentiquement exploités par les boomers, dont les retraites sont payées par des gens qui ont un niveau de vie inférieur au leur - une situation que les boomers eux-mêmes n'ont jamais vécue. Permettez que j'insiste sur ce point : les actifs financent le train de vie supérieur de leurs aînés ; on s'est nettement éloigné de l'idée originale du système de retraite par répartition, qui devait permettre universellement une vie digne pour les personnes n'étant plus en âge de travailler.

Et à cette position de domination économique s'ajoute une domination politique d'autant plus scandaleuse qu'elle est radicalement contradictoire avec les postures prises par cette génération dans sa propre jeunesse : ainsi les baby-boomers sont-ils l'électorat tout-puissant en France, mobilisé et toujours prompt à voter pour le parti de l'ordre qui garantit le versement de retraites, même au prix de l'usage massif de lacrymogènes et de flashballs, comme on l'a observé lors de la crise des Gilets Jaunes. Illustration suprême : nous avons vu de manière réitérée Daniel Cohn-Bendit, boomer archétypal et figure de Mai 68 qui criait "CRS, SS !", prendre sur les plateaux TV le parti de la répression gouvernementale. 

Michel Fize : C'est un raccourci. Dans cette génération il y a peu de gouvernants et beaucoup de gouvernés. Cette génération a bénéficié de ce que la société lui offrait au même titre qu’aujourd’hui les nouvelles générations pâtissent de ce qu'on leur impose.

Cette génération n'est pas responsable d'avoir été heureuse. Il faudrait plutôt accabler la société actuelle de rendre les nouvelles générations malheureuses. Toutefois si l'on prend les minorités actives de ces années-là qui ont accédé aux responsabilités, il est évident qu'elles ont oublié l'intérêt général. Ceux-là sont bien en partie coupables de la situation actuelle, c'est incontestable.

Il y a des tournants politiques qui ont été mal négociés au fil des décennies.  C'est à partir de cette époque qu'ont commencé les difficultés économiques et sociales, qu'est apparu le terme de "gouvernance" : quand on a plus de projet politique innovant, on se contenter de gérer. La France post-1969 a été trop rentière de cette époque-là. Il y a eu alors une série de dégringolades dont la génération de 1969 est à l'origine mais n'est pas la seule responsable.

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