2023 ou la descente aux enfers de l’Espagne<!-- --> | Atlantico.fr
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Le Premier ministre Pedro Sanchez présent au palais de la Moncloa, à Madrid, en Espagne, le 1er février 2023
Le Premier ministre Pedro Sanchez présent au palais de la Moncloa, à Madrid, en Espagne, le 1er février 2023
©JAVIER SORIANO / AFP

Bilan 2023

L’actualité est forcément sélective et quand elle est si riche en événements, comme pendant cette année qui s’achève, certains d’entre eux, pourtant cruciaux, passent inaperçus même s’ils resteront gravés dans les livres d’histoire à défaut de faire la une.

Rodrigo Ballester

Rodrigo Ballester

Rodrigo Ballester dirige le Centre d’Etudes Européennes du Mathias Corvinus Collegium (MCC) à Budapest. Ancien fonctionnaire européen issu du Collège d’Europe, il a notamment été membre de cabinet du Commissaire à l’Éducation et à la Culture de 2014 à 2019. Il a enseigné à Sciences-Po Paris (Campus de Dijon) de 2008 à 2022. Twitter : @rodballester 



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Certaines dates marquent un tournant dans un pays et nul doute que le 23 juillet 2023, le jour où Pedro Sánchez réussit son coup de poker électoral sous un soleil de plomb, fait partie de cette liste. Victoire ? Oui, mais à la Pyrrhus, à ceci près que le vrai perdant n’est pas le Premier Ministre, mais le pays qu’il dirige. 

Retour sur la séquence. Après avoir subi une déculottée électorale aux élections régionales fin mai, Sánchez le téméraire, le transgresseur qui se rie des règles non écrites du jeu démocratique, convoque des élections anticipées en plein milieu de l’été ibérique. Le 23 juillet, la moitié du pays est loin de sa résidence, les villes et les bureaux se vident et le pays vit une campagne électorale atypique. Des millions d’espagnols sollicitent le vote par correspondance dans des bureaux de poste débordés qui n’avaient pu se préparer à la déferlante. En outre, à la faveur de sondages favorables et de la suffisance du candidat du centre-droit, Feijóo, qui filtrait déjà les noms des ministres dans la presse et attaquait ses alliés conservateurs au lieu de viser son adversaire socialiste, les électeurs de droite se démobilisent. Avec un résultat diabolique : Feijóo remporte les élections mais bien en-deçà de ses attentes, les conservateurs de Vox perdent dix-neuf sièges et la droite échoue à constituer une majorité à cinq sièges près. De son côté, Sanchez résiste mais ses alliés reculent et il ne peut reconduire sa majorité qu’avec les sièges du parti de Carles Puidgemont, l’indépendantiste catalan, fugitif de la justice espagnole depuis 2017 après avoir tenté un coup d’état. 

Qu’à cela ne tienne, Sánchez n’est pas à une entorse près. Voilà quatre ans qu’il a franchi toutes les lignes rouges de la « Transición », le pacte-post franquiste qui remit l’Espagne sur la voie de la concorde et de la prospérité et qui est (était ?) le socle de la nation. Depuis 2018, il chevauche une coalition dite « Frankenstein » (d’après le mot judicieux d’un dirigeant socialiste) composée de Podemos (une sorte de NUPES espagnole), des nationalistes basques (qui trahirent Mariano Rajoy pour rejoindre Sánchez), des indépendantistes catalans d’extrême gauche et, surtout, de Bildu, le bras politique de l’organisation terroriste ETA qui ne condamne toujours pas la violence de sa « maison mère » (900 mortes, tout de même !) et dont le dirigeant, Arnaldo Otegui, a été condamnée et incarcéré pour actes terroristes. Pendant cinq ans, l’Espagne a donc été gouvernée par une coalition disparate entre le Parti Socialiste et tous ceux souhaitant faire voler en éclat le consensus et la Constitution de 1978, y compris la Monarchie, sa clé de voute. 

Les alliés de Sánchez ont profité de sa faiblesse Sánchez et de son ambition personnelle démesurée pour obtenir des concessions exorbitantes : lois et mesures  idéologiques d’une wokisme irréprochable ( féminisme à outrance, identité de genre,  protection des animaux), révisionnistes (une loi impose désormais une vision unique et partisane  de la guerre civile en bafouant la liberté académique),  grâces concédées aux indépendantistes catalans alors qu’ils jurent haut et fort qu’ils recommenceront dès que l’occasion se présentera et une réforme à la carte du code pénal pour éliminer tous les chefs d’inculpations dont ils furent reconnus coupables, y compris le détournement de fonds publics.  Sans compter une politique étrangère erratique qui trahit une soumission stupéfiante aux intérêts du Maroc. 

En parallèle, Sánchez a accompli un travail de sape remarquable des institutions. Il a placé ses pions sans complexes dans tous les rouages, depuis le fleuron industriel INDRA (également en charge du dépouillement électoral), jusqu’à l’institut des statistiques, l’institut des sondages (dirigé par un membre du bureau du parti socialiste et qui concocte des sondages à la botte) la télévision de service public, les aéroports nationaux, les pouvoirs régulateurs, etc… Mais, son grand « coup de maître », reste son infiltration sans précédents du pouvoir judiciaire. En cinq ans, il a fait main basse sur la Cour des Comptes, a nommé son ancienne ministre de la Justice au Parquet (fait sans précédents en Espagne) et a colonisé la Cour Constitutionnelle en y désignant un autre de ses anciens ministres, une haute fonctionnaire de son cabinet et un ancien Procureur Général nommé par le gouvernement socialiste précédent.  Le tout dans le silence assourdissant d’une Union Européenne pourtant si prompte à épingler des écarts bien moindres dans d’autres pays. 

Cependant, jusqu’en juillet 2023, Sánchez pouvait se passer des sièges du « jusqu’au boutiste » Puigdemont et ses six petits élus et ses 400 000 voix. Désormais, ce n’est plus le cas et le fugitif n’a pas hésité à faire monter les enchères en sachant qu’il tenait le destin politique de Sánchez entre ses mains. Son prix ? Une loi d’amnistie pour effacer toutes les poursuites contre les indépendantistes depuis 2012 et un référendum d’auto-determination. Problème : la Constitution espagnole ne permet ni l’un ni l’autre, comme le déclarait allègrement Sanchez deux jours avant le résultat des élections, ce qui ne l’a aucunement empêché de passer en force et de déclencher les manifestations les plus massives que l’Espagne ait connu. En outre, il a lancé une guerre ouverte contre le pouvoir judiciaire (du moins, celui qu’il n’a pas réussi à infiltrer) en adoptant l’un des mantras indépendantistes : la notion démagogique de « lawfare », une soi-disant utilisation partisane de la justice à des fins politiques. Résultat : le pouvoir judiciaire (juges, procureurs, hauts fonctionnaires) est vent debout contre cette attaque sans précédent contre la légalité la plus basique, la pire que l’UE n’est jamais vue et les plaintes pleuvent à Bruxelles. Et pourtant, Sánchez n’en démords pas et, fidèle à sa tactique d’une polarisation féroce et de la résurrection du funeste fantômes des « deux Espagnes », il renchérit à la tribune du parlement en moquant son rival car ce-dernier, pourtant vainqueur des élections, n’a pas voulu être investi à n’importe quel prix, et déclare vouloir ériger « un mur » face aux réactionnaires de l’opposition. Donc, une Espagne, contre l’autre. 

Et malheureusement, le tout, avec un franc succès et une polarisation qui rappelle dangereusement celle des années trente, avant la guerre civile. En effet, cette Espagne fortement idéologisée et dont l’opinion publique est trainée de polémique en feuilletons publics, est en effet divisée, à fleur de peau. Les ponts sont totalement détruits entre la gauche et la droite et la bataille politique est largement relayée de manière hystérique au niveau médiatique, surtout par des télévisions favorables au pouvoir dans leur immense majorité. En outre, le pouvoir régional et le Sénat penchent à droite et l’économie souffre des mesures extrêmement interventionnistes des alliés (très doctrinairement ) communistes de Sánchez. Si l’UE rétablit les règles de discipline fiscale, cette Espagne déjà dépassée par certains pays d’Europe de l’Est, criblée de dettes,  dont la démographie est plus basse que pendant la guerre civile et soumise aux pressions migratoires, risque de s’enfoncer dans le puits de la décadence duquel elle était sortie il y a cinquante ans. 

L’Espagne affronte une crise permanente depuis les attentats terroristes d’Atocha en 2004 qui portèrent Zapatero au pouvoir. Depuis, elle a subit une violente crise économique depuis 2008, un appauvrissement, un effondrement du niveau scolaire, un endettement substantiel, un coup d’état en 2017 et, désormais cinq ans de gouvernement « Frankenstein » qui la laisse exsangue. Le pays a tenu bon dans cette tempête parfaite, mais la crise sans précédents ouverte par le nouveau gouvernement Sánchez, sera-t-elle de trop ? Serait-ce possible que le plus grand malade d’Europe soit ce pays dont on parle si peu ? Le destin d’un pays peut-il basculer pour six petits sièges ? L’Espagne aura-t-elle la même superficie dans quelques mois qu’elle a eu depuis cinq siècles ?  Début de réponse en 2024.  

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