13 novembre 2015 : au cœur de l’unité de la BRI lors de l’assaut final au Bataclan <!-- --> | Atlantico.fr
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Des membres de la Brigade de Recherche et d'Intervention (BRI) posent avec un bouclier anti-émeute criblé de balles, qui a été utilisé lors de l'assaut contre les terroristes au Bataclan.
Des membres de la Brigade de Recherche et d'Intervention (BRI) posent avec un bouclier anti-émeute criblé de balles, qui a été utilisé lors de l'assaut contre les terroristes au Bataclan.
©KENZO TRIBOUILLARD / AFP

Bonnes feuilles

Christian Chevandier publie « Mémoires d’une tragédie » aux éditions Robert Laffont. 13 novembre 2015 : à Saint-Denis et à Paris, des commandos sèment la mort. Très vite, les policiers interviennent au péril de leur vie pour secourir les victimes et protéger les rescapés, parvenant même à arrêter le massacre. Terriblement marqués par cette soirée, nombre d'entre eux témoignent et permettent de comprendre ce qui s'y est joué, à long terme, pour eux. Pour ces hommes et ces femmes, rien ne sera plus jamais comme avant. Extrait 1/2.

Christian Chevandier

Christian Chevandier

Christian Chevandier, professeur d'histoire contemporaine émérite à l'université du Havre, est spécialiste de l'histoire des métiers. Il a consacré plusieurs articles scientifiques et deux ouvrages à la police : Policiers dans la ville, une histoire des gardiens de la paix (Folio histoire, 2012) et Été 44, l'insurrection des policiers de Paris (Vendémiaire, 2014), distingué par la Fondation de la Résistance.

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Dans le couloir de gauche, dix fonctionnaires attaquent les terroristes, tandis qu’autant, derrière, demeurent en réserve. La tactique mise au point suppose deux colonnes de « deux fois dix » organisées et suivies de dépiégeurs d’assaut. Une autre colonne d’assaut de vingt hommes est stationnée sur le trottoir. Le chef de BRI explique que, s’il avait disposé de cent policiers de plus, lourdement armés, il aurait été inutile de les faire pénétrer dans le Bataclan. Ce qui est convenu, relate-t-il, « c’est qu’on encaisse » et fasse sortir les otages avant de passer à l’assaut proprement dit. C’est pourquoi les opérateurs tireront très peu. Les colonnes au balcon bénéficient de l’appui d’un des tireurs d’élite de la cellule Omega du Raid afin de neutraliser ce que les policiers croient être un système de vidéosurveillance. C’est qu’au moindre déplacement, des cris fusent derrière la porte, intimant l’ordre de cesser de bouger, et les policiers se demandent comment les djihadistes peuvent s’en rendre compte. La « caméra » se révélera être en réalité un bloc électrique, mais il faut s’assurer que cet appareil fixe ne compromettrait pas l’assaut. C’est sur le tir qui neutralise ce dispositif qu’est donné le « top inter ». Dans le couloir de droite, les policiers se retrouvent face à une porte barricadée avec des fauteuils, des meubles, qu’ils parviennent à enfoncer. Ils trouvent des rescapés et comprennent qu’il n’y a pas de terroristes. De l’autre côté, une « rafale en continu qui résonne », et tous reconnaissent le rythme de la kalachnikov. Se rendant compte que ses collègues sont « en train de se faire allumer », Octave passe à gauche et positionne sa colonne derrière celle de son chef. « Les copains ouvrent la porte », se souvient Willy, avant le « gros déluge de feu » qui suit. Le policier en tête de colonne prend vingt-sept cartouches de fusil automatique dans le bouclier. « Dès que je vois le terroriste, je le vois à peine, je tire deux cartouches », explique un policier. Puis il continue d’avancer. Un collègue arrive par la gauche, le pousse pour s’interposer avec un bouclier souple qui ne protège pas de l’arme automatique mais peut être efficace en cas de blast. Jean-Gatien, excentré vers des strapontins, va pour bondir et rejoindre la colonne lorsqu’il est retenu « par un ami et collègue » tandis que sifflent des balles, puis il ressent le souffle d’une explosion, « c’est pas que ça refroidit, mais… ». Un opérateur baisse l’arme que, dans le couloir étroit qui conduit à un escalier, il pointe sur des collègues. Il voit l’un d’entre eux faire un bond en arrière puis tomber, blessé à la main gauche, vite extrait par un autre : gaucher, il tenait une lampe qui a été touchée. Comme il y a des otages derrière, les policiers utilisent des grenades assourdissantes pour étourdir les terroristes. L’énorme bouclier Ramsès est tombé à cause d’une marche, et les policiers l’utilisent comme un pont-levis. Lorsque vient son tour de passer, l’un d’eux s’arrête car une personne hurle de douleur sous le bouclier. Erreur professionnelle : il ne devrait pas en tenir compte car, en la faisant sortir, il bloque la marche de la colonne. Le dictaphone qu’analysera la police scientifique enregistre : « Allez les gars, on progresse ! Allez, on avance ! » Celui qui s’était arrêté finit par repartir, voit « des gens partout allongés » et ses collègues tirer. « Engagé par un des fonctionnaires », le premier terroriste tombe, explose et blaste le deuxième qui est criblé d’écrous et de pièces métalliques, notamment à la tête et au bras droit. L’effet de souffle descend et blesse un autre policier, derrière la porte au bas de l’escalier, le premier de la colonne du Raid, qui souffrira les jours suivants d’une hémorragie pulmonaire temporaire. Lorsque les opérateurs de la BRI s’approchent du deuxième terroriste, ce dernier est encore vivant et tente de déclencher sa bombe. En vain, car son gilet d’explosifs, avec un bouton-poussoir au niveau du nombril, a tourné sous l’effet du souffle et le poussoir se trouve désormais vers sa hanche. Il appuie, sans effet, sur son ventre ; les démineurs découvriront sa ceinture explosive intacte. Le deuxième de colonne l’aperçoit, les policiers comprennent et le neutralisent. Un dépiégeur s’allonge sur le corps du terroriste pour permettre aux rescapés de sortir. « Là c’est terminé, ce qui est annoncé très tôt à la radio », relate le chef de la BRI. Willy et un collègue sont peut-être les premiers de la colonne à sortir du Bataclan. « Ce n’était pas la bonne idée », parce que de toute part collègues et autorités viennent les « assaillir de questions » alors qu’ils n’ont qu’une envie, c’est de « se poser », d’enlever le casque, la cagoule, de boire un coup, de fumer une cigarette, d’envoyer un message à leur famille pour la rassurer : « En fait, on aurait peut-être dû rester à l’intérieur. »

Alors qu’il n’est pas question que les services de secours pénètrent dans la salle, un commissaire obtient d’un capitaine de pompiers qu’une vingtaine de ses hommes (et femmes ?) en réserve d’intervention puissent, protégés par l’appui-feu des forces de sécurité, venir pendant l’assaut chercher les victimes amenées par les policiers. Vingt-six blessés sont ainsi évacués ; tous survivront. Avant l’assaut, Nelson et d’autres policiers avaient dû sortir et marcher jusqu’à la rue Oberkampf ; tous sont persuadés qu’il s’agit d’une formalité et qu’il ne se pas sera rien, car cela fait deux heures qu’ils extraient des victimes sans le moindre signe de présence de terroristes. C’est là qu’ils entendent les échanges de tirs et une détonation. Puis il est possible de rentrer à nouveau dans la salle. C’est aussi à ce moment que les secours se rendent compte que des survivants sont cachés partout dans les étages, dans des placards, derrière des portes, dans les faux plafonds, dans le moindre recoin. Un nouveau cycle d’évacuations reprend. Dans les couloirs, dissimulés derrière les fauteuils, des rescapés se lèvent. D’autres sortent de leur cachette, certains les mains en l’air et en ayant remonté leur tee-shirt pour montrer qu’ils n’ont pas de ceinture d’explosifs aux policiers, qui s’en réjouissent car « ça facilite le travail ». Passant à proximité de la fosse, pataugeant dans le sang, un otage demande à un officier si tout le monde va bien, s’il n’y a pas trop de blessés. Jean-Alain, qui des mois plus tard se souviendra très bien du visage de cet homme, ne peut que lui répondre d’avancer, « on verra ça plus tard ». Peu à peu, les secours deviennent plus efficaces. Le commissaire qui les organise fait venir des policiers pour mettre en place une noria, améliorer les fouilles, l’accompagnement aux centres de secours, l’orientation vers la police judiciaire.

Dans le Bataclan, les connaissances et le savoir-faire professionnels d’Ariel lui permettent de prendre un certain nombre d’initiatives. Il parle ainsi de « réflexe de démineur » lorsqu’il craint un dispositif russe parfois utilisé lors de la guerre civile en ex-Yougoslavie. Avec un collègue, ils « veille[nt] à ce que les cadavres ne soient pas piégés ». Arrivant au Bataclan, Grégoire est, comme les autres policiers, confronté au spectacle des morts. Ils font entrer quatre chiens, en gardent quatre autres en réserve au cas où les quatre premiers exploseraient. Il doit porter le sien pour passer l’entrée jonchée de morceaux de verre. Il demande à une collègue, la plus gradée de ses subordonnés, comment se répartir le travail qui consiste à vérifier si aucun corps ne dissimule une bombe. Elle suggère « “T’as qu’à faire la fosse”, j’ai dit “Super !” »

Des spectateurs avaient trouvé refuge dans une salle technique à l’entresol et s’étaient enfermés. Lorsque les policiers leur demandent d’ouvrir, ils refusent de peur d’avoir affaire à des terroristes (« Ils avaient raison d’ailleurs, vaut mieux être sûr à cent pour cent que ce soit la police ou les gendarmes avant d’ouvrir »). Le premier de colonne essaye « d’instaurer une petite proximité » avec celui qui parle derrière la porte, lui demande son prénom. Le rescapé répond : « Moi, c’est Martin, toi, comment tu t’appelles ? » Et là, les policiers se regardent. Ironie de l’histoire, sans que cela soit exceptionnel tant le recrutement dans la fonction publique, notamment dans la police, est un élément d’intégration, ce fonctionnaire porte un prénom arabe : « Toi, tu donnes pas ton prénom parce que sinon ils ne vont jamais ouvrir ! » Il s’agit d’une des scènes saugrenues qui surviennent dans un contexte tragique, mais où, se réjouit Octave, « on arrive encore à avoir des moments comme ça, un peu allégés ». De l’autre côté de la porte, ce léger flottement inquiète : « Il a mis cinq secondes à donner son prénom. Du coup, on s’est dit : “C’est pas possible, on ne met pas cinq secondes à donner son prénom, enfin !” Et tout le monde a réagi de la même manière : “Non, on n’ouvre pas”, du coup, on n’a pas ouvert . » Finalement, c’est le prénom du chef de colonne à ses côtés qui est donné. Puis un des spectateurs retranché leur demande s’ils savent ce que signifie « ILS ». Le policier réfléchit un peu avant de répondre « infraction à la législation sur les stupéfiants », sans vraiment rassurer. Les fonctionnaires de police leur conseillent alors d’appeler le 17, expliquent qu’ils vont donner des consignes. Au bout de quelques minutes, les rescapés ouvrent la porte 1. Mais lorsqu’ils voient le charnier, certains se mettent à hurler. Leurs sauveurs essayent de cacher les yeux des filles, « c’est ridicule, mais bon, on avait l’impression qu’elles étaient les plus sensibles », explique Jérôme. On leur dit de ne pas regarder et de sortir en prenant la main des policiers. Ghislain se rend compte que certains sont tellement choqués qu’ils ne comprennent toujours pas ce qui vient de leur arriver.

Une fois l’assaut terminé, à la recherche d’éventuels terroristes, d’autres policiers doivent faire une nouvelle progression dans des jardins attenants tandis qu’arrivent sans cesse des renforts. Gratien et quelques collègues de la BI composent une des colonnes qui sécurisent l’extérieur. Dans l’immeuble contigu qui présente partout des traînées de sang, sur les murs et dans le hall, ils montent, inspectent tous les appartements, « on a même pété des portes » pour, ici aussi, lever le doute… Une fois l’immeuble inspecté, ils redescendent, retournent devant le Bataclan, où se presse une bonne partie des services de sécurité et de secours. « Et là… je ne sais pas pourquoi, mais on avait la certitude que c’était fini. » Une compagnie de CRS est mise à la disposition de Martin qui leur donne, comme à ses subordonnés des commissariats parisiens, des consignes d’intransigeance sur un très large périmètre de sécurité. La police fait rapidement mettre des bus de ses services techniques et de la RATP à la disposition de rescapés totalement valides qui souhaiteraient témoigner rapidement pour qu’ils puissent être pris en charge par la police judiciaire. Beaucoup d’entre eux le font, montent dans les cars après une ou deux heures, le temps que la tension redescende un peu. Les formalités sont certes longues, mais les officiers de la PJ essayent d’être rapides. Certains survivants sont alors conduits au 36 quai des Orfèvres pour audition.

Extrait du livre de Christian Chevandier, « Mémoires d’une tragédie », publié aux éditions Robert Laffont

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