5 points essentiels pour la France de demain et qui n’intéressent ni Jean-Luc Mélenchon, ni Éric Zemmour <!-- --> | Atlantico.fr
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Jean-Luc Mélenchon et Eric Zemmour posent avec les journalistes Aurélie Casse et Maxime Switek avant de participer à un débat télévisé sur BFMTV à Paris, le 23 septembre 2021.
Jean-Luc Mélenchon et Eric Zemmour posent avec les journalistes Aurélie Casse et Maxime Switek avant de participer à un débat télévisé sur BFMTV à Paris, le 23 septembre 2021.
©BERTRAND GUAY / PISCINE / AFP

Allergiques au libéralisme ?

Si les Français sont reconnaissants à l’un comme à l’autre de ne pas se contenter de discours techniques et de savoir prendre de la hauteur comme de donner du sens à un environnement confus, les deux adversaires du débat de BFM ont aussi de sacrées œillères…

Christophe de Voogd

Christophe de Voogd

Christophe de Voogd est historien, spécialiste des Pays-Bas, président du Conseil scientifique et d'évaluation de la Fondation pour l'innovation politique. 

Il est l'auteur de Histoire des Pays-Bas des origines à nos jours, chez Fayard. Il est aussi l'un des auteurs de l'ouvrage collectif, 50 matinales pour réveiller la France.
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Pierre Bentata

Pierre Bentata

Pierre Bentata est Maître de conférences à la Faculté de Droit et Science Politique d'Aix Marseille Université. 

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Don Diego De La Vega

Don Diego De La Vega

Don Diego De La Vega est universitaire, spécialiste de l'Union européenne et des questions économiques. Il écrit sous pseudonyme car il ne peut engager l’institution pour laquelle il travaille.

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- LE DYNAMISME DE LA SOCIETE FRANCAISE

Atlantico : Malgré la pression fiscale comme réglementaire de l’État, la société civile française semble faire preuve d’un véritable dynamisme. Pourquoi serait-il important pour les candidats de s’appuyer dessus plutôt que renforcer les pouvoirs de l’État ? Penser comme certains candidats que l’État est la solution à tous les problèmes est-il un souci de confiance envers le peuple français  ?

Pierre Bentata : Si j’étais un homme politique, je ferais comme eux et je n’en parlerais pas. Dans une logique « d’école des choix publics », tout l’objectif d’un homme politique est de faire croire que sans lui rien n’est possible… Il ne vaut mieux pas alors parler de la société civile.

Pourtant, c’est un fait. La société civile est très puissante et résiliante. Il faudrait être aveugle pour ne pas voir son rôle car clairement c’est elle qui nous a sorti de la crise du Covid au tout début de la pandémie. Si nous n’avions pas eu des entreprises capables de donner rapidement de l’alcool, d’autres capables de changer leurs lignes de production afin de fabriquer des blouses, des masques, nous n’aurions pas pu traverser cette crise comme nous l’avons fait. Au commencement de la crise, la société civile a tenu a bout de bras le système.

C’est un point aveugle de Jean-Luc Mélenchon et d’Éric Zemmour, mais aussi de toute la classe politique. Ils ne voient pas du tout quel est le rôle de la société civile alors que toutes les expériences historiques ont montré que c’est la société civile qui est la base de toutes les révolutions culturelles. Pour Friedrich Hayek, ces changements sont spontanés car les politiques ne voient pas l’évolution. La société civile, elle, exprime de nouveaux besoins qui se traduit par un renouvellement politique. Eux, prennent le problème à l’envers en pensant que c’est l’État qui transforme la société civile.

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Christophe de Voogd : Il est en effet frappant de constater qu’aucun des candidats ne mette vraiment en avant ce dynamisme, ce qu’avait su faire Nicolas Sarkozy en 2007 avec le « travailler plus pour gagner plus » et la « France qui se lève tôt » : formules qui, d’ailleurs, avaient plutôt fait sourire le monde médiatique alors qu’elles avaient fait mouche dans l’opinion et entraîner une nette victoire électorale.

De fait, la crise sanitaire et économique actuelle fait naturellement ressurgir le besoin de protection adressé à l’Etat, comme on le voit chez les extrêmes, traditionnellement hyper-étatistes -on l’a bien vu hier avec Jean-Luc Mélenchon et Eric Zemmour-  mais aussi chez les centristes de laREM ou la droite LR qui mettent tous deux en avant ce thème de la « protection ». Mais cela met en jeu des facteurs anciens et profonds : l’ancienneté de la construction étatique en France, l’idéologie de « l’intérêt général » qu’il est censé incarner et, fondamentalement, la relation fondamentalement ambiguë qui remonte à la monarchie entre le peuple et le pouvoir dont on attend protection et que l’on redoute en même temps, notamment à cause de la longue oppression fiscale de la paysannerie française. Du côté de l’Etat, la tradition multiséculaire de la monarchie administrative, à laquelle a succédé la puissante technocratie saint-simonienne des deux derniers siècles, la verticalité domine la relation avec le citoyen « qui ne sait pas » et « qui ne voit pas » le bien collectif. A quoi s’ajoute du côté de l’extrême-gauche la parousie révolutionnaire dont l’Etat est depuis Lénine l’instrument magique.

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Pour ce qui est de Zemmour et de Mélenchon en particulier, tous deux pourtant fort cultivés, j’ai encore été frappé hier par leur ignorance de la pensée libérale. Le mot est pour les deux une insulte qu’ils servent à volonté, comme on l’a vu chez Eric Zemmour face à David Lisnard, ou dans la caricature mélenchonienne du « ruissellement », dont aucun auteur libéral ne parle.

- LA FUITE DES CERVEAUX

Alors que le périmètre de pouvoir des États contemporains s’amenuise face aux marchés comme à l’Europe ou à la mondialisation, n’est-il pas une gageure de penser que l’État est le moteur exclusif de la puissance française ? La fuite des cerveaux ne vient-elle pas de cette idéologie ?

Christophe de Voogd : Sans aucun doute. Le débat sur l’immigration en France est notamment biaisé par l’ignorance de cette fuite des cerveaux et plus encore des énergies que des études nombreuses (et rarement évoquées) attestent pourtant. Sans donner totalement raison à Zemmour, il y a du vrai dans son idée d’une immigration de pauvres et d’une émigration de riches et de talents qui différencie le cas français de nos partenaires comme le Canada et même l’Allemagne qui font « un tri » à l’entrée. Mais alors il faudrait qu’il en tire les conséquences en matière politique et économique et en rabatte sur son étatisme de principe. Il semble d’ailleurs qu’il amorce une évolution dans ce sens, à en juger par sa dénonciation des charges excessives sur le travail. Mais il lui reste un long chemin à parcourir, notamment sur le souverainisme et le protectionnisme qui reposent sur une illusion de puissance que la France n’a plus. Même erreur chez Jean-Luc Mélenchon, aggravée par l’idéologie marxiste qui conduirait notre économie vers la catastrophe vénézuélienne et cubaine, ses modèles revendiqués, rappelons-le.

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Sur le fond, la faiblesse de notre industrie et notre dette abyssale ne nous permettent tout simplement pas de nous opposer à nos partenaires/concurrents sans lesquels notre pays ne disposerait tout simplement plus ni des produits ni des crédits sur lesquels repose notre consommation et notre Etat-providence. Vérité cruelle, donc indicible par l’ensemble des candidats actuels. La campagne de 2022 risque donc fort d’être marquée par le ressassement d’une gloriole dépassée et la répétition de vœux pieux.

- L'INDEPENDANCE TECHNOLOGIQUE VIS-A-VIS DES ETATS-UNIS

Alors que que les États-Unis ont une importante avance technologique face à la France, est-ce que lon devrait admettre que lon ne peut se passe deux ?

Pierre Bentata : Appeler à la souveraineté face à cela est une erreur. Il faudrait que nos politiques fassent un rattrapage en économie au lieu d’étudier la politique ou l’administration pour comprendre cela… On est souverain quand il y a de plus en plus d’interdépendances. Pour appréhender ce problème, il faut regarder comment une entreprise fonctionne et comment les consommateurs achètent.

Quand on s’intéresse au numérique. Même nos analystes en géopolitique continuent à raisonner comme si le monde était celui qu’il était à la sortie de la Seconde Guerre Mondiale. À cette époque les grands géants étaient obligés d’être liés avec leurs États. Les entreprises étaient matérielles, solidement ancrées quelque part alors il fallait avoir de bonnes relations avec votre État. Aujourd’hui, ce n’est pas le cas. Les entreprises ont une économie totalement dématérialisée et elles n’ont plus de nationalité.

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Google, ce n’est pas les États-Unis. Les perceptions politiques de ceux qui sont chez les GAFAM n’a rien à voir avec la politique américaine. Ils partagent une idéologie libertarienne et en même temps pro-technologique. Quand nos politiques nous parlent de mettre en place de nouvelles règles pour limiter la puissance technologique américaine, ils commettent une grosse erreur. Ce ne sont pas les Américains qui représentent un souci car ils ont le même problème que nous avec les plateformes.

- LE CONTROLE DES ALGORITHMES

Idéologiquement comme commercialement est-il possible de reprendre la main sur les algorithmes ?

Pierre Bentata : Nous sommes au milieu d’un cycle d’innovation qui est très fort. On est en retard et la vraie question est de savoir comment on se raccroche à cette grappe d’innovations. Aujourd’hui, ce ne sont plus des entreprises qui sont en concurrence sur des produits mais des écosystèmes qui s’affrontent.

Si le problème est de savoir le rôle politique qu’ont les plateformes aujourd’hui, ce n’est pas avec des règles françaises ou européennes que l’on va le régler car il est mondial.

- LE RAPPORT AU LIBERALISME

Quel est le rapport de Jean-Luc Mélenchon et d'Éric Zemmour au libéralisme ?

Don Diego de la Vega : Ce sont deux personnes non libérales. Ils incarnent les deux formes traditionnelles de l’anti-libéralisme en France. Jean-Luc Mélenchon incarne l’anti-libéralisme de la gauche qui souhaite une société holiste et pas individualiste, des retraites par répartition, etc. Eric Zemmour incarne celui de la droite nationale, littéraire et provinciale, celui du RPR et du FN. Cet anti-libéralisme est différent et pas véritablement économique. Il s’appuie sur des valeurs familiales et une vision assez protectionniste. Éric Zemmour associe le libéralisme au sans-frontiérisme - ce qui n’est pas complètement faux car certains auteurs ont une certaine désinvolture sur ces questions – mais cela ne prend pas en compte la part des libéraux la plus raisonnable. Ces derniers, bien que défavorables aux frontières, notaient en suivant Milton Friedman qu’à partir du moment où on a un Etat providence important, on ne peut plus avoir d’immigration sans entrave en provenance des pays du tiers-monde. Puisque le système français est doté d’un fort Etat providence, il faut des frontières pour les personnes. Les deux suivent une partition bien connue et n’ont pas envie de renforcer le libéralisme.

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Ce qui est amusant, c’est que les deux sont de temps en temps en quête de libéralisme paradoxal. Ils prônent une grande liberté d’expression, dénoncent la tyrannie du gouvernement quand il va trop loin. Tous les deux sont des « entrepreneurs ». L’un a monté sa boutique à gauche après avoir été sénateur socialiste, l’autre, Zemmour, a toujours été un franc-tireur. Ils défendent le libéralisme pour eux mais pas pour les autres. Ce sont des antilibéraux à géométrie variable et ils oublient, notamment, que le libéralisme est compatible avec des frontières bien tenues.  

Concernant l’Europe et l’euro, que devraient-ils prendre en compte dans une grille de lecture libérale ?

Don Diego de la Vega : Ce sont deux personnes qui font partie des rares personnes à avoir compris l’évolution du rapport de force et le fait que le pouvoir est entre les mains de la BCE. Ils ne sont pas si nombreux à avoir fait ce constat. Zemmour met plus l’accent sur la Cour de justice, sur la Commission européenne mais il a compris qu’il y avait un sujet BCE. Sauf que l’un comme l’autre jugent qu’ils ne peuvent pas fracturer leur camp. S’ils s’affichent trop contre l’euro, ils vont scinder leur camp. Zemmour l’a dit à Toulon, il juge que l’euro est une erreur mais maintenant que nous y sommes rentrés en sortir va coûter cher et fracturer le camp national. Donc ils sont partisans de secouer le cocotier mais pas trop quand même. Donc il faudrait leur conseiller les techniques pour le faire utilement et dans le bon sens. Par exemple, reprendre l’idée de Scott Sumner d’un targeting de PIB nominal. C’est-à-dire cibler la croissance du PIB nominal comme objectif de la BCE pour, en quelque sorte, lier les mains de la Banque centrale européenne. Cette technique est académique, dans l’esprit des traités européen, elle ferait beaucoup de bien et réduirait énormément le pouvoir de la BCE. Il est devenu infâme tant dans la perspective de Mélenchon que celle de Zemmour ou celle d’un libéral. A mon sens, ils peuvent se trouver sur ces sujets. On pourrait dire la même chose des juges. Certains juges ne rendent de compte à personne, ne sont pas élus et découvrent des principes généraux du droit à la tête du client et avec un fort biais idéologique. Il faudrait aussi un parlement qui ait beaucoup plus de pouvoir que les juges ou l’Elysée, puisse poser des questions à la BCE, faire des évaluations de politique publique, etc. C’est un point ou Mélenchon et Zemmour pourraient à mon avis s’accorder.

Le problème est que, laissés à eux-mêmes, ils vont dériver vers autre chose. Pour Jean-Luc Mélenchon, une sorte de contrôle populaire avec des comités de quartier et Eric Zemmour dans une veine un peu gaulliste risquant de concentrer tout le pouvoir à l’Elysée. Des économistes pourraient les amener à ce genre de choses. On peut aussi leur parler de réduire les dettes dans le bilan de la BCE. C’est en vogue chez la gauche dure avec les travaux de Graeber. L’objectif est de remettre la BCE à sa place : une institution autonome mais pas indépendante.

Peut-on leur proposer d’autres recettes libérales ?

Don Diego de la Vega : Je pense à la participation. Ce n’est pas très Mélenchon-compatible mais on peut essayer. Pour Zemmour c’est plus simple par la référence gaulliste mais cela peut peut-être se justifier chez Mélenchon. Donner des parts de société à des salariés et pas simplement à des cadres supérieurs pourrait être vendu à Mélenchon. Face à des finances publiques mauvaises, une volonté de toujours plus de social et un souhait de renégociation des rapports entre patronat et salariat, alors qu’on peut difficilement augmenter les salaires, cela peut être un moyen de redonner un droit d’expression au salarié de base. On pourrait peut-être retomber sur une vision proche de la participation de De Gaulle, qu’il faudrait moderniser et qui serait plus intéressante que ce que propose Macron.

A mon sens, Mélenchon et Zemmour sont sur des lignes qui ne sont pas si différentes. C’est avant tout une question de terminologie. Ils ont des mauvais côtés mais on peut peut-être utiliser ce qu’ils ont de bon et notamment un certain sens critique bien aiguisé. Ils ont repéré des failles mais ils croient que ce sont celles du libéralisme. Sauf que ce qu’ils critiquent ce n’est pas du libéralisme, c’est du capitalisme de connivence, un dévoiement total du libéralisme.

Ils ont besoin d’un coaching libéral pour ne pas se laisser aller à leurs lubies s’ils arrivent au pouvoir.  Il faut qu’ils fassent la différence entre ce qu’ils veulent et ce qu’ils peuvent avoir. Et ils sont suffisamment adultes pour le pouvoir. Il faut leur expliquer que si on veut réduire les inégalités qui font vraiment mal, il faut par exemple dire qu’on n’a pas le droit de rentrer dans certains conflits d’intérêt avec un dispositif pour briser les conflits d’intérêt. 

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