Charlie Hebdo : ces victimes qui auraient besoin du procès de l’idéologie des terroristes<!-- --> | Atlantico.fr
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Charlie Hebdo police france
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©Reuters

Souffrance éternelle

A l'occasion de l'ouverture du procès de Charlie Hebdo, Sébastien Boussois et Saliha Ben Ali reviennent sur les difficultés pour nos démocraties dans le cadre des procès liés au terrorisme.

Saliha Ben Ali

Saliha Ben Ali

Saliha Ben Ali est fondatrice et directrice de SAVE BELGIUM, auteur de « Maman entends-tu le vent ? Daech m’a volé mon fils ».

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Sébastien  Boussois

Sébastien Boussois

Sébastien Boussois est Docteur en sciences politiques, chercheur Moyen-Docteur en sciences politiques, chercheur Moyen-Orient relations euro-arabes/ terrorisme et radicalisation, enseignant en relations internationales, collaborateur scientifique du CECID (Université Libre de Bruxelles), de l'OMAN (UQAM Montréal) et consultant de SAVE BELGIUM (Society Against Violent Extremism). Il est l'auteur de Pays du Golfe les dessous d’une crise mondiale (Armand Colin, 2019), de Sauver la mer Morte, un enjeu pour la paix au Proche-Orient ? (Armand Colin) et Daech, la suite (éditions de l'Aube).

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Longtemps dans nos démocraties imparfaites qui se croyaient à l’abri de la menace existentielle, il y a eu parmi de nombreux pensés longtemps impensés, celui de la justice pénale en matière de terrorisme de masse. Et en particulier, la décision juridique à prendre lorsque les responsables dont la mort volontaire ou pas avait déjà court-circuité de facto l’idée d’une justice réparatrice pour les victimes. Que peut-on offrir aux victimes de plus qu’un procès si ce n’est la reconnaissance éternelle de la nation via le procès de responsables invisibles ? Certes, il faut juger car ne pas juger est impossible : mais juger quoi et surtout juger qui ? Comment juger en réalité une idéologie avant les actes qui l’illustrent de façon mortifère ? 

Cela se pose à d’autres niveaux. Dans le domaine international, priver les victimes d’actes de violence, de torture, de massacres, d’un véritable procès pour le fond et pour la forme en parvenant à condamner les premiers responsables, devient monnaie courante. Le droit international a ses limites depuis ses fondements. Si par exemple du temps du « procès du Nazisme », Adolf Eichmann, en est devenu l’emblème tout entière à Jérusalem en 1961, et que pour le procès du Rwanda, on a pu retrouver un certain nombre de hauts-fonctionnaires génocidaires, comme Fabien Nerétsé par exemple, ou encore lors de la guerre en Bosnie avec la condamnation de dirigeants serbes de haut niveau, les personnes physiques ne sont pas forcément toujours encore en vie. Pire, on se retrouve de plus en plus souvent avec des procès qui doivent exister mais qui s’acharnent contre ce que l’on pourrait juger comme des seconds couteaux, ou des complices, parfois des gens médiocres, car il nous faut un « responsable » à juger pour l’exemple. Tout le monde paie à son petit niveau mais qui paie pour la diffusion de l’idéologie de mort? Avec des si certes, mais et si Hitler ne s’était pas suicidé dans son bunker avec Eva Braun, aurait-on jamais eu un procès à la hauteur de l’Histoire ? Alors que Slobodan Milosevic, l’ancien dirigeant nationaliste serbe, était sur le point d’être jugé pour crimes de guerre et génocide, on le retrouva mort dans sa cellule. Quelques signes d’espoir tout de même et de réparation pour d’autres victimes : Ratko Mladic lui, l’ancien chef des Serbes de Bosnie était condamnée à la perpétuité par le Tribunal Pénal International pour l’Ex-Yougoslavie. Idem après la condamnation d’Anders Behring Breivik, terroriste d’extrême-droite responsable de la mort de 77 personnes en 2011 en Norvège, ou Brenton Tarrent, terroriste australien condamné récemment à la prison à perpétuité pour avoir assassiné 51 musulmans en 2019 dans des mosquées. 

Mais comment faire payer pour la machine tout entière et pas seulement les rouages ? Dans un autre « domaine », alors que le prédateur sexuel Jeffrey Epstein, était incarcéré pour proxénétisme sur mineures, on le retrouva peu de temps après suicidé dans sa cellule avant le début de son procès. Saura-t-on jamais les noms des vrais clients qui semblaient tous très haut placés afin de commencer à rendre justice aux victimes ? Sans donner raison aux complotistes qui jouissent toujours vite et fort des morts suspectes, nous devons nous interroger sur l’état psychologique des victimes directes ou indirectes de tous ces drames, de leurs proches survivants, face à ces procès de l’ombre où les principaux accusés disparaissent subitement et se soustraient aux lois de la justice humaine. Epstein mort, la justice s’abat désormais sur sa principale collaboratrice, Ghislaine Maxwell. Est-ce ce que veulent vraiment ses victimes ? Comment faire son deuil dès lors ? 

Les exécutions sommaires ou morts trop rapides nous privent de ce travail indispensable de justice humaine plutôt que divine. Il en fut de même avec Oussama Ben Laden, accusé d’avoir fomenté les attentats du 11 septembre 2001, et qui fut tué plutôt que d’être confronté à un vrai procès équitable, ou comme l’ancien dictateur Mouammar Kadhafi assassiné en Libye sans avoir pu livrer tous ses secrets ou même le président Morsi en Egypte, mort en prison sans avoir pu livrer sa version finale. Des millions de personnes basculent dans l’abysse d’un deuil impossible chaque jour dans le monde et une frustration éternelle parce qu’il n’y a plus personne à condamner. Être victime aujourd’hui de terrorisme, spécifiquement islamiste, c’est au minimum encourir la double peine : être frappé par le hasard car le terroriste frappe souvent à l’aveugle, et en cas de survie, ne pas voir le coupable puni pour ses actes. Car hélas dans l’idéologie djihadiste, on choisit la mort après son acte. A chaque fois qu’un terroriste est abattu avant, mais a-t-on toujours le choix, ce sont de nouvelles âmes en peine qui vivront à vie la déchirure entre l’avant et l’après.  

Ces jours-ci, l’ouverture des premiers procès djihadistes à Paris de la vague de 2015 avec celui de Charlie Hebdo, après celui de Mohamed Merah en 2017 jugé pour les attentats de Montauban et déjà mort, pose les mêmes questions. Pourquoi tout cela ? Alors que beaucoup de victimes peinent encore en France à recevoir des indemnités et être aidés concrètement par l’État depuis cinq ans, de tels procès fleuves ne sont-ils pas provocants en termes de débauche financière et matérielle ? Face au vide, toutes les victimes en demandent-elles tant vu la situation ubuesque ?   Alors que les principaux responsables sont déjà morts ? Apparemment pas forcément. Preuve en est, la justice s’engage dans des procès fantômes dont les chiffres donnent pourtant le vertige : pour Charlie Hebdo, Montrouge et l’hyper-casher, 49 journées d'audience prévues du 2 septembre au 10 novembre prochain. Le dossier d'instruction compte 171 tomes de procédure, et concerne 14 prévenus dont les trois principaux sont déjà morts : Ahmed Coulibaly, et les frères Kouachi. 94 avocats figurent au dossier. Retour sur les faits : le 7 janvier 2015, les frères Kouachi, attaquent la rédaction de l'hebdomadaire Charlie Hebdo à Paris, tuant 12 personnes avant de s’enfuir. Le 8 janvier, c’est au tour d’Amédy Coulibaly de tuer une policière à Montrouge, puis, le 9 janvier, d’assassiner quatre hommes, tous juifs, dans la prise d’otages du magasin Hyper Cacher à Saint-Mandé. Il est mort sur place alors que les frères Kouachi seront finalement abattus dans une imprimerie où ils s'étaient retranchés, à Dammartin-en-Goële (Seine-et-Marne). Les principaux responsables une fois encore ne sont plus. 

Comme souvent, on juge donc les complices, ce qui est important, mais est-ce si essentiel ? Et ce n’est que le début de la liste : il en sera de même avec les attentats de Paris du 13 novembre 2015 prochainement, où Salah Abdeslam, « prendra » pour tous ses collègues qui ont été jusqu’au bout de leur expédition assassine d’une nuit. Mais ce bras cassé peut-il prendre pour tous ? Quel sens ? Idem lorsque le procès des attentats de Bruxelles débutera alors que des victimes directes réclament toujours une aide de l’Etat belge, et ce quatre ans après. Mais ne devrait-on pas faire « pour l’exemple » un procès global de l’idéologie, de nos failles aussi, car elle est à la racine de tout ? Mais comment, c’est cela la question. Y répondre, c’est peut-être entamer un processus plus profond de résilience et de reconstruction de nos sociétés déchirées depuis toutes ces années. 

Ce texte est le regard d’un intellectuel et ne représente strictement aucune des victimes ou aucun de ses avis. 

Par Sébastien Boussois, chercheur en sciences politiques associé au CECID (ULB Bruxelles)

 et Saliha Ben Ali, fondatrice et directrice de SAVE BELGIUM, auteur de « Maman entends-tu le vent ? Daech m’a volé mon fils »

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