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"Résistance civile non-violente" et destruction de la démocratie
©Philip FONG / AFP

Non-violence

Yves Michaud aborde le thème de la résistance civile non-violente. La nouvelle politique de la "résistance non-violente" se fait aujourd’hui dans la rue, sur les réseaux sociaux, à la télé, sur Youtube. Elle est en passe de détruire la démocratie et la violence gagne de plus en plus de terrain.

Yves Michaud

Yves Michaud

Yves Michaud est philosophe. Reconnu pour ses travaux sur la philosophie politique (il est spécialiste de Hume et de Locke) et sur l’art (il a signé de nombreux ouvrages d’esthétique et a dirigé l’École des beaux-arts), il donne des conférences dans le monde entier… quand il n’est pas à Ibiza. Depuis trente ans, il passe en effet plusieurs mois par an sur cette île où il a écrit la totalité de ses livres. Il est l'auteur de La violence, PUF, coll. Que sais-je. La 8ème édition mise à jour vient tout juste de sortir.

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La résistance civile non-violente a été longtemps considérée comme un mode d’action politique éminemment respectable de la part de citoyens niés ou de personnes humiliées. L’exemple de référence était celui du mouvement de libération conduit par Gandhi en Inde dans les années 1920 contre la puissance coloniale britannique. 

La désobéissance civile avait pour elle d’éviter le piège de la violence qui finit toujours par contaminer ceux qui la pratiquent et de promouvoir une relation au pouvoir et à la politique engageant un rapport autre à l’existence, aux autres et à  la nature.

Les objections à la non-violence portaient d’un côté sur son ancrage dans des spiritualités extrême-orientales éloignées de celles du reste du monde et d’un autre sur son angélisme face à des adversaires sans scrupules. Comme l’a montré le massacre de la place Tian’anmen en 1989, une répression sans états d’âme vient aisément à bout des convictions pacifistes.

Il me semble que nous sommes confrontés depuis peu à un paradoxe de taille : celui de formes de résistance civile non-violente elles-mêmes chargées de violence. 

Les exemples de ce qu’il faut bien appeler une non-violence violente sont nombreux un peu partout.

En Asie, les manifestations à Hong Kong contre la volonté de main-mise accrue de la Chine populaire font partie de ces nouvelles formes d’action auxquelles on oppose non pas les blindés mais des forces anti-émeute. De même au Venezuela dans le conflit larvé et durable entre la clique militaire de Maduro-Chavez et les anti-autoritaires  En France, les affrontements entre Zadistes et forces de l’ordre sur plusieurs sites ont montré comment des occupants en principe pacifistes s’opposent violemment aux tentatives pour faire respecter des décisions de justice  condamnant des occupations illégales. Pour ne rien dire du mouvement récent des Gilets jaunes qui s’est toujours présenté comme civique et pacifique alors même que les manifestations dégénéraient.

Des exemples encore plus récents sont fournis par les manifestations indépendantistes en Catalogne et les interventions dans plusieurs pays du collectif écologiste Extinction-Rébellion. 

En Catalogne, les CDR (comités de défense de la République…) et le « mouvement » Tsunami-démocratique protestent « pacifiquement » contre le verdict du procès fait aux leaders indépendantistes tout en menant des occupations de l’espace public, des blocages de la vie économique et des attaques violentes contre les forces de l’ordre. Ce fut déjà le cas  lors du référendum illégal sur l’indépendance du 1er octobre 2017, qui conduisait au procès de ces leaders. 

Quant aux interventions du collectif écologiste Extinction Rébellion (à Paris, à Londres, à Bruxelles), elles sont pacifiques au plan des déclarations, mais n’en constituent pas moins des violences caractérisées en bloquant des quartiers et en occupant des établissements commerciaux ou publics.

Cette « non-violence violente » a plusieurs explications.

D’abord, bien sûr, les techniques de communication instantanées facilitent l’appel à l’action et la coordination des acteurs. Elles facilitent aussi la diffusion en direct et en boucle des images des événements, y compris en les grossissant  ou en les déformant (ce fut le cas aussi bien en Catalogne que pour la crise des Gilets jaunes). Dans le même temps, les forces anti-émeutes sont, elles, sous la surveillance constante de « médias journalistiques » plus ou moins impartiaux ou partisans, avec une asymétrie patente entre des manifestants pacifistes qui ne sont tenus ni par des consignes de partis ni par des règlements institutionnels et, à l’inverse, des forces de l’ordre liées par leur doctrine d’emploi, par le droit et par les impératifs  politiques tout courts.

Ce qui conduit à un second facteur essentiel, la protection inégale créée par l’hypertrophie et la complexification de l’État de droit. 

Toute action est aujourd’hui « juridicisable » mais dans des conditions et selon des principes qui avantagent considérablement les non-violents violents. On sait que, par principe, la responsabilité ne peut pas être collective. Les messageries cryptées occultent les meneurs. Les faits ne sont jamais solidement établis et le flagrant délit est quasiment impossible à établir. Les manifestants sont de plus en plus souvent masqués. Les interpellations et interventions préventives sont exclues. Les interdictions de manifester ne peuvent être prononcées puisqu’il n’y a ni organisateurs ni services d’ordre et que tout émane de la colère «spontanée » du peuple.

Ce qui laisse libre cours à un troisième facteur : l’intervention de casseurs qui sont, eux, ouvertement violents, et profitent des situations pour mener leurs politiques groupusculaires, avec ou sans la complicité bienveillante des non-violents agissant par procuration.

Mon intention n’est ni de condamner ni de célébrer ces mouvements mais d’identifier et de décrire des formes d’action politique inédites, qui obligent les forces de l’ordre et les responsables politiques  à inventer des réponses nouvelles elles aussi. Ils y parviennent avec plus ou moins de succès et plus ou moins de réactivité en adaptant les techniques de maintien de l’ordre (on l’a vu avec les hésitations tactiques de la Préfecture de police de Paris face aux manifestations des Gilets jaunes), en recourant à des armes non létales ou incapacitantes, en admettant aussi de laisser le champ relativement libre aux protestataires afin d’éviter les affrontements trop durs et les bavures. Le monopole de la violence n’appartient en tout cas plus à l’État et les non-violents ne sont plus aussi non violents qu’ils le prétendent.

La conséquence la plus grave de ces situations, qui concernent, pour l’essentiel, les pays dits démocratiques (on n’a pas encore vu de zadistes en Arabie saoudite…)  passe en revanche trop inaperçue dans le tsunami des images et des tweets : ces pratiques remettent foncièrement en cause deux des piliers de l’organisation démocratique : la force du vote et le pouvoir des juges. On l’a vu avec la ZAD de Notre-Dame des Landes qui a mis en échec un référendum régional aux résultat fort clairs et plusieurs décisions de justice. On le voit ces jours-ci en Catalogne où les indépendantistes restent encore très minoritaires électoralement et s’opposent frontalement aux juges du Tribunal suprême espagnol qui est au sommet de la hiérarchie judiciaire d’un pays européen jusqu’à nouvel ordre démocratique, quelque chose entre la Cour de cassation et le Conseil constitutionnel.

La nouvelle politique de la « résistance non-violente » se fait aujourd’hui dans la rue, sur les réseaux sociaux, à la télé, sur Youtube. Elle est en passe de détruire la démocratie. Beaucoup des acteurs de ce nouveau pacifisme s’en réjouissent sans se souvenir ou sans savoir que pas mal de citoyens ont jadis donné leur vie pour obtenir le droit de voter et le respect des principes du droit, ces vieilles lunes….

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