Atlantico : La première question du sondage Ifop pour Atlantico concerne les motivations du vote des électeurs du Front national. Vous leur avez demandé quelles étaient la raison première, puis les secondaires, pour lesquelles ils votaient pour ce parti. Que ressort-il du questionnaire ?
Jérôme Fourquet : Ce que l’on constate, c’est qu’à deux semaines des élections départementales, différents enquêtes d’opinion montrent que le Front national est toujours en dynamique et qu’il pourrait, éventuellement, arriver en pole-position au soir du premier tour, ou du moins s’installer à un niveau très élevé, aux alentours de 29 ou 30%. C’est inédit, surtout que nous parlons d’un scrutin local qui n’est pas spécialement réputé comme favorable au Front national, celui-ci déploie son potentiel électoral plutôt sur des scrutins nationaux.
Nous souhaitions travailler et réfléchir sur ce qui pouvait encore freiner cette dynamique et empêcher des électeurs de voter Front national, et, au contraire, savoir sur quels ressorts ce vote s’appuyait.
Avec la première question, nous avons exploré un certain nombre d’arguments et de thématiques. Ce qui ressort, c’est que la dimension protestataire de voter demeure toujours très importantes. Elle se place en tête du critère de la première citation, avec 27%. C’est ce qui arrive en tête. Mais, quand on dit que le Front national est d’abord et avant tout un vote protestataire, on voit que cela est à nuancer. Arrive en deuxième position, à 19%, la raison du « partage du constat que fait le parti sur l’état de la France », et ensuite, avec 16%, les questions d’immigration, et 15% sur « ce parti se soucie des gens comme vous ». Si on regarde maintenant sur le total des citations, c’est-à-dire toutes les autres raisons que peuvent donner les électeurs autres que la première, car les gens votent sûrement sur plusieurs critères, la dimension protestataire est égale au constat partagé sur l’état de la France, puis arrive la question de l’immigration et la proximité du Front national par rapport aux gens comme soi. La palette est donc plus large que l’aspect protestataire ou que les simples questions d’identité ou d’immigration.
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Il y a également, la capacité d’être en empathie ou en proximité avec toutes une partie de la population, mais également que la grille de lecture et l’analyse des évènements ou de l’état de la société que le FN propose correspondent à ce que pense l’électeur sur ces sujets. S’intéresser à la seule dimension protestataire est donc paresseux intellectuellement, car on oublie toute une partie du problème. Cela laisse penser que l’on en n’a pas fini avec le Front national, car s’il avait une dimension purement protestataire, on pourrait se dire qu’à partir du moment où les choses s’amélioreront, les moeurs politiques se civilisaient et qu’on abandonnait la politique politicienne, le ressentiment vis à vis de la classe politique traditionnel se dégonflerait, et le vote FN par la même l’occasion.
Or, compte autant, le partage du constat effectué sur l’état de la France. Le FN est là depuis 30 ans, et il a fourni à toute une série de gens, une grille de lecture à laquelle ces derniers adhèrent, et les évènements les confortent dans leur jugement, je pense notamment à la gestion des flux migratoires, aux attentats de janvier. Tout ça se consolide et fait en sorte qu’aujourd’hui, un certain nombre de critiques formulées par des intellectuels, ou des médias, sur le FN, ratent leur cible. Quand on dit « si on sortait de l’euro, grâce à la politique économique du FN, on irait mieux », on voit qu’effectivement ce n’est pas ce programme économique qui motive le plus les électeurs, mais à l’inversement, dire « le programme économique du FN mènera à la ruine » n’est pas vraiment le sujet, car ce n’est pas la raison principale du vote. Le sujet c’est : l’état de la France, comment on en est arrivé là, et la grille de lecture sur ce sujet est fournie par le Front.
On apprend également que la question de l’immigration est un ressort qui continue à fonctionner très bien, par ailleurs on avait ajouté à l’item « les critiques adressées sur certains propos antisémites ou anti-républicains vous paraissent infondées », donc les électeurs assument très bien. Pour ceux qui attaquent le FN, il faudrait donc changer d’angle d’attaque.
Le quatrième ressort le plus puissant est celui qui affirme que « le FN est le parti qui se soucie des gens comme vous », là nous sommes des remarques du type « quand Marine Le Pen parle, je comprends ce qu’elle dit », « elle, elle sait ce que l’on endure et on vit et parle des problèmes quotidiens alors que les autres sont déconnectés de la réalité ». C’est également un registre très important et une vraie marque du Front national que les autres partis ont parfois du mal à répliquer. Cela passe par toute une série de choses : la personnalité des candidats, les angles choisis pour évoquer tel ou tel sujet. Une récente étude qu’on a réalisé et basée sur les données du ministère de l’intérieur sur les profils des candidats qui se présentent aux départementales, montre que, parmi les candidats, du Front national, on trouve le plus de catégories populaires, ouvriers ou employés du privé, alors qu’on n’en trouve quasiment pas dans les rangs du PS, qui fait la part belle aux gens du public, en activité ou en retraite. On voit bien que l’on est sur un vote qui se nourrit et se déploie à partir de plusieurs ressorts, registres ou répertoires. La palette est considérablement élargi, ces leviers se sont consolidés, et c’est également ce qui explique qu’on soit à un niveau aussi élevé aujourd’hui et qu’il n’est pas près de baisser significativement.
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