2024 ou la croisée des chemins pour le RN<!-- --> | Atlantico.fr
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Marine Le Pen et Jordan Bardella assistent un rassemblement électoral à Reims.
Marine Le Pen et Jordan Bardella assistent un rassemblement électoral à Reims.
©STÉPHANE DE SAKUTIN / AFP

Premier parti de France ?

Si le Rassemblement national a largement profité des fautes politiques du gouvernement et d’Emmanuel Macron, le parti de Marine Le Pen et de Jordan Bardella n’est cependant pas assuré de la victoire électorale lors des élections européennes.

Luc Rouban

Luc Rouban

Luc Rouban est directeur de recherches au CNRS et travaille au Cevipof depuis 1996 et à Sciences Po depuis 1987.

Il est l'auteur de La fonction publique en débat (Documentation française, 2014), Quel avenir pour la fonction publique ? (Documentation française, 2017), La démocratie représentative est-elle en crise ? (Documentation française, 2018) et Le paradoxe du macronisme (Les Presses de Sciences po, 2018) et La matière noire de la démocratie (Les Presses de Sciences Po, 2019), "Quel avenir pour les maires ?" à la Documentation française (2020). Il a publié en 2022 Les raisons de la défiance aux Presses de Sciences Po. Il a également publié en 2022 La vraie victoire du RN aux Presses de Sciences Po. En 2024, il a publié Les racines sociales de la violence politique aux éditions de l'Aube.

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Tout a souri au RN en 2023. Il apparaît comme le grand gagnant d’une série inédite de crises politiques et se trouve en position de leader pour les élections européennes. Cependant, cette situation est-elle stable et peut-il conserver cette dynamique en 2024 alors que l’élection présidentielle est encore lointaine ?

Un paysage politique dévasté

Si l’on projette sur 2024 les lignes de force observées en 2023, il semble que rien ne peut vraiment s’opposer à la prééminence du RN dans le paysage politique français. Ce dernier ressemble plus à Guernica de Picasso qu’à l’aimable galanterie pastorale des toiles de Watteau.

La gauche, un moment restaurée par la NUPES, s’est plus ou moins recroquevillée dans la radicalité violente de LFI, à l’Assemblée comme dans les médias, prenant des postures insurrectionnelles et affichant une tolérance bien malsaine à l’égard du Hamas après le 7 octobre, ce qui l’a rendu assez peu fréquentable même par les électeurs de la gauche social-démocrate. De plus, la très grande majorité des membres des catégories populaires se moquent de la révolution et préfèrent la mobilité sociale et la sécurité. La seule lueur d’espoir pour la gauche viendra sans doute des résultats apparemment encourageants de la liste socialiste menée aux européennes par Raphaël Glucksmann.

Le macronisme vole de crise politique en crise politique, feignant d’ignorer les manifestations violentes et les dévastations des émeutes de juillet, sort cabossé de l’usage systématique du 49.3 en matière budgétaire, et vient de connaître une victoire à la Pyrrhus avec le vote de la loi immigration dont le Président affirme lui-même qu’une partie est inconstitutionnelle. Certes, la loi est passée mais au prix d’un abandon du macronisme historique et du « en même temps » qui semble d’ailleurs bien difficile à concevoir lorsqu’il est question de valeurs ou de République. Les Français sont épris de politique et le macronisme ne leur offre que de la gestion et de l’habileté. Le processus de décomposition chimique de celui-ci est amorcé, le clivage droite-gauche reprend de la vigueur et l’aile gauche de Renaissance a bien des états d’âme. Rien ne dit que le « rendez-vous avec la nation », promis pour janvier 2024, ait de meilleurs résultats que le Grand débat national ou le Conseil national de la refondation dont les débats n’ont guère eu de portée concrète, sauf à réitérer des objectifs de lutte contre le réchauffement climatique tels qu’ils sont annoncés dans sa tribune au Monde du 28 décembre. La situation politique et le renforcement du rôle du Sénat vont par ailleurs rendre bien compliqué le lancement de chantiers institutionnels qui pourraient concerner, par exemple, la décentralisation.

La droite LR, quant à elle, est de plus en plus attirée sur l’horizon des évènements du « trou noir » que constitue désormais le RN. Ses positions en matière d’immigration (réduire de manière drastique tous les types d’immigration sans se limiter à durcir la législation sur les clandestins ou l’accès aux droits sociaux) comme en matière d’environnement (préserver le mode de vie des Français sans créer de nouvelles contraintes au nom du réchauffement climatique) sont bien proches de celles du RN. Il reste que LR s’en distingue encore sur le terrain économique par sa fidélité à un néolibéralisme dont la très grande majorité des Français ne veulent pas, ce que n’ont compris ni François Fillon en 2017 ni Valérie Pécresse en 2022.

Une victoire idéologique incontestable du RN

Lorsque Marine Le Pen annonce après le vote de la loi immigration que le RN vient de remporter une victoire idéologique, elle ne fait que tirer la conclusion politique d’une séquence législative dont le gouvernement a perdu le contrôle, sauf à en appeler au Conseil constitutionnel pour sauver son projet initial.

Comme le montrent tous les sondages, une majorité de Français approuvent ce projet comme un projet a minima, ce qui est d’ailleurs l’argument du RN, alors que ceux qui le rejettent regrettent qu’il ne soit pas plus ferme. D’après l’enquête Elabe pour BFMTV du 20 décembre 2023, 70% des enquêtés s’estiment satisfaits. Mais 43% pensent que cette loi est équilibrée alors que 37% d’entre eux pensent qu’elle ne va pas assez loin. Seuls 19% pensent qu’elle est trop dure. Sur ce terrain, on n’observe pas de fracture sociale. La satisfaction est le lot de 70% des ouvriers et de 65% des cadres interrogés. Mais c’est aussi le lot de 62% des enquêtés s’estimant proches du PS et même de 44% de ceux qui s’estiment proches de LFI.

Néanmoins, cette victoire idéologique du RN ne s’exprime pas seulement à travers la question de l’immigration. Elle s’appuie sur une construction politique menée depuis plusieurs années qui a conduit à rompre avec le FN notamment par le développement d’une offre politique sociale, privilégiant le pouvoir d’achat et l’accès aux services publics, qui fait passer la question de l’immigration au second plan comme l’un des facteurs de dégradation de la condition des personnes les plus modestes mais sans entériner le discours identitaire laissé à Éric Zemmour ou à Marion Maréchal-Le Pen. C’est très habile car cela a permis non seulement de récupérer 80% des voix des électeurs de Reconquête ! au second tour de la présidentielle de 2022 mais aussi de prendre des distances avec le discours xénophobe ou raciste des anciens dirigeants du FN. C’est ainsi que le RN a pu rallier la dénonciation des agressions antisémites qui se sont multipliées en France à un rythme inconnu à ce jour après le 7 octobre.

Une situation à l’italienne

Si le RN a largement profité des fautes politiques d’un gouvernement et d’une présidence refusant et les référendums et le parlementarisme, et donc réduits à des manœuvres délicates et dangereuses, jouant le succès à quelques voix près à l’Assemblée nationale, il n’est cependant pas assuré de la victoire électorale. Certes, les enquêtes le place très haut dans le choix pour les élections européennes de juin 2024 : en tête avec 30% des voix en moyenne et plus de 50% chez les seuls ouvriers. Mais les européennes sont encore bien loin de l’élection présidentielle de 2027 et il ne sera pas facile pour lui de maintenir intact ce capital de sympathie et d’exaspération que le macronisme lui a servi sur un plateau depuis 2017.

La première question qui se pose est sociologique. Certes, le RN a élargi sa base électorale en 2022 aux catégories moyennes et même une partie des catégories supérieures (33%) a choisi Marine Le Pen au second tour. Néanmoins, une dynamique politique exige aussi une alliance avec les élites économiques et culturelles, une alliance qui continue de faire défaut au RN, ce qui pourrait lui coûter cher lorsqu’il faudra aborder des débats de fond sur le rôle de la France à l’international ou les équilibres budgétaires, autant de grandes questions qui seront posées dans le cadre de la présidentielle. La transformation d’un succès par défaut en succès par conviction implique de mobilier des réseaux d’experts et de bénéficier d’une image de compétence sur les grands dossiers.

La seconde question est politique. Certes, on peut considérer que l’indifférenciation des positions du RN et de LR en matière d’immigration, d’antisémitisme, d’environnement et de vie démocratique constitue un piège pour les Républicains qui risquent de perdre leur identité et d’être avalés par le « trou noir ». Mais l’hypothèse d’une hybridation des droites, qui s’est déjà concrétisée dans certains pays européens comme l’Italie, n’est pas à écarter. Dans ce cas, LR redeviendrait l’axe central d’une coalition de droite, amenant dans la corbeille ses réseaux d’élus locaux, d’experts et de relations dans la haute fonction publique ou le patronat. Il reste, évidemment, qu’il faudrait alors aux Républicains choisir le candidat ou la candidate capable et d’assumer cette coalition et de convaincre le RN que cette alliance lui serait profitable.

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