Y-a-t-il de la vie sur Europe ? Ce que la dernière mission de la NASA espère trouver<!-- --> | Atlantico.fr
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La planète Europe.
La planète Europe.
©NASA

Océan de glace

Cette semaine, la réalisation du projet "Europa clipper" s'est précisée. D'ici une dizaine d'années, un vaisseau spatial pourrait tourner en orbite autour d'Europe, satellite de Jupiter, première étape vers la recherche d'une possible trace de vie extraterrestre.

Michel  Viso

Michel Viso

Michel Viso est responsable de l'Exobiologie au CNES depuis 2004. A ce titre il prépare notamment les futures missions d'exploration du système solaire et les projets de retour d'échantillons martiens pour les années 2020.

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Olivier Sanguy

Olivier Sanguy

Olivier Sanguy est spécialiste de l’astronautique et rédacteur en chef du site d’actualités spatiales de la Cité de l’espace à Toulouse.

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Atlantico : Le projet de la Nasa d'envoyer un vaisseau spatial vers la lune de Jupiter, Europe, s'est concrétisé cette semaine par l'annonce des neuf instruments qui composeront la sonde. Quelle sera sa mission et pourquoi cette lune précisément ?

Michel Viso : Tout d'abord nous sommes dans une phase d'étude qui reste encore préliminaire. Europa Clipper est un projet de mission à très long terme. Pour l'instant, cela reste un concept préalable à une décision qui engagerait des sommes qui dépasseraient  les 2 milliards de dollars.

La NASA a sélectionné des instruments qui lui donneraient –si cela se concrétise- des informations scientifiques intéressantes pour déterminer des caractéristiques essentielles d'Europa.

Avant de parler de vie, il faut confirmer la présence d’un océan sur cette lune, mesurer l'épaisseur de la glace qui l’emprisonne, en cartographier l'ensemble de la surface pour sélectionner les endroits les plus intéressants pour les futures explorations à la surface et enfin, seulement, commencer à analyser ce qui pourrait être emprisonné dans la glace (sels minéraux et molécules organiques).

Europe est l’une des quatre grosses lunes de Jupiter (découvertes par Galilée). Grâce à la mission Galiléo, les scientifiques ont montré qu'elle était composée d'un noyau rocheux et d'une croute de glace qui emprisonnerait un océan. En raison de la présence d’eau liquide, certains scientifiques pensent qu'il pourrait y avoir des formes de vie.

D'après les premières estimations faites par calcul, l’océan sur cette lune ferait entre 500 et 1000 km de profondeur emprisonné sous une croute de glace qui ferait entre 10 et 100 km d'épaisseur.  Compte tenu de la configuration de l'orbite de la lune- autour de Jupiter- il y aurait un phénomène de marée terrestre ou marée rocheuse suffisant pour provoquer une activité volcanique (activité tectonique) au sein du noyau rocheux et donc au fond des océans. Cette activité volcanique apporterait dans l’océan de l'énergie –de la chaleur-  et des éléments suffisants pour provoquer des réactions chimiques entre les composés présents, pouvant favoriser la fabrication de molécules organiques.

Cette lune est intéressante dans la mesure où elle est l’un des seuls endroits du système solaire sur lequel il pourrait avoir de l'eau liquide et de l’énergie. Les autres endroits possibles sont peu nombreux : Encelade, une petite lune, autour de Saturne, la lune Titan toujours autour Saturne, et bien sûr la Terre.

Avant Europa Clipper,  partira la mission Juice sélectionnée par l’Agence Spatiale Européenne. Elle-aussi explorera le système de Jupiter et fera notamment deux survols d'Europe. En théorie, elle devrait être lancée en 2022 pour une arrivée prévue en 2030.

Sous la couche de glace d'Europe se trouverait un océan. Comment être sûr de son existence ?

Michel Viso : Pour le moment, l'existence de l'océan  sous la glace qui recouvre la surface d'Europe a été déterminée par des mesures indirectes de variation du champ magnétique. Des images prises par la sonde Galiléo donnent l'impression de morceaux de banquises qui se seraient déplacés sur de l’eau avant d’être à nouveau emprisonnés par la banquise.

Pour être certain de la présence d’un océan, un magnétomètre mesurera les variations du champ magnétique et un radar mesurera l’épaisseur de la glace et peut-être la profondeur de l’océan si son existence est confirmée.

Europa clippers se mettra en orbite autour de Jupiter pour faire 45 survols d'Europa pendant 3 ans. Si la durée de la mission paraît assez courte c’est parce que les conditions électro-magnétiques et les radiations émanant de Jupiter sont très nocives pour tout ce qui est électronique, notamment autour de cette lune. Avec les technologies disponibles, seuls des survols d’Europe sont envisageables. En orbite, la sonde serait détruite rapidement.

La présence de cet océan et de divers composés organiques et chimiques amènent les scientifiques à penser qu'il pourrait y avoir une forme de vie sur Europe. Comment justifier cette hypothèse ? Quels types de micro-organismes pourraient être trouvés ? 

Michel Viso : Europe est un satellite de Jupiter formé dans le système solaire avec des matériaux semblables à ceux présents lors de la formation des planètes. Parmi les matériaux il y avait des silicates (les roches), de l'eau et des composés organiques (constitués de carbone, hydrogène, oxygène et azote).

Tous ces composés sont forcément présents au sein du satellite. S’il y a de l'eau sous forme liquide avec ces composés organiques ainsi qu’une source d'énergie liée au phénomène de marée, alors toutes les conditions sont réunies pour une chimie active au fond des océans. Cette chimie va produire des composés plus complexes que ceux formés naturellement dans l'environnement inter planétaire. Europa clipper va donc essayer de détecter si des composés de ce type, qui auraient atteint la surface de l’océan, ont été emprisonnés dans la glace.

Dans l'esprit de certains scientifiques, si des composés organiques complexes se forment, alors il est possible qu’ils se soient assemblés pour donner une activité métabolique (synthétiser plus de soi-même par soi-même), c’est-à-dire commencer une forme de vie. Les plus audacieux d’entre eux imaginent même qu'il pourrait y avoir des micro- organismes plus ou moins semblables  à des bactéries terrestres. Ni Europa clipper ni Juice n’apporteront une réponse à cette dernière interrogation, mais si l’une des deux missions trouve des éléments intéressants, des explorations plus ambitieuses se profileront dans les années 2040 ou 2050.

Les équipes moins optimistes ou plus raisonnables pensent qu'il ne peut y avoir de formes de vie sur Europa parce que composés produits par les réactions chimiques au sein d’un océan aussi immense se retrouvent automatiquement dilués. La concentration des molécules n’est pas suffisante pour que les réactions chimiques puissent s’enchainer rapidement. Pour qu’une forme de vie puisse apparaitre, et résister, il est nécessaire que les molécules  soient concentrées emprisonnées dans une membrane pour que des unités élémentaires vivantes apparaissent. Le déroulement de ces étapes n’est pas connu avec précision, mais elles sont indispensables pour qu’une forme de vie émerge.

Aujourd'hui, quels sont les endroits dans l'espace où nous serions susceptibles de trouver des formes de vie ? 

Michel Viso :Aujourd'hui, le seul endroit sur lequel il est absolument certain de trouver de la vie est et reste la Terre. Parmi les planètes et leurs satellites dans le système solaire, les endroits qui pourraient abriter de la vie sont ceux qui ont eu ou ont encore de l’eau liquide en surface ou dans des océans ou des poches géologiques. Ceci restreint leur nombre à trois cibles principales : Mars qui a des traces géologiques d’écoulements d’eau anciens à sa surface, Europe avec son océan en contact avec le noyau rocheux et Encelade qui a une source d’énergie interne  bien qu’elles soit très petite.  

Il n’y a guère d’autres endroits dans notre système solaire compatibles avec l’idée que nous nous faisons de la vie. Pour ces trois cibles potentielles, nous en sommes réduits aux hypothèses. Elles motivent cependant des missions d’observation et d’exploration. Même si la présence d’une forme de vie est très improbable, nous avons beaucoup à apprendre des réactions chimiques qui se produisent dans ces milieux. Et puis les hypothèses scientifiques sont aussi faites pour être démenties par de nouvelles découvertes !

Cette mission est une mission à long terme. Y-a-t-il une échelle de temps définie ? Quels sont les études et préparatifs impératifs à réaliser avant le départ ? 

Olivier Sanguy : Pour le moment, la NASA évoque un décollage de la sonde en 2025 suivi d’un voyage d’un peu plus de 6 ans pour atteindre l’orbite de Jupiter et ensuite étudier sa lune Europe pendant 3 ans et demi en effectuant plusieurs survols rapprochés. Il est aussi envisagé d’utiliser le SLS (Space Launch System), le futur lanceur géant de l’agence américaine en cours de développement. Dans ce cas le voyage serait réduit à 2 ans. Actuellement des budgets d’études ont été votés par le Congrès américain. On constate que les échelles de temps pour mettre en œuvre ce type de mission dépendent essentiellement de deux facteurs. Le premier est technique, à savoir le temps qu’il faut aux scientifiques, techniciens et ingénieurs pour mettre au point la sonde et ses instruments. Le second est politique et budgétaire à la fois : en étalant le budget nécessaire à la réalisation de cette sonde sur plusieurs années, on évite de trop fortes charges annuelles, comme lorsqu’on prend un crédit sur 10 ans au lieu de 5. Pour le premier facteur, la NASA doit donc concevoir et construire (en partenariat avec les industriels spatiaux) une sonde capable d’aller dans le système jovien, un domaine pour lequel l’agence dispose d’un savoir-faire puisqu’elle a survolé Jupiter avec les sondes Pioneer 10 et 11, Voyager 1 et 2, Ulysses, Cassini et New Horizons et plaça sur orbite Galileo qui y fonctionna de 1995 à 2002. Juno de la NASA est aussi en ce moment en train de voguer vers Jupiter et elle se mettra sur orbite autour de la planète géante en août 2016. Le principal défi, outre affronter le milieu spatial qui est le lot de toutes les sondes, est de réaliser un engin qui résistera aux intenses radiations qui règnent autour de Jupiter en raison de son puissant champ magnétique. Autre défi technique : ce sont les panneaux solaires qui ont été retenus plutôt que des générateurs au plutonium pour fournir l’électricité. Or les panneaux solaires se dégradent lorsqu’ils subissent des radiations. Nul soute que la NASA va se baser sur ce qui a été développé pour Juno qui doit devenir en 2016 la première sonde à explorer le système jovien en utilisant des panneaux solaires au leu de la classique solution du plutonium. Pour la partie scientifique, la NASA a lancé un appel à idées pour que des institutions proposent les instruments susceptibles de remplir les objectifs visés, à savoir déterminer si Europe présente des conditions favorables à la vie, notamment grâce à son théorique océan sous-glaciaire. Neufs instruments ont été officiellement retenus. Si ces aspects techniques et scientifiques reposent sur un savoir-faire solide de l’agence américaine, le facteur budgétaire est en revanche entre les mains des politiques.

Le coût financier d'une telle mission est astronomique. Comment financier une telle mission ?

Olivier Sanguy : Ces missions spatiales sont financées par les fonds publics, autrement dit, aux États-Unis, nous parlons du budget fédéral puisque la NASA est une agence fédérale. En bref, ce sont les impôts des contribuables américains qui payent pour ces missions. Un coût astronomique ? En fait non ! Nous parlons de 2 milliards de dollars sur 10 ans, plus le voyage et la période d’exploration scientifique proprement dite (soit une vingtaine d’années). Le budget de la NASA est de l’ordre de la vingtaine de milliards de dollars par an et cela représente moins de 1 % (oui, 1 % !) du budget fédéral américain. L’ensemble des dépenses de la NASA, c’est-à-dire les vols habités avec l’ISS, la préparation de futures missions d’exploration, la conduite des missions actuelles comme le rover Curiosity sur Mars (il faut bien payer les scientifiques qui analysent les données ou les techniciens qui assurent le fonctionnement du rover), de la recherche scientifique et technique, des missions d’observation de la Terre pour le climat et autres domaines, de la recherche aéronautique, etc. représente donc un budget largement inférieur aux dépenses militaires (400 milliards de dollars par an environ), sociales, de santé ou d’éducation. Ce qui est normal, il y a des priorités. Mais on voit bien que ce ne sont pas les budgets spatiaux civils qui creusent le déficit d’un État, même celui des États-Unis. Au contraire : l’agence spatiale française CNES a montré que chaque euro investit dans l’espace en rapportait 20 !

Quels sont les enjeux politiques derrière une mission scientifique ? 

Olivier Sanguy : Lors de la course à l’espace entre les États-Unis et l’Union Soviétique lors des débuts de l’ère spatiale, l’astronautique est devenue un vecteur de souveraineté. Et elle l’est toujours. Ceci car la technologie spatiale est un élément d’indépendance pour l’État qui la maîtrise. Un Etat qui, par exemple, maîtrise la construction des satellites mais pas celle des lanceurs se voit obligé de faire appel à des prestataires étrangers s’il veut mettre ses satellites sur orbite, avec le risque d’un boycott… Je rappelle que dans les années 1970, les États-Unis ont accepté de mettre sur orbite un satellite de télécommunications européen (Symphonie) à la condition expresse qu’il ne soit pas utilisé à des fins commerciales. Cette limitation de souveraineté a fait comprendre aux politiques que dans le spatial aussi on n’était jamais mieux servi que par soi-même et c’est ainsi que le premier lanceur Ariane est né ! Pour les missions scientifiques comme Europa Clipper, les enjeux politiques peuvent sembler moins directs, mais de par son exigence à la fois technique et scientifique, l’exploration spatiale est un puissant facteur d’excellence des filières universitaires et industrielles d’un pays. L’argent public irrigue alors des secteurs de pointe et pousse aussi les étudiants à se diriger vers des carrières techniques et scientifiques de haut niveau. Enfin, n’oublions pas le prestige qui engendre des retombées commerciales. Avec son programme spatial habité, la Chine entend démontrer par l’exemple qu’elle n’est plus le pays des produits pas chers et à la qualité douteuse, mais qu’elle est prête pour les plus hautes technologies. D’ailleurs la Chine vend à de nombreux pays des satellites de télécommunications ou d’observation de la Terre clés en main avec prestation de lancement incluse, ce qui participe aussi à son assise diplomatique sur la scène mondiale.

Pourquoi les neufs équipes travaillant sur ce projet sont-elles exclusivement américaine, alors que pour la mission Curiosity des chercheurs multi-nationaux avait été inclus (dont européennes avec l'instrument chemcam) ?

Olivier Sanguy : La NASA ne bloque pas forcément les propositions venues d’autres pays. L’agence cherche avant tout les propositions qu’elle jauge les plus efficaces. C’est ainsi que la caméra ChemCam de Curiosity, comme vous le rappelez, est un instrument à la fois américain et français (le CNES, l’agence spatiale française est impliquée). La France sera aussi à bord de la sonde martienne Mars Insight qui doit décoller vers la planète rouge en 2016. Concernant Europa Clipper, il ne faut pas oublier que l’Agence Spatiale Européenne (ESA) a sa propre mission intitulée JUICE (JUpiter ICy moon Explorer) et qui vise plus particulièrement les lunes de Jupiter Callisto, Ganymede et Europe. Le lancement est prévu pour 2022. La NASA a demandé à l’ESA en avril dernier si cette dernière souhaitait participer à Europa Clipper en fournissant un atterrisseur, reprenant le schéma de la coopération sur Cassini (sonde qui porta l’atterrisseur européen Huygens qui signa le premier atterrissage sur la lune de Saturne Titan). Le problème est que ce type de participation exige un budget conséquent de plusieurs centaines de millions d’euros. Et il y a toujours le risque que la mission Europa Clipper fasse les frais d’une coupe budgétaire de la part du Congrès américain. Après tout, la NASA et l’ESA devaient réaliser ensemble une mission d’exploration des lunes de Jupiter et surtout d’Europe baptisée EJSM/Laplace. Mais suite à des tensions budgétaires, la NASA abandonna ce projet en 2010.

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