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​Déjà un effet Trump salvateur pour les emplois de l’industrie automobile américaine : un tiers d’espoir, deux tiers de trompe l’oeil
©Reuters

Protectionnnisme

Donald Trump n'aura pas attendu sa prise de fonction pour mettre une grosse pression sur les industriels américains, pour que ceux ci rapatrient leurs activités sur le sol national. Mais les menaces du nouveau roi de Washington ne sont pas les seules raisons de ce mouvement.

Jean-Marc Siroën

Jean-Marc Siroën

Jean-Marc Siroën est professeur émérite d'économie à l'Université PSL-Dauphine. Il est spécialiste d’économie internationale et a publié de nombreux ouvrages et articles sur la mondialisation. Il est également l'auteur d'un récit romancé (en trois tomes) autour de l'économiste J.M. Keynes : "Mr Keynes et les extravagants". Site : www.jean-marcsiroen.dauphine.fr

 

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Atlantico : comment interpréter la décision prise par Ford, de renoncer à un lourd investissement au Mexique, tout en redéployant ses efforts sur le sol américain ? Cette décision est-elle lourde de conséquences pour Ford, peut elle conduire à une perte de compétitivité du constructeur ? Ou est ce que ce revirement signifie qu'une production locale pourrait très bien être amplifiée sans pertes réelles pour  Ford ?

Jean-Marc Siroën : Le Président élu, Donald Trump, a fait pression sur Ford pour dissuader la compagnie d’investir aux Etats-Unis. Il a aussi dénoncé sur un Tweet la fabrication au Mexique d’automobiles de General Motors. En fait, de très nombreuses entreprises américaines, et pas seulement automobiles, s’étaient implantées de l’autre côté de la frontière pour profiter d’une main d’œuvre moins cher. Ce mouvement n’est pas spécifique au commerce entre les Etats-Unis et le Mexique. Partout dans le Monde, la mondialisation commerciale a conduit à fragmenter la « chaîne mondiale de valeur » et à délocaliser les tâches exigeantes en main d’œuvre peu qualifiée dans les pays émergents ou en développement. Ils ont ainsi tiré avantage de leurs salaires relativement bas, mais leur croissance a aussi tiré les exportations, et donc l’emploi, des pays développés. Relocaliser ces activités aux Etats-Unis augmentera mécaniquement le coût des automobiles américaines et accélérera une robotisation qui limitera alors les effets de la relocalisation sur l’emploi. Pour Ford, les effets se partageront entre une hausse du prix des automobiles fabriquées aux Etats-Unis, une perte de compétitivité par rapport à la concurrence étrangère et une érosion des marges alors même que les firmes automobiles sont appelées à investir, notamment pour robotiser les chaînes de montage. Le droit de douane de 35% sur les importations en provenance du Mexique, tel qu’avancé par Donald Trump et qui, d’ailleurs, frapperait aussi les composants américains intégrés dans les automobiles assemblées au Mexique, ne serait que partiellement protecteur. Les Etats-Unis seraient logiquement conduits à taxer également les importations d’automobiles en provenance d’Europe ou du Japon rendues plus compétitives. On entrerait dans une escalade protectionniste dont on voit mal ce que les Etats-Unis et le Monde auraient à gagner.

Selon les experts, les destructions d'emplois aux Etats Unis peuvent conduire à la création de nouveaux emploi sur le même sol, mais de différente nature. Cependant, ne faut il pas porter plus d'attention à ces personnes les moins qualifiées qui voient "leurs" emplois disparaître ? Cette présentation "positive" d'une création nette d'emplois ne cache t elle pas un double mouvement, favorable aux plus éduqués, et défavorable à ceux qui ont le moins de diplômes ?

Que le commerce international entre les pays développés et les pays émergents favorise les travailleurs les plus qualifiés et ceux qui travaillent dans les secteurs exportateurs mais défavorise les moins qualifiés ou les travailleurs des secteurs importateurs, c'est un fait acquis conforme à la théorie, aux analyses empiriques et à la réalité. Ce qui reste incertain c’est son importance car d’autres phénomènes conduisent aux mêmes résultats : le progrès technique, mais aussi entre autres la mobilité des capitaux, les crises financières ou la concurrence fiscale qui conduit à surtaxer les facteurs et les revenus peu mobiles, c’est-à-dire, souvent les travailleurs peu qualifiés et les classes moyennes. De ce point de vue, la baisse du taux d’imposition sur les sociétés promise par Donald Trump favorisera peut-être une relocalisation des activités dont les effets sur l’emploi sont incertains, mais elle conduira aussi à une hausse de la pression fiscale sur les classes moyennes, sauf à accepter un déficit budgétaire intolérable.

Il n’en reste pas moins que si les solutions envisagées par Trump ont toutes les chances d’être contre-productives et dangereuses pour l’économie mondiale, il convient non seulement de réhabiliter les critères d’équité et de justice sociale dans la balance des effets favorables et défavorables du libre-échange mais il est aussi nécessaire de mettre en place des mesures destinées aux « perdants ». 

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Dans quelle mesure Donald Trump peut il continuer en ce sens ? Quels seraient les premières victimes d'un courant, même minime, de "démondialisation" ? Les moins éduqués n'y ont ils pas tout à gagner, même si un tel mouvement se faisait au détriment des plus éduqués ?

Une relocalisation obtenue grâce à la baisse des impôts sur les sociétés et la hausse des droits de douane, a priori favorable aux moins qualifiés, accélérera aussi l’incorporation d’un progrès technique qui leur sera moins favorable. Cette politique n’aura d’ailleurs que des effets limités sur la relocalisation des activités aux Etats-Unis. Celle-ci serait limitée la production destinée au marché américain. Mais les mesures préconisées inciteraient aussi les firmes à délocaliser la production qu’elles exportaient auparavant du territoire national. Et même si des emplois peu qualifiés étaient créées aussi massivement que le promet Donald Trump, les salaires augmenteraient ce qui seulement accélérerait la robotisation et réduirait encore la compétitivité.  Les gains salariaux seraient par ailleurs obérés par la hausse du prix de biens autrefois importés, une pression fiscale accrue pour compenser les baisses accordées aux entreprises et enfin la hausse probable des taux d’intérêt.

Il ne faut pas confondre d’une part la possibilité d’une pause dans le processus de libéralisation commerciale, peut-être souhaitable et, d’autre part une « démondialisation » plus ou moins brutale qui remettrait en cause les spécialisations et les réseaux tissés depuis une trentaine d’années. L’économie mondiale reste trop fragile pour surmonter un tel choc. Quels seraient, par exemple, les risques d’une taxe douanière de 35% sur les exportations mexicaines ? Un déficit courant accompagné d’un désinvestissement massif qui épuiserait très rapidement les réserves mexicaines et provoquerait des faillites bancaires au risque de déclencher, par effet domino, une crise financière mondiale peut-être plus grave encore que celle de 2008. Les grands perdants des crises financières sont toujours les moins favorisés.

Quel que soit l’angle dans lequel on se place, on aura donc du mal à voir dans la politique envisagée par Donald Trump le moindre espoir d’une « démondialisation heureuse ».

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