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 L’ultime  tabou français : voilà pourquoi personne ne réussira de véritables baisses d’impôts sans travailler au retour d’une croissance beaucoup plus vigoureuse
©JOEL SAGET / AFP

Acte II ou pas...

Dans son discours de politique générale, Edouard Philippe a promis une baisse d'impôts de 27 milliards d'euros.

Michel Ruimy

Michel Ruimy

Michel Ruimy est professeur affilié à l’ESCP, où il enseigne les principes de l’économie monétaire et les caractéristiques fondamentales des marchés de capitaux.

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Mathieu  Mucherie

Mathieu Mucherie

Mathieu Mucherie est économiste de marché à Paris, et s'exprime ici à titre personnel.

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Atlantico : Que penser des promesses de baisses d’impôts de la part du gouvernement considérant qu’il ne semble pas donner de pistes sérieuses permettant d’y parvenir ? Peut-on vraiment baisser les impôts sans bénéficier du retour d’une croissance beaucoup plus vigoureuse ?

Michel Ruimy : En effet, le gouvernement parle bien de baisse d’impôts - les impôts des ménages baisseraient durant ce quinquennat de 27 milliards d’euros - mais il ne donne aucune indication sur la manière d’équilibrer son budget.

Savoir si les baisses d’impôts stimulent l’économie reste un sujet débattu. Pour les économistes keynésiens, une diminution d’impôt provoque une hausse de croissance plus que proportionnelle (On parle de multiplicateur fiscal). Cette baisse d’impôt aura un impact positif d’autant plus important que les ménages consomment une part non négligeable de leurs revenus (forte propension à consommer), et que le pays est peu ouvert au commerce international (peu d’achats de produits importés). Sur le terrain empirique, le débat est également vif car qu’il est difficile d’évaluer correctement les effets des politiques fiscales du fait de la difficulté à bien isoler leurs impacts.

Néanmoins, une étude, publiée en 2010, par les économistes américains Romer et Romer, recensant les principaux changements fiscaux intervenus aux États-Unis depuis 1945, montre des effets larges et persistants sur la croissance. Une baisse d’impôt équivalente à 1 point de Produit intérieur brut provoque une hausse de la croissance d’environ 3 %, à moyen terme, grâce au regain de consommation des ménages. Un aspect non négligeable pour la France puisque la consommation est le principal vecteur de croissance de l’Hexagone… à condition que la conjoncture nationale et / ou internationale soit favorable.

Mathieu Mucherie : On peut baisser les impôts facilement si on a de la croissance. On en prévoit ni cette année ni l'année prochaine. Cette piste est bouchée par la conjoncture domestique et internationale. De fait, on n'arrivera pas à obtenir la marge de manœuvre pour un "tax-cut". La 2e voie consiste à rationaliser la dépense publique de façon à se donner des marges pour pouvoir baisser les impôts. La dépense des administrations publiques en France est de 1100 milliards d'euros chaque année. On peut se dire qu'il y a parfois un peu de gras, des doublons, des gains de productivité possibles. D'autant plus qu'aujourd'hui en France les dépenses régaliennes pures et les dépenses d'investissement ne représentent quasiment rien dans ces 1100 milliards. Il y a donc largement de l'espace pour rationaliser dans les dépenses de fonctionnement hors pensions. Si on ne le fait pas, dans une logique macronienne qui consiste à ne rien faire à part payer des agences de communication, et si l'on tient en plus à rester dans le cadre des 3% de déficit sur PIB, ce sera impossible. Dépasser le seuil des 3% pourrait pourtant se faire impunément d'un point de vue financier puisque le marché nous prête à taux fixe à moins de 0% jusqu'à des maturités longues. On pourrait le faire sans la moindre égratignure et avec un ceretain sens du timing en ces temps de ralentissement économique, mais Emmanuel Macron ne veut pas en entendre parler.

On est donc là face à un triangle d'impossibilité. Si on se refuser à faire de vraies réformes, si on refuse de secouer le cocotier de la BCE, taper dans la dépense publique ou transgresser la règle des 3% de déficit, dans ce cas il n'y aura pas de baisse d'impôts mais bien de la cosmétique fiscale.

Cela risque-t-il de se traduire par de la dette et des taxes moins visibles ou concentrées sur des cibles qui ne protestent pas trop ?

Michel Ruimy : Certes, le gouvernement peut accroître la pression fiscale. Mais, baisser les impôts sans réduire, de manière équivalente, les dépenses publiques, peut n’avoir aucun effet sur la croissance si les ménages, anticipant une hausse future des impôts pour rembourser la dette publique et / ou des perspectives moroses, choisissent d’épargner plutôt que de consommer ces ressources supplémentaires (équivalence ricardienne).

C’est ce qui s’est passé avec les 10 milliards d’euros distribués par le gouvernement en début d’année. Beaucoup de mesures (hausse de la prime d’activité, défiscalisation des heures supplémentaires…), qui profitant d’un contexte favorable - ralentissement de l’inflation -, ont permis une hausse moyenne du pouvoir d’achat de l’ordre de 0,9 %. Mais, faute de confiance en l’avenir immédiat, les dépenses de consommation n’ont pas augmenté autant qu’espéré (0,4 % après avril 2019). Les ménages « restent sur leurs gardes » et ont tendance à différer leurs achats durables. L’épargne en a ainsi profité pour atteindre un niveau de 15,6 %, son plus haut niveau depuis 2012. Preuve supplémentaire que la dynamique d’une économie nationale fonctionne à la confiance.

Par ailleurs, le multiplicateur fiscal est d’autant plus élevé que les ménages sont endettés ou contraints financièrement. Les baisses d'impôts, en relâchant la contrainte financière, accroissent le revenu disponible et, ce faisant, stimulent la consommation. En France, près de la moitié des ménages sont endettés mais ce n’est pas nécessairement les ménages les plus modestes. Par exemple, suite à un crédit immobilier, on peut être, à la fois, riche du bien immobilier acquis et contraint financièrement. De même, un ménage avec peu de richesse « liquide » sera très sensible à un choc fiscal même si son patrimoine est important. Il réagira de la même manière qu’un ménage plus modeste. Une mesure fiscale visant à stimuler la consommation gagne ainsi à cibler, au-delà des ménages les plus modestes, les classes moyennes endettées.

Michel Ruimy : Exactement. C'est la même technique que François Hollande du "je déshabille Paul pour habiller Jacques".  On peut résumer ce dossier et le dossier Renault/Fiat en le mettant sous le même chapeau de l'énarchie. C'est-à-dire le chapeau des mécanos. Nos décideurs ne sont pas des politiques mais des mécanos qui aiment jouer au Lego industriel et fiscal.

Même si la question de la réduction de la dépense publique et de la rationalisation de l’organisation de l’Etat est majeure, n’est-elle pas totalement insuffisante ?

Michel Ruimy : Tout à fait ! Une idée serait de baisser franchement les charges qui pèsent sur les salaires. La France se distingue par la lourdeur de ses prélèvements obligatoires. Excepté le tabac et le pétrole, le travail est sans doute la « denrée » la plus taxée en France. Cela n’a pas de sens économique. Taxer lourdement le travail revient à décourager l’emploi alors que le taux de chômage n’est pas passé en dessous de 8 % depuis une trentaine d’années.

Or, dans tous les pays avancés, les dépenses de santé croissent plus vite que le revenu national en raison des progrès techniques considérables de la médecine et de la pharmacie. Il en va de même des dépenses de retraite en raison du vieillissement des populations, une autre conséquence des progrès en matière de santé. Ces charges salariales servent à financer la Sécurité sociale et les retraites, qui ne font pas partie du budget de l’État. La Sécurité sociale a son propre budget. Baisser les charges sociales déséquilibre ce budget. Il pourrait paraître logique de boucher le trou avec le budget général. Ce serait oublier que toute passerelle entre le budget de l’État et celui de la Sécurité sociale reviendrait à attenter à la gestion paritaire dont s’enorgueillit la France depuis 1945.

Or, tout indique que les citoyens souhaitent un accroissement de ce poste de dépenses - la santé est, au fond, notre bien le plus précieux. Dans notre système-que-le-monde-entier-nous-envie, la seule solution pour financer les dépenses est d’augmenter toujours et encore les charges salariales et donc de générer toujours plus de chômage. Il faudrait du courage politique pour remettre en cause cette machinerie catastrophique, ce qui a manqué à tous nos gouvernements depuis des décennies. Ce n’est jamais le bon moment pour mettre le sujet sur la table.

Dans ce contexte, quelle serait, alors, la seconde meilleure baisse d'impôts ? Depuis 2007, les dépenses d’investissement des entreprises sont relativement faibles. Ceci est mauvais pour l’emploi, pour la croissance, pour la compétitivité. Une bonne mesure serait la réduction d’impôts pour les entreprises qui investissent. Cette réduction pourrait être temporaire, de manière à encourager les entreprises à entreprendre des dépenses d’investissement maintenant plutôt que d’attendre, à ce jour, un improbable essor économique.

Mathieu Mucherie : Pour que cela atteigne le monde de la réalité il faut que les agents économiques aient une visibilité correcte, voient la cohérence de la chose… Bref que cela soit incitatif et significatif. Sans cela, ce n'est que de la mécanique fiscale sans aucun effet macro en net. Si j'avantage les célibataires en prenant de l'argent aux familles nombreuses, au final, j'ai juste déplacé de l'argent. Il faut des choses puissantes pour provoquer un choc de confiance, et si possible faire des choses qui durent dans le temps (idéalement, avec une coordination entre les initiatives budgétaires et monétaires, mais là je rêve, nous sommes en zone euro).

Pour booster la croissance et pouvoir baisser, de fait, les impôts ne faudrait-il pas s’orienter vers l’exemple du Royaume-Uni ou des États-Unis qui sont passés par des réformes structurelles qui ont un impact long mais aussi et surtout par une politique monétaire ambitieuse couplée à des politiques budgétaires coordonnées ?

Michel Ruimy : Ceci est une option. Mais le problème est que la zone euro a un policy-mix atypique : 1 politique monétaire et 19 politiques budgétaires qu’il convient de coordonner. C’est là, où le bât blesse. Il n’y a pas de budget européen et, excepté l’Allemagne, les finances publiques des autres Etats-membres sont fortement dégradées. Le financement des réformes structurelles est donc compliqué. Quant à la politique monétaire, elle essaie tant bien que mal de pallier les insuffisances des politiques budgétaires.

Telle qu’elle se présente aujourd’hui, la zone euro risque d’être incapable de résister à la prochaine crise. D’ici 20 ans, des réformes fondamentales et profondes dans le fonctionnement du secteur financier, des finances publiques et des activités de la banque centrale sont indispensables. Parmi les futurs possibles, une ambitieuse réforme pourrait remettre la création monétaire au service des urgences environnementales et sociales de la société.

Inévitablement, il faudra en passer par de nouveaux traités. Pour parvenir à cette réforme, la modification des règles de l’Union européenne porterait sur 3 points : la définition des grands principes de la politique économique européenne, le nouveau rôle pour la Banque centrale européenne et une réforme profonde des modes de financement des États. Un tel programme pourrait convaincre ceux qui se sont détournés de la construction européenne, en la jugeant inefficace et trop centrée sur les élites.

Mathieu Mucherie : Je ne suis pas certain que l'exemple américain soit un bon exemple car on n'a pas les même taux d'imposition et nous ne sommes pas territorialement structurés de la même manière. Aux Etats-Unis les impôts sont lourds et ressentis de manière forte par les ménages. Quant au système anglais, on constate qu'il n'y a pas eu de chute verticale des dépenses publiques. Il y a eu des efforts qui ont été faits mais surtout beaucoup de communication sous Cameron. Quand on regarde la dépense publique en Angleterre, on s'aperçoit qu'elle est assez haute, et plutôt stable dans le temps. Par contre, il y a de l'activisme monétaire, ce qui leur a donné plus de revenus nominaux, de lisser les dettes. Mais, en même temps, ils sont un peu comme nous avec à peu près les même taux d'intérêt. 

On peut s'inspirer d'à peu près personne mais on sait aussi que l'on peut faire mieux. On a des strates administratives trop nombreuses, et à chaque échelon il y a trop d'entités. C'est la question de la productivité des services publics, qui n'est jamais abordée, ni par ce gouvernement ni par le précédent. S'il y a des économies à faire, elles seront longues toutefois à réaliser, avec un effet de courbe en "J" le plus souvent avec les vraies réformes (c'est pourquoi nos technos qui nous dirigent préfèrent les gels de crédit et les coups de rabot plus ou moins forfaitaires).

La transgression (ce n'est pas la 1ère…) du pacte de stabilité n'est pas tabou pour un économiste même libéral (après tout, si les concepteurs des critères de Maastricht avaient fait confiance aux parlementaires ou à la discipline des marchés financiers, ils n'auraient pas édicté les 3% !). Si on accepte de faire comme les Américains 5% de déficit un peu n'importe comment, on peut retrouver de la marge de manœuvre pour matraquer moins Français. Ou plus exactement pour leur prendre plus tard. Une démarche à l'italienne, qu'on fait en France au fil de l'eau mais il s'agirait là de l'expliciter, de la revendiquer pour créer un effet signal, de la systématiser. Ce n'est pas ma solution de 1er rang, je préférerais que la BCE fasse son job de stabilisation des perspectives nominales, en amont, pour conjurer récession et japonisation, via un QE2 et un euro moins cher. Aujourd'hui ce qu'il faut éviter surtout c'est l'arrivée de Jens Weinmann qui représenterait un cataclysme pour les années à venir.

Il n'y aura donc pas à court terme de vraies baisses d'impôts, tout au plus du toilettage fiscale, des améliorations à la marge et quelques éléments de langage.

Ce qu'il faudrait faire ? coupler la baisse des impôts avec une relance monétaire ou encore mieux une banque centrale qui finance le tax-cut. Encore mieux, une création monétaire ex-nihilo qui financerait les baisses d'impôts sur le modèle de l'article de Milton Friedman en 1948. Malheureusement il n'y aura pas de coordination monétaire et budgétaire car la BCE n'en veut pas (elle a peur qu'à force de coordination avec le budgétaire elle finisse un jour par être assujettie aux autorités budgétaires c'est à dire avec ces salopards de gens élus par le peuple) ; elle préserve avant tout son indépendance et pas la croissance en Europe (remember 2008, 2011, 1992, etc.).

L'espace qui reste au gouvernement français n'est qu'un espace à la marge donc, sur des points très secondaires, le taux de plastique dans les bouteilles, la régulation de KohLanta. Et ce qu'a annoncé le brave Edouard Philippe dans son discours de politique générale de sous-préfecture ne fait que le confirmer.

Les gens de la macronie qui disent vouloir réduire les impôts plusieurs années de suite de façon substantielle alors qu'ils viennent de renoncer à leur programme d'élimination d'emplois publics, à toucher à la règle des 3% ou à l'idée de secouer le cocotier de la BCE, ces gens là sont forcément des menteurs ou des amateurs. Ils savent qu'à moins d'un retour à une croissance miraculeuse de 3%, cela ne pourra pas se faire ; ça tombe bien car ils n'ont jamais été des partisans de cette politique, comme leurs alliés/ralliés les juppéistes qui ne jurent que par les hausses de TVA depuis leur plus tendre jeunesse, ou les Hulot-Camfin décidés à faire monter les taxes "écologiques" coûte que coûte.  

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