2023 ou l’année qui a signé la nécessité du réarmement occidental<!-- --> | Atlantico.fr
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Emmanuel Macron lors d'une cérémonie officielle auprès des forces armées.
Emmanuel Macron lors d'une cérémonie officielle auprès des forces armées.
©CHARLES PLATIAU / POOL / AFP

Escalade des tensions

La perspective de la guerre de haute intensité semblait s’être définitivement éloignée. L'Ukraine et la situation à Gaza ont changé la donne. L’Occident n'est pas préparé à une telle éventualité.

Claude Moniquet

Claude Moniquet

Claude Moniquet, né en 1958, a débuté sa carrière dans le journalisme (L’Express, Le Quotidien de Paris), avant d’être recruté par la Dgse pour devenir "agent de terrain" clandestin. Il exerce ainsi sous cette couverture derrière le Rideau de fer à la fin de l’ère soviétique, dans la Russie des années Eltsine, dans la Yougoslavie en guerre, au Moyen-Orient ou encore en Afrique du Nord. En 2002, il cofonde une société privée de renseignement et de sûreté : l’European Strategic Intelligence and Security Center. De 2001 à 2004, il a été consultant spécial de CNN pour le renseignement et le terrorisme, et est aujourd’hui consultant d’iTélé et RTL. Il est l’auteur, notamment, de Néo-djihadistes : Ils sont parmi nous (Jourdan, 2013) et Djihad : d’Al-Qaïda à l’État islamique (La Boîte à Pandore, 2015), de Daech, la Main du Diable(Archipel, 2016) et, avec Genovefa Etienne, des Services Secrets pour les Nuls (First, 2016). Il est également scénariste de bandes dessinées : Deux Hommes en Guerre (Lombard, 2017 et 2018). Il réside à Bruxelles.

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Les dernières années du vingtième siècle avaient vu fleurir les ouvrages de prospective sur la sécurité, la violence et les « petites guerres » (pour les militaires, la « petiote guerre » désigne essentiellement les guérillas et les actions de harcèlement) qui faisaient rage ou menaçaient d’éclater. La perspective de la guerre de haute intensité, avec ses fronts, ses colonnes blindées, son artillerie et son aviation, elle, semblait s’être définitivement éloignée. Après le déclenchement de la guerre en Ukraine en février 2022, l’année qui s’achève, nous a montré, à Gaza,  que cette vision était erronée. Problème : l’Occident n’y était pas préparé. Et, surtout, il refuse de nommer justement les choses et d’être réellement solidaire de ceux qui sont, pourtant, ses alliés naturels. Par calcul politique, mais aussi par lâcheté, nous sommes en train de creuser notre tombe.  

Dans ses Leçons sur la philosophie de l’histoire, Hegel écrivait : « L’expérience et l’histoire nous enseignent que peuples et gouvernements n’ont jamais rien appris de l’histoire ». Les deux années qui viennent de s’écouler lui donnent tragiquement raison. Après la chute du bloc soviétique et la fin du communisme étatique, un  vent d’optimisme avait flotté de Washington à Paris : c’en était fini du monde bipolaire et de ses risques. L’avenir serait serein et le monde multipolaire permettrait de gérer les crises sans les blocages à répétition que l’on avait connu entre 1945 et 1989 du fait de la rivalité entre les blocs qui paralysait l’ONU.

Perdue dans son illusion du soft power, l’Europe a ignoré, depuis les Balkans, tous les signaux d’alerte

En Europe tout particulièrement, cette nouvelle vision était la bienvenue. Ravagé par la guerre pendant plus de mille ans, sorti totalement dévasté des deux conflits mondiaux, dégoûtée ensuite par ses échecs dans des guerres périphériques – Indochine, Algérie, Afrique… – qu’il a perdu l’un après l’autre, le vieux continent se réconfortait à l’annonce de cette nouvelle ère qui augurait du retour de cette diplomatie qui peut tout régler. Vive le soft power !

Certes, il y aurait encore des conflits (c’est inévitable, tout le monde n’est pas aussi raisonnable que nous et certains peuples ont la tête bien trop près du bonnet…), mais ils seraient locaux, motivés par des rivalités territoriales, des ajustements de frontières ou des haines ethniques. Nous arriverions bien à les régler. Ou alors, il suffirait de s’en désintéresser. Nos dirigeants se sont donc engouffrés dans cette nouvelle pensée et ont vanté les pouvoirs de la discussion, du commerce, de « l’extension de la démocratie » qui permettaient de tout arranger.

Les conflits des Balkans auraient dû être un avertissement. Mais celui a été ignoré : si Serbes, Croates et Bosniaques se déchiraient joyeusement, c’était pour des raisons tenant à leur passé et à leur culture. On rechignait même à voir dans les positions divergentes de l’Otan et de la Russie, ce qu’elles disaient vraiment : la volonté de cette dernière de revenir sur le devant de la scène et sa volonté inchangée de s’opposer à un « bloc occidental » vu comme l’adversaire principal, sinon unique. Il faut dire que c’était encore le temps où nous illusionnions sur Boris Eltsine qui allait ancrer les ruines de l’Empire dans les joies de la démocratie parlementaire et du libéralisme avancé.

Puis, bien plus tard, il y eut les deux guerres de Tchétchénie, celle de Géorgie et la crise du Donbass qui auraient bien dû nous ouvrir les yeux et nous monter que la Russie restait ce qu’elle avait toujours été : une puissance impérialiste rapide à utiliser la violence des armes quand elle estimait être dans son bon droit. Un « bon droit » qui se résumait, à l’arrivée en une idée simple : dominer les Etats issus de l’effondrement de l’URSS. Mais nos yeux sont restés clos ;

Enfin, nous eûmes droit à la longue tragi-comédie des négociations atomiques avec l’Iran. Alors qu’il était chaque jour un peu plus évident que Téhéran se moquait ouvertement de nous, tentant d’arracher concession après concession, mais continuant clandestinement un programme nucléaire qui n’a d’autres finalité que militaires, nous nous sommes accrochés – comme le noyé à une bouée – à notre mantra : il faut retourner à la table des négociations ! Et tant pis si celles-ci ne sont que poudre aux yeux, destinée à donner du temps aux mollahs. 

 L’anti-américanisme a aggravé notre cécité

Bien entendu, une partie de notre aveuglement venait de nos divergences avec notre grand allié américain. Et il est vrai qu’ils sont irritants ces Américains qui passent leur temps à donner à tous des leçons qu’ils sont parfois les derniers à suivre et nous mènent une guerre commerciale continue sournoise (mais après tout, c’est notre faute : qui nus interdit de riposter ou, à tout le moins, de nous défendre, de nous faire respecter ?) Tout cela est vrai. Mais il reste qu’avec les Etats-Unis (comme avec le Canada, l’Australie, la Nouvelle Zélande, le Japon ou, osons-le, avec Israël ou Taïwan) nous partageons quelque chose d’essentiel : une conception de la société qui fait de l’homme, de son épanouissement et de sa liberté la valeur suprême. C’est d’ailleurs pourquoi nous sommes alliés. 

Pourtant, que ce soit au sujet de l’Iran ou face à la Russie, nous avons méprisé les avertissements et les conseils qui venaient d’outre-Atlantique. Les Américains, c’est bien connu, sont de grands enfants irresponsables qui ont bien trop tendance à jouer du colt pour gérer les conflits. Alors que nous, Européens, avons du monde une compréhension tellement fine et subtile que nous savons comment interagir avec les puissances agressives. 

Puis, vint le 24 février 2022 et l’émergence de la guerre ouverte aux confins de l’Europe (une guerre contre laquelle, notons-le, Washington et Londres nous mettaient en garde depuis des semaines). Soyons de bonne mesure : cette fois, l’Europe a compris (mais il aurait fallu être autiste pour mal interpréter les choses) : la Russie n’était pas seulement cet Etat bafouant le droit et menaçant ses voisins directs mais bien cet Empire qui, comme cela a toujours été le cas avec tous les empires, vise à l’hégémonie.

Notre pusillanimité face aux crises qui s’étaient succédées depuis trente ans, et le cuisant échec essuyé en Afghanistan – où, malgré toute notre technologie nous avons été incapables d’écraser un ennemi rustique utilisant des moyens primaires – que nous venions de quitter piteusement ont été mat compris à Moscou: le Kremlin a estimé que le fruit était mûr, que la volonté de se battre (donc, en définitive) d’exister, n’était plus. Cette erreur d’interprétation a amené Vladimir Poutine à pousser les feux en Ukraine et à lancer sn opération militaire spéciale. Mais le constat était faux. La volonté était encore là, ce sont les moyens qui manquaient. Entre 1989 et 2022, nous nous étions ingéniés à abandonner ou à fortement réduire tous les moyens que nous avions de nous opposer à la force brute par une force identique. Nous avons réduit le format de nos armées, nous avons vidé nos arsenaux, nous avons massivement investi dans la haute technologie et les forces spéciales, pensant qu’elles suffiraient largement à assurer notre sécurité et à intervenir dans les rares cas où il le faudrait. Nous avons donc aidé l’Ukraine. Et nous  avons continué à dégarnir nos réserves.

Enfin, il y eut le 07.10, l’opération terroriste la plus complexe et la plus mortifère (si l’on prend en compte le ration population/victimes) de tous les temps. Le piège du Hamas a parfaitement fonctionné et Israël s’est lancé dans la guerre. Mais que pouvait faire d’autre l’Etat hébreu confronté au plus important massacre de Juifs en une seule journée depuis la Shoa, comme cela a été dit ? Et qui plus est dans des circonstances particulièrement horribles.

Face au « Sud global », des voix s’élèvent déjà pour réclamer une paix « munichoise » en Ukraine comme en Israël

Si l’on sait que l’Iran a, malgré ses dénégations, joué un rôle certain dans la préparation du massacre, il reste à déterminer si la Russie avait été tenue au courant. L’affaire en tout tombait bien pour elle. Les Etats-Unis (et certains pays d’Europe) doivent désormais fournir des armes à Jérusalem, ce qui va diminuer d’autant l’effort de solidarité consenti pour l’Ukraine.

Nous voici donc confronté à deux guerres. En apparence, elles n’ont rien en commun. Mais en réalité elle sont symboliques de ce refus de « l’ordre occidental » (et de la liberté qui va avec) par les pays du « Sud global », cette nouvelle alliance de faits qui, pour Moscou, pourrait avantageusement remplacer le défunt bloc communiste. 

Et l’on entend déjà, depuis des semaines, des voix s’élever pour dire qu’il faut raisonner Kiev et Jérusalem et les amener à la table des négociations. Des voix à l’accent munichois pour nous dire qu’une « paix » ressemblant à une cote mal taillé – et qui ne fait qu’annoncer de nouvelles guerres à venir – vaut mieux que la guerre. Car oui, la guerre tue. Et elle tue des victimes civiles. Et elle coûte cher. Et elle déstabilise le monde. Quelle découverte !

Mais que négocier, quand on est ukrainien et que l’on se voit enjoint de céder ses territoires et de désarmer unilatéralement, c’est-à-dire de tendre son cou au bourreau ? Et que négocier quand on est israélien et que l’on fait face à un ennemi imprégné d’idéologie djihadiste et qui n’a d’autre programme que de vous exterminer ?  

L’Ukraine il est vrai, a droit à notre solidarité depuis vingt-deux mois. Pour Israël, cela a été un peu plus court : après quelques minutes (j’exagère à peine…) d’indignation, l’opinion s’est renversée. Le sang de 1 200 victimes, pour trois quarts d’entre elles désarmées, avait à peine eu le temps de sécher que déjà des foules inondaient nos rues pour réclamer une Palestine « libre du fleuve à la mer » (ce qui signifie, répétons-le encore, l’effacement de toute vie juive au Moyen-Orient). Les gouvernements, eux, tergiversent, mais la plupart exigent un cessez-le-feu « immédiat et durable ». On est bien loin de cette vaste « coalition anti Hamas » qu’Emmanuel Macron avait évoqué (sans jamais y revenir par la suite…) lors de sa visite sur les lieux de la tuerie du 7 octobre. Aujourd’hui, on peine à trouver assez de pays européens pour faire vivre la coalition navale dans la Mer rouge, une coalition qui, face aux tirs de missiles et aux drones Houthis, doit pourtant assurer la liberté de naviguer dans un espace maritime qui est vital pour nos approvisionnements en énergie.

Il est temps de se faire respecter, sinon, un jour, la guerre sera à nos frontières

Quand comprendront-nous qu’il est temps de se faire respecter, qu’il est temps de défendre nos vrais alliés ? Qu’il est temps de dire à Téhéran qu’on a bien compris son jeu et que nier d’un côté toute implication et pousser par ailleurs ses affidés du Hezbollah et les Houthis à frapper ne trompe plus personne ? Quand comprendrons-nous qu’il est temps de prévenir Moscou que la guerre en Ukraine et le soutien de fait à Téhéran et au Hamas éloigne chaque jour davantage toute possibilité de paix réelle ?  

Quand comprendrons nous, surtout qu’il faut ramener nos armées à des niveaux raisonnables, investir à nouveau dans la Défense et réarmer moralement nos nations ? Car derrière la guerre en Ukraine, derrière l’agression du Hamas, c’est bien le même adversaire qui est à l’œuvre : cet axe Moscou-Téhéran qui s’érige en guide et en porte-drapeau de ce « Sud global » qui rejette notre façon de vivre et nous méprise.

Aujourd’hui, donc, nous faisons face à deux guerres. Mais demain ? Que se passera-t-il si la Chine - qui a renié, sans complexe, la parole donnée («  un pays deux systèmes »…) quant à l’avenir de Hong Kong, décide de reprendre Taiwan par la force?

Notre faiblesse, nos divisions, nos illusions nous rapprochent chaque jour un peu plus du précipice. Si vis pacem para bellum, disaient les Romains. Jamais peut-être cette locution n’a eu autant de sens qu’en ces derniers jours de 2023. Nous n’aurons la paix que si nous sommes prêts à en payer le prix, si nous assumons nos alliances et si nous défendons notre espace et nos libertés. Sinon, un jour ou l’autre, pour paraphraser Aragon, c’est à nos frontières que « la guerre lèvera son front de taureau ».      

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