10 000 enfants migrants considérés comme disparus par Interpol : quand l'Europe ignore superbement le problème des mafias dans les bras desquelles elle a jeté des centaines de milliers de réfugiés <!-- --> | Atlantico.fr
Atlantico, c'est qui, c'est quoi ?
Newsletter
Décryptages
Pépites
Dossiers
Rendez-vous
Atlantico-Light
Vidéos
Podcasts
Europe
10 000 enfants migrants considérés comme disparus par Interpol : quand l'Europe ignore superbement le problème des mafias dans les bras desquelles elle a jeté des centaines de milliers de réfugiés
©Reuters

Crise migratoire

La disparition annoncée par Interpol ce week-end de 10 000 migrants mineurs depuis le début de la crise est un signe de plus que des réseaux criminels tirent parti du pourrissement de la situation. Un état de fait qui ne risque malheureusement pas de s'arranger au regard de l'absence d'une politique efficace pour gérer le phénomène.

Stéphane Quéré

Stéphane Quéré

Diplômé de l'Institut de Criminologie et d'Analyse en Menaces Criminelles Contemporaines à Paris II, Master II "Sécurité Intérieure" - Université de Nice. Animateur du site spécialisé crimorg.com. Derniers livres parus : "La 'Ndrangheta" et "Planète mafia" à La Manufacture de Livre / "La Peau de l'Ours" (avec Sylvain Auffret, sur le trafic d'animaux, aux Editions du Nouveau Monde)

Voir la bio »
Fabrice Balanche

Fabrice Balanche

Fabrice Balanche est Visiting Fellow au Washington Institute et ancien directeur du Groupe de recherches et d’études sur la Méditerranée et le Moyen-Orient à la Maison de l’Orient.

Voir la bio »

Atlantico : Interpol a annoncé ce week-end que 10 000 migrants mineurs avaient disparus depuis leur arrivée en Europe, dont un nombre incertain en raison des agissements des réseaux criminels qui gravitent autour des considérables flux migratoires qui traversent et stagnent en Europe depuis plusieurs mois. Comme toujours lorsqu'il y a de la misère humaine à exploiter, on retrouve dans cette crise des réseaux criminels qui s'emploient à en tirer des bénéfices. Que pouvez-vous nous dire de ces réseaux ?

Stéphane Quéré : Il s’agit avant tout de réseaux de trafics d’êtres humains. Il existe une distinction en anglais pour qualifier ces réseaux : il y a ceux qui pratiquent le smuggling et ceux qui pratiquent le trafficking. Le smuggling correspond aux cas où les personnes payent pour être transportées, tandis qu'on parle de trafficking lorsqu'il s'agit d’exploitation forcée de l’être humain. La distinction n’est pas toujours facile à faire, mais dans le cas le plus courant actuellement il s’agit de smuggling : les gens partent volontairement et payent des réseaux pour passer les frontières. Les réseaux en activité sont donc d’abord des réseaux de transport de personnes et de fourniture de faux documents. Ils se trouvent aux points clés de passages des frontières dans le cas des frontières terrestres, et sur les rives extra-européennes dans le cas des passages par bateau. Dans la plupart des cas il s’agit de réseaux communautaires qui prennent en charge leur propre communauté. Les Syriens s’occupent des Syriens, les Nigérians des Nigérians etc. Il y a cependant parfois de la collaboration entre ces différents réseaux sur des tronçons particuliers du parcours car certains réseaux sont spécialistes du passage du passage d'une frontière en particulier. Dans ce cas, ils se « revendent » la marchandise humaine. Il y a également parfois de la concurrence entre les différents réseaux (notamment en Belgique ou dans le nord de la France) qui conduit à des affrontements armés entre membres de réseaux rivaux pour le contrôle de zones clés comme les parkings routiers par exemple qui sont le lieu où les migrants peuvent monter dans les camions.

On constate que le crime organisé exploite également les migrants pour le travail illégal dans des restaurant ou des ateliers clandestins. C’est également la plupart du temps au sein même de la même communauté que se trouvent les victimes et les coupables de ces agissements. Dans le sud de l’Italie, on a connaissance du fait que des mafias traditionnelles prennent en main des populations de migrants pour les faire travailler dans des zones agricoles. On appelle cela du caporalato, ce qui s’apparente à de l’esclavage. En plus de cette question du travail illégal, il existe également des affaires de prostitution et proxénétisme. Pendant longtemps cette prostitution d’immigrés clandestins était destinée à la communauté dont ils étaient issus, mais depuis quelques années ce « marché » s’ouvre aux européens. C’est un fait nouveau. Cette problématique est particulièrement présente dans les réseaux nigérians. Des femmes se prostituent sous la contrainte d’un rite vaudou, le Gugu. Ces réseaux contraignent par ailleurs les hommes à la mendicité. 

A quels niveaux de la route migratoire retrouve-t-on ces réseaux ? 

Stéphane Quéré : Les réseaux de traite humaine et de passeurs sont présents tout le long du trajet. En ce qui concerne le travail illégal, on retrouve ce type de criminalité plutôt au bout du trajet ou dans des lieux stratégiques de passage, notamment en Italie, où les migrants sont dans l’attente de pouvoir aller plus loin ou d’avoir assez d’argent pour payer le prochain passeur. Dans les « jungles » comme à Calais, on retrouve toujours la criminalité des réseaux de passeurs, et la violence qu’elle produit avec la concurrence qui s’exerce entre les différents réseaux. En ce qui concerne les migrants en tant que tels, il existe une délinquance de subsistance, de faible intensité (vols à l’étalage etc.), la plupart du temps non-violente, mais leur nombre rend la chose insupportable pour les habitants de la région. 

Au-delà des réseaux, quelle est la délinquance et la criminalité auxquelles s'exposent les migrants tout le long de leur parcours ?

Stéphane Quéré : Ils sont donc l’objet des agissements des réseaux évoqués plus haut, de passeurs, de travail illégal, de prostitution etc. mais également des tensions qui peuvent exister entre les communautés dans certaines zones comme la jungle de Calais où de violents affrontements ont eu lieu à plusieurs reprises. Par ailleurs, on commence à assister à des « descentes anti-migrants » conduites par les populations locales excédées ou des militants d’extrême-droite, notamment en Suède. Enfin, tout le long du parcours, il existe également des cas de prédateurs sexuels profitant de la situation pour exploiter sexuellement des migrants.

La crise migratoire a entraîné dans son sillage des réseaux criminels qui prospèrent dans l'aggravation de la situation, quand ils n'en sont pas à l'origine. Comment en est on arrivé là ?

Fabrice Balanche : Le flux migratoire est une manne financière pour les trafiquants de toute espèce qui exploitent la misère humaine. Ils rançonnent les migrants pour les faire traverser les frontières et continuent une fois ces derniers arrivés. La plupart des réfugiés sont sans défenses, ne connaissant pas les lois du pays d’accueil. Ce sont donc des intermédiaires plus ou moins véreux qui vont se charger de leur trouver du travail et de remplir leurs papiers. Car les réfugiés n’ont pas confiance dans l’administration. Ils imaginent que les fonctionnaires en Europe de l’Ouest sont corrompus comme dans leur pays d’origine et que sans intermédiaire ils ne pourront pas obtenir leur statut de réfugié. Lorsqu’ils n’ont pas d’argent, ils s’endettent auprès de ces mafias qui les font travailler en échange.

Qu'aurait-il fallu faire pour éviter le pourrissement de la situation et la prolifération de ces mafias ? 

Fabrice Balanche : Il est difficile de lutter contre ce phénomène, car les migrants viennent de pays où les « mafias » sont omniprésentes. Les familles élargies constituent la base de la société et c’est par leur intermédiaire que l’individu accède à un emploi et bénéficie d’une protection. Les migrants reproduisent le système en Europe occidentale d’autant plus qu’ils sont fragilisés par le déracinement brutal et non choisi. Seule une intégration véritable peut lutter contre le phénomène de mafia mais cela prend plusieurs générations. Lorsque le flux de migrants est modeste, les autorités administratives peuvent s’occuper convenablement des migrants et ces derniers comprennent qu’ils n’ont pas besoin d’intermédiaire pour obtenir leurs droits, mais lorsque le flux est massif comme aujourd’hui, il n’est pas possible pour les autorités de traiter rapidement et orrectement les dossiers, c’est alors que les intermédiaires informels s’installe dans le paysage.

Vers quoi se dirige-t-on ? Les réponses à cette crise migratoire vont-elles dans le bon sens ou au contraire les choses ne vont-elles faire qu'empirer ? Pourquoi ? 

Fabrice Balanche : Le pire est à venir pour l’Europe en matière migratoire. Au sud de la Méditerranée, la situation ne cesse de se dégrader. Les conflits en Syrie, au Yémen et en Libye s’aggravent. Dans les autres pays, la croissance économique est inexistante en raison des problèmes sécuritaires, de l’incertitude politique et de la chute des prix du pétrole. Les pays du Golfe renvoient des travailleurs immigrés et réduisent leurs aides aux pays arabes non pétroliers. L’Egypte, la Jordanie, le Liban, la Tunisie, le Maroc sont fragilisés. Quant aux pays producteurs et très peuplés comme l’Algérie et l’Irak, ils sont déstabilisés. Nous avons donc un fort potentiel de migrants à destination de l’Europe qui viennent profiter de ce qu’ils considèrent comme un Etat providence. Le potentiel est décuplé par le regroupement familial puisqu’il est possible de faire venir dans l’Union Européenne les membres de sa famille en toute légalité et sécurité.

L’année dernière Angela Merkel, en décidant d’accueillir en masse les très nombreux réfugiés syriens a envoyé un très mauvais message. Désormais ceux qui atteignent l’Europe sont assurés d’obtenir le statut de réfugié en Allemagne. Sans doute pensait-elle combler le déficit démographique allemand tout en faisant œuvre de solidarité internationale. L’Allemagne se sent toujours coupable pour le génocide juif et se trouve donc plus encline à accueillir ceux qui sont victimes des conflits armés, qui plus est lorsque le conflit possède un rapport avec le génocide juif. Les pays du Proche-Orient sont ainsi marqués depuis 1947 par le conflit israélo-arabe, conséquence du génocide juif. Il semble qu’Angela Merkel ait été marquée par cette adolescente palestinienne en pleurs qui lui demandait dans un allemand parfait pourquoi elle allait être expulsée vers le Liban avec sa famille. C’était juste avant la grande vague de migration du printemps 2015. Elle a ainsi créé un appel d’air aux conséquences désastreuses pour l’Union Européenne.

En raison de débordements, nous avons fait le choix de suspendre les commentaires des articles d'Atlantico.fr.

Mais n'hésitez pas à partager cet article avec vos proches par mail, messagerie, SMS ou sur les réseaux sociaux afin de continuer le débat !