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Alerte (gilets) jaune(s) : 66% des Français pensent qu’une explosion sociale est possible et 71% qu’elle serait de nature à contraindre le gouvernement à changer de politique -
©PHILIPPE HUGUEN / AFP

Info Atlantico

Selon ce sondage IFOP exclusif pour Atlantico, la mobilisation du 17 novembre s'inscrit dans un contexte particulier par rapport à d'autres contestations passées. Ce ne sont pas moins de deux tiers des Français qui s'attendent à une explosion sociale.

Jérôme Fourquet

Jérôme Fourquet

Jérôme Fourquet est directeur du Département opinion publique à l’Ifop.

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Atlantico : 66% des Français considèrent que la France peut connaître une explosion sociale, une tendance dans la moyenne des sondages précédents. Cependant, on note que 75% des non-LREM ont ce sentiment. Qu'est-ce qui explique ces chiffres ?  

Jérôme Fourquet : Effectivement, l'IFOP pose cette question depuis une 20e d'année, et nous sommes toujours à peu près sur un diagnostic d'explosivité de la situation sociale, ce qui est peut-être une maque de fabrique du pays, même si les conflits sociaux de grande ampleur ne sont pas si fréquents que cela. Mais il y a quand même ce sentiment largement diffusé dans le pays que nous sommes à deux doigts d'une explosion sociale. Dans le même registre, nous avons régulièrement des annonces relatives à la sempiternelle rentré sociale, mais cet adage de ne se vérifie pas. Mais la situation actuelle est-elle pour ainsi dire banalement classique ? Je ne le pense pas. Il y a un certain nombre de spécificités dans cette mobilisation des gilets jaunes, par rapport à d'autres contestations passées, et par-delà le dénominateur commun du carburant et l'idée de réaliser la fameuse convergence des luttes espérée par certains, il apparaît que cette question du carburant est considérée comme la goutte d'eau qui a fait déborder le vase. Il est donc intéressant de relier ce sentiment là avec nos données d'enquêtes qui montrent que depuis deux décennies, nous avons deux tiers des Français qui s'attendent à une explosion sociale. Et si certains la redoutent, d'autres l'attendent et la souhaitent. Il faut être prudent, mais peut-être sommes nous arrivés là à une espèce de point d'inflexion, à une cristallisation, ou, pour diverses raisons, une colère rentrée qui s'est accumulée dans certaines catégories de la population depuis des années trouve aujourd'hui un exutoire dans cette mobilisation qui reste, il faut le dire, relativement paisible. Il n'est pas exclu que l'on ait beaucoup de monde samedi sur les ronds-points de France, en revanche, la mobilisation ne prend pas des formes radicales ou violentes. Pour autant, elle traduit sans doute un degré d'exaspération diffus qui s'est condensé progressivement depuis une 20e d'année dans notre société avec l'idée que la vie quotidienne est de plus en plus difficile, que la multiplication des taxes et des prélèvements contribue à ces difficultés, et que tout cela est lié aussi au fait qu'il y a une déconnexion manifeste entre des élites qui prennent les grandes décisions et qui mènent les politiques publiques et le Français moyen dont la vie quotidienne et ses difficultés sont totalement étrangères à cette élite. Ce qui se noue avec ce mouvement c'est ce sentiment de n'être ni compris, ni entendu, ni représenté, par personne. C'est ce qui fait la spécificité de cette période et qui pourrait lui permettre d'exprimer ce potentiel d'explosion sociale que les Français diagnostiquent sans jamais qu'il se traduise concrètement depuis 20 ans.

Une autre spécificité de ce mouvement spontané est qu'il n'a pas de leader et qu'il n'a pas de revendications claires ou facilement exhaussables. Ce qui est un problème pour l'anticipation de la suite des événements. Les bonnets rouges avaient une revendication claire avec l'écotaxe et les portiques, c'est le cas du bras de fer. Mais ici, cela est totalement différent. Il n'y a personne pour dialoguer, et on ne sait pas ce qu'il faut faire parce qu'il s'agit de l'expression d'un ras le bol général. Il est donc difficile de répondre à cela, rapidement et par le biais de quelques annonces concrètes. C'est donc un problème pour tout le monde, parce que le gouvernement n'aura pas forcément de prise directe à actionner. On ne sait pas non plus sur quelles bases les manifestants considéreront qu'ils ont été entendus ou que la mobilisation a porté ses fruits. Ce mouvement peut donc être assimilé à la forme prise par Nuit Debout, sans leader, et sans revendication claire, mais avec une différence sociologique, géographique, et d'ampleur. Personne ne sait comment le mouvement va rebondir. Le rendez-vous sera samedi soir, à l'issue de cette mobilisation, pour savoir ce qui se dit sur les ronds-points de France sur la suite à donner au mouvement.

Le clivage politique semble plus marqué que les clivages sociologiques du sondage, les résultats étant toujours les plus faibles concernant les électeurs LREM avant toutes les autres catégories. Faut-il encore interpréter ce résultat comme étant le signe d'un parti LREM incarnant la France qui va bien ?

Je fais un saut sémantique entre le diagnostic et le souhait, mais cela n'est pas par hasard. On voit bien que les publics qui le diagnostiquent le plus sont ceux qui ont objectivement le plus intérêt à ce que cela se produise. Ce sont les oppositions les plus radicales qui le pronostiquent le plus. Cette vague d'enquête ne déroge pas à cette règle puisque nous avons 80% des sympathisants des Insoumis et du Rassemblement national qui pronostiquent cette explosion sociale, 66% au PS et 76% chez les LR, et nous ne sommes qu'à 31% des LREM. Ce 31% est intéressant également parce que bien évidemment il y a un réflexe partisan assez classique, mais ce sont aussi des publics plus urbains, plus diplômés, plus à l'aise financièrement et donc plus à l'abris des difficultés de la vie quotidienne mais également de la question du carburant dont ils sont moins dépendants parce que beaucoup d'entre eux résident dans les grandes métropoles. C'est ce qui peut aussi expliquer pourquoi le pouvoir n'ait pas vu venir ce mouvement et son ampleur. Il faut être objectif et impartial, cette mobilisation qui a été initiée par des quidams était passée, au début, totalement en dessous des écrans radar. Cela étant, nous avions, nous, des signes avant-coureurs lorsque l'on a vu le succès de la mobilisation contre les 80 Km/h. Cette cécité du gouvernement est peut-être due aussi parce que ce dernier évolue dans des milieux, les sympathisants LREM en étant la force constituante, qui sont globalement et collectivement assez éloignés de ce type de problématiques. En on en voit bien là l'illustration parce qu'ils sont totalement à front renversé par rapport au reste de la population française. Nous avons à nouveau ici ces deux France, une France plutôt macronienne qui pense que l'urgence c'est plutôt le rétablissement des comptes publics et la transition écologique, et une France des oppositions qui va être beaucoup plus sensible, en tous cas en termes d'agenda immédiat, à la question de la préservation du pouvoir d'achat. C'est un peu le déphasage qui s'était illustré avec les propos de Benjamin Griveaux sur la France de Wauquiez qui fume des clopes et qui roule au gasoil.

71% de ces Français qui pensent que la France risque une explosion sociale considèrent qu'un tel scénario serait de nature à contraindre la politique du gouvernement, dont 52% des électeurs LREM et 63% des électeurs de premier tour d'Emmanuel Macron. Faut-il voir ici une prise de conscience que le point de rupture est proche ? 

Parmi ceux qui diagnostiquent un risque d'explosion sociale – le terme est fort – une très grande majorité, 71%, anticipent même une crise de première grandeur puisqu'elle serait de nature à contraindre le gouvernement à changer de politique. Ce n'est donc pas une petite péripétie qui est attendue par les Français qui émettent ce jugement-là. Bien évidemment, on constate encore une fois que les électeurs LREM relativisent davantage ce risque puisqu'ils ne sont qu'un tiers à penser que l'on est à la veille d'une explosion sociale et parmi ceux qui le pensent, il y en la moitié qui pensent que cela serait de nature à entraver le chemin du gouvernement, et l'obliger à suivre une politique différente. Il y a donc bien une perception spécifique des électeurs LREM par rapport à tous les autres électorats français. Néanmoins, une part d'entre eux est assez soucieuse, et cette relative inquiétude s'explique sans doute par l'accumulation de difficultés qui ont accablé le gouvernement depuis quelques mois et aussi par le succès potentiel qu'a commencé à engranger ce mouvement des gilets jaunes. 800 000 pétitionnaires, 700 points de mobilisation qui sont d'ores et déjà répertoriés un peu partout en France ; il y a quand même de quoi se rendre compte que l'alerte est relativement sérieuse.  

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