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"Il existe un désir collectif latent
de la catastrophe"
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Sidération

Pour le spécialiste en sociologie des imaginaires Vincenzo Susca, malgré notre obsession du risque zéro, le tremblement de terre du Japon nous fascine aussi parce que les catastrophes sont investies de nos désirs de changements radicaux.

Vincenzo Susca

Vincenzo Susca

Vincenzo Susca est maître de conférences en sociologie à l’Université Paul-Valéry de Montpellier, directeur éditorial des Cahiers européens de l’imaginaire et chercheur associé au Ceaq (Sorbonne). Ses derniers livres sont Les Affinités connectives (Cerf, Paris 2016) et Pornoculture. Voyage au bout de la chair (Liber, Montréal 2017, avec Claudia Attimonelli). Il a aussi publié, entre autres, A l’ombre de Berlusconi (L’Harmattan, Paris 2006), Transpolitica (Apogeo, Milan 2010, avec D. de Kerckhove) et Joie Tragique (CNRS éditions, Paris 2010).

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Quelle est votre réaction face au séisme qui a ravagé le Japon ce vendredi 11 mars ?

Aujourd’hui, l’heure est à la solidarité. Mais il faut aussi rester lucide : il existe une sorte de fascination liée à notre imaginaire pour ces catastrophes.

Celles-ci nous rappellent à quel point les choses peuvent radicalement changer et dans quelle mesure nos vies harmonieuses peuvent être bouleversées. C’est le contraire de l’ennui en tant que peur ancestrale de nos sociétés. C’est la même fascination qui nous pousse à regarder plusieurs fois la même scène télévisée du tremblement de terre survenu au Japon. Un envoûtement trouble, une hallucination consensuelle. L’une des raisons qui nous mène à nous comporter ainsi tient à l’impression qu’il existe quelque chose de l’ordre du naturel, dans la continuité étouffante de la vie, qui peut être brisé. Un double processus se produit : c’est à la fois un échec pour les être humains qui se rendent compte qu’on ne peut pas tout prévoir, que l’humain est limité. Mais en même temps, cela nous libère d’un poids car nous avons le sentiment qu’il y a quelque chose de plus grand que nous, une transcendance. Cela dissout l’arrogance, mais aussi les obligations, induites par la conception d’un être humain tout puissant et au centre du monde. Nous sommes tous renvoyés à un sentiment d’humilité vis-à-vis de notre présence au monde et du rapport entre nous, la nature et ce qui nous entoure. Il y a là quelque chose de divin ou, en tout cas, ce qui nous rappelle que nous ne sommes qu’une particule élémentaire d’un corps qui nous dépasse. En quelque sorte, l’archétype de la rage divine de mémoire ancienne est ici actualisé sous des nouvelles formes et via les nouveaux médias.


Comment expliquez-vous alors le calme relatif des Japonais ?

Tout le monde sait que les Japonais sont habitués aux tremblements de terre. Ils vivent avec ce risque, c’est inscrit dans leur corps et dans leur psychologie profonde. Mais au-delà, souvenons-nous que ce peuple a vécu le traumatisme de la bombe atomique à Hiroshima et Nagasaki. Ils ont donc été agressés par la forme de dévastation la plus totale de l’homme et de la nature. Et ils l’ont « digérée », la catastrophe devenant depuis lors un élément immanent à leur condition existentielle.

Et puis, il faut distinguer les différents types de catastrophes. Une catastrophe qui vient du feu (un volcan), du vent, de la mer ou de la terre provoque des réactions différentes. Quand la terre tremble, il y a une perte de stabilité. Les volcans relèvent plutôt d’un événement qui vient du ciel. Les sensations générées sont différentes.

Les tremblements de terre génèrent une crise de stabilité qui bouscule la psychologie sociale de manière radicale. Ce n’est pas un hasard si la culture japonaise traditionnelle a développé le zen, le judo, le karaté, la méditation, où le calme et l’équilibre prévalent sur d’autres postures. On pourrait envisager que ce soit en partie lié a la nature du rapport qu’ils ont avec les catastrophes ambiantes.

Les choses sont radicalement différentes du côté de Naples ou de Catane, par exemple. Le caractère éruptif des Italiens de ces régions peut être rattaché à leur proximité des volcans du Vésuve et de l’Etna.

Comment se conjuguent l'obsession moderne du risque zéro et notre fascination pour les évènements catastrophiques ? 

Disons qu’il existe une forme latente de désir collectif de la catastrophe, notamment dans les sociétés occidentales : on désire la catastrophe pour achever une condition de vie, un cadre, qui n’est plus en phase avec l’imaginaire sociétal. C’est une pulsion presque carnavalesque, dont la sagesse demeure dans le principe selon lequel le cycle de la vie nécessite de la mort pour être renouvelé et régénéré. Lorsque le corps social est habité, de manière plus ou moins consciente, par l’ambition ou par le fantasme d’une grande subversion, il y a attraction pour les phénomènes qui représentent la destruction radicale de l’existant. Et, bien sûr, ce paysage mental est aussi imprégné par des résonances messianiques…

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