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Joe Biden prononce une brève allocution depuis la Maison Blanche. Le président des Etats-Unis organise un Sommet de la démocratie le 9 et le 10 décembre.
Joe Biden prononce une brève allocution depuis la Maison Blanche. Le président des Etats-Unis organise un Sommet de la démocratie le 9 et le 10 décembre.
©CHIP SOMODEVILLA / GETTY IMAGES NORTH AMERICA / Getty Images via AFP

Recul des libertés

Prenant le contre-pied de Donald Trump, Joe Biden organise un Sommet de la démocratie ces 9 et 10 décembre. 110 dirigeants de pays ont été invités en distanciel afin de structurer une réplique au modèle autoritaire incarné par Pékin et Moscou. Mais qui croit encore vraiment à la liberté ?

Edouard Husson

Edouard Husson

Universitaire, Edouard Husson a dirigé ESCP Europe Business School de 2012 à 2014 puis a été vice-président de l’Université Paris Sciences & Lettres (PSL). Il est actuellement professeur à l’Institut Franco-Allemand d’Etudes Européennes (à l’Université de Cergy-Pontoise). Spécialiste de l’histoire de l’Allemagne et de l’Europe, il travaille en particulier sur la modernisation politique des sociétés depuis la Révolution française. Il est l’auteur d’ouvrages et de nombreux articles sur l’histoire de l’Allemagne depuis la Révolution française, l’histoire des mondialisations, l’histoire de la monnaie, l’histoire du nazisme et des autres violences de masse au XXème siècle  ou l’histoire des relations internationales et des conflits contemporains. Il écrit en ce moment une biographie de Benjamin Disraëli. 

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Charles Reviens

Charles Reviens

Charles Reviens est ancien haut fonctionnaire, spécialiste de la comparaison internationale des politiques publiques.

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Atlantico : Prenant le contre-pied de Donald Trump, Joe Biden organise un Sommet de la démocratie ces 9 et 10 décembre. 110 dirigeants de pays ont été invités en distanciel afin de structurer une réplique au modèle autoritaire incarné par Pekin et Moscou. Mais lorsque l’on regarde l’état des démocraties et des libertés dans ces dernières, le monde libre se porte-t-il si bien que cela ? Qui sont les pays vraiment libres et démocratiques si l’on en croit les indicateurs ?

Edouard Husson : En fait, la démocratie est dans une crise profonde, en particulier en Amérique du Nord et en Europe. Lorsque Donald Trump appelait à lutter contre la Chine, il était crédible. Il parlait au nom d'un gaullisme américain; il avait été élu par toutes les classes sociales et se préoccupait de refonder les classes moyennes, de faire redémarrer le melting-pot américain. Biden, lui, est l'expression d'une classe WASP corrompue, profondément éloignée du peuple américain (on n'a pas oublié Nancy Pelosi faisant une vidéo en pleine campagne présidentielle de Biden pour montrer les trente-six sortes de glace au chocolat que contenait son congélateur dernier cri), s'appuyant sur les GAFAM pour manipuler l'opinion, réduire la liberté d'expression et faire avancer le capitalisme de connivence. Un des plus sûrs marqueurs de bonne santé ou non d'une démocratie, c'est la liberté de discussion et l'éthique scientifique sur les campus universitaires. Or elle sont en pleine déroute. La plupart des campus universitaires occidentaux sont devenus des pépinières de "Gardes Rouges" où l'on pratique la chasse aux sorcières. En réalité, cela fait des années que les "sciences humaines" sont rongées par la politisation gauchiste. Quant à l'éthique de la recherche, la période du COVID a fait ressortir au grand jour qu'une partie de la production scientifique (médicale en l'occurrence) était frauduleuse, prête à démolir la réputation de traitements efficaces contre un virus parce qu'ils ne correspondent pas à l'agenda de Big Pharma. En fait, la démocratie est profondément rongée par l'argent surabondant que produisent nos banques centrales: au lieu d'avoir une isocratie (gouvernements des égaux) fondée sur une classe moyenne solide dont la richesse provient d'une monnaie saine, on a une oligarchie fondée sur une monnaie qui aurait depuis longtemps produit de l'inflation si elle n'avait pas été concentrée entre un petit nombre de formules qui manipulent la démocratie à leur gré.

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La liste des 110 pays initialement invités est particulièrement intéressante puisque qu’on y retrouve l’Amérique latine (sauf Cuba et Venezuela), les membres de l’Union Européenne et de l’OTAN (sauf la Hongrie…), l’Afrique australe, l’Asie du Sud et l’Océanie. Bien entendu manquent à l’appel les trois grands rivaux stratégiques Chine, Russie et Turquie.

Cette initiative s’articule dans la politique étrangère de Joe Biden visant à réparer les alliances américaines après le America First trumpien afin que les Etats-Unis retournent à une position de partenaire fiable parmi les démocraties (les Français apprécieront avec l’accord AUKUS et ses conséquences sous-marinières). Il s’agit de faire face aux défis chinois et russe comme l’était également le projet d’alliance entre les pays occidentaux et les grandes démocraties asiatiques (Inde, Japon, Corée du Sud) dans l’alliance démocratique D10 promu par Boris Johnson puis Joe Biden.

On est donc loin de l’âge d’or post 1989 et la chute du mur de Berlin posé par le livre de Francis Fukuyama sur la fin de l’Histoire, puisqu’il y a dans cette initiative une dimension clairement défensive de la part des Etats-Unis : concurrence économique et technologique de la Chine (en vingt ans le PIB américain a doublé mais le PIB chinois a été multiplié par dix), concurrence stratégique mondiale ou régionale de la Chine, de la Russie et de la Turquie. En outre et comme cela expliqué après, tout n’est pas rose dans le monde démocratique.

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Certains observateurs soulignent la tentation du centrisme autoritaire, et des atteintes à la démocratie commises au nom de cette dernière par ceux qui devaient en être les hérauts. A quel point cela joue-t-il dans la situation actuelle ?

Edouard Husson : En fait, le centrisme finit toujours dans l'autoritarisme puisqu'il prétend abolir la lutte entre une droite et une gauche. Le centrisme veut abolir le débat, donc la démocratie. La démocratie vit de la controverse. C'est grâce à cette controverse que toutes les classes sociales peuvent être intégrées au débat démocratique. Ce à quoi nous assistons depuis le milieu des années 2000, c'est l'émergence d'un "élitisme", l'unification politique de la classe dirigeante, qui produit en réaction un populisme, le refus du débat droite-gauche et donc de l'intégration des classes populaires au débat national. Lorsque Donald Trump conquiert le Parti Républicain pour le rouvrir au vote populaire, lorsque Boris Johnson prend fait et cause pour le monde ouvrier et la petite bourgeoisie, lorsqu'Eric Zemmour dit vouloir réconcilier la bourgeoisie patriote et les classes populaires, ils font du bien à la démocratie car ils refondent une droite. Ce qui est frappant, c'est l'abandon par tous les partis de gauche de la cause du peuple. Les Démocrates ne se cachent même plus d'être le parti de l'oligarchie WASP prédatrice et impériale; le Labour de Jeremy Corbyn a défendu le Remain; en France, regardons comme les écologistes ne parlent qu'aux bobos, Mélenchon sape les bases de son programme républicain de gauche par la défense des "réformes sociétales" et de l'islamo-gauchisme; et comme Anne Hidalgo incarne l'agonie du socialisme français. Lorsqu' Arnaud Montebourg fait la proposition de bon sens de contrôler les flux d'argent envoyés par les étrangers dans leur pays d'origine, il se fait agonir par toute la bien-pensance et finit par s'excuser ! 

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Charles Reviens : L’époque est marquée par un affaiblissement importance de la démocratie libérale classiques telle que formalisée par Locke et Montesquieu : existence pour les individus de droits universels inaliénables, importante centrale de la liberté d’expression et du débat, souveraineté et légitimité du peuple. Plusieurs évolutions majeures ont commencé à remettre en cause voire à saper les fondement classique. Il y a le débat porté par exemple en France par Eric Zemmour sur l’influence croissante des juges et des médias dans l’action publique, la question des GAFAM qui influent de façon majeure dans la vie publique ans la vie publique (fermure ou limitation de l’accès à certaines contenus), voir la légitimation de fait d’une certaine violence politique, notamment celle d’extrême gauche des deux côtés de l’Atlantique. On voit enfin apparaître sur les mêmes rives des législations visant à combattre « la haine » qui légitime des restrictions inédites de la liberté d’expression.

Sur le « centrisme autoritaire », cette expression correspond bien à la configuration française qui combine :

  • le positionnement politique de l’actuelle majorité présidentielle et législative ;
  • le système institutionnel français qui donne au Président de la République des prérogatives qui n’ont aucun équivalent dans les autres pays occidentaux tout en s’appuyant sur un mode de scrutin (suffrage uninominal à deux tours pour les élections présidentielles à deux tours) garantissant à la plus grosse minorité d’avoir tous les moyens de décision ;
  • l’attrait de l’actuelle majorité pour l’encadrement de liberté d’expression, comme en attestent la loi sur les fake news ou la tentative de loi Avia combattant « la haine en ligne ».

Avec la tentation d’un modèle de démocratie illibérale et les atteintes à la liberté menées au nom de la lutte contre le Covid, croit-on toujours à la démocratie et à la liberté dans le monde "libre" ? Que faire face à cette tendance ?

Edouard Husson : Je ne sais pas ce qu'est la démocratie illibérale, à part l'utilisation du terme, par défi, en Hongrie ou ailleurs. Je vois des démocraties conservatrices, effectivement, comme la Hongrie ou la Pologne, qui se portent mieux que la plupart des "démocraties libérales"; tout simplement parce qu'elles défendent la nation, qui est le terreau dans lequel la démocratie s'enracine et prospère. Il y a bien des démocraties libérales qui subsistent: la Suède en est un des rares exemples, qui ne s'est pas laissé dicter une politique sanitaire par ses voisins ni par les grandes organisations internationales. La manière, d'ailleurs, dont tant de pays ont mis en place des mesures liberticides sous prétexte de lutter contre l'épidémie de COVID nous met sur la voie de la cause première de la crise de la démocratie: la séparation entre la démocratie et la souveraineté nationale. Les chefs d'Etat et de gouvernement passent aujourd'hui beaucoup plus de temps ensemble, au sein de l'UE, du G20, qu'avec leur propre peuple. Les hauts-fonctionnaires de chaque pays rêvent d'une carrière dans les grandes organisations internationales. La démocratie va mal parce qu'on a voulu la déraciner. 
Charles Reviens : Les circonstances de la pandémie covid-19 ont accentué les tendances restrictive à l’œuvre. Dans son analyse annuelle de la démocratie publiée début 2021, the Economist concluait que 2020 avait été une bien mauvaise année pour la démocratie avec un recul inédit des libertés publiques notamment du fait des multiples confinements généraux, par exemple en France devenue de ce fait une démocratie défaillante. Le score global de l’étude (5.37) était le plus bas depuis la création de l’index.

Cette évolution est cohérente avec d’autres analyses : Fondapol constate une fragilisation de la croyance dans la démocratie, de fait plus forte dans la « société de défiance » qu’est la France : 39% des Français interrogés pensent que « d’autres systèmes politiques pourraient être aussi bons que la démocratie », contre 32% dans l’Union européenne et 33% dans l’ensemble des 42 démocraties étudiées par Fondapol.

De même le thinktank Pew Research conclut qu’une part importante de la population n’est plus satisfaite de la façon dont la démocratie fonctionne, qu’elle ne « délivre » plus les service ou les avantages qu’on attend d’elle et que deux tiers de la population demande des transformations importantes en Italie, Espagne, Corée du Sud, Grèce, Belgique, Japon… et bien entendu en France.

Cette déception démocratique conduit à deux directions opposée : à la fois des demandes de renouvellement de la démocratie participative et de la démocratie directe (combinée pour certains par un combat des excès du gouvernement des juges ou du pouvoir médiatique), mais également une remise en cause plus profonde de la pertinence structurelle de la démocratie conduisant au retour de la passion triste de la servitude volontaire.

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