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Comment l’Allemagne a-t-elle pu 
ne pas voir que mettre la Grèce 
sous tutelle ferait perdre 
son âme à l’Europe ?
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Intoxiqué par la crise

Lors du sommet européen de lundi, le gouvernement allemand s'est attiré des critiques en proposant de placer le gouvernement grec sous tutelle. Pour Angela Merkel, contrôler la mise en œuvre et le respect des règles budgétaires semble être le préalable à la relance de la croissance européenne.

Jean-François Jamet

Jean-François Jamet

Jean-François Jamet est économiste, porte-parole d'EuropaNova, et enseigne l'économie politique de l'Union européenne à Sciences Po.

Il est l'auteur de L'Europe, la dernière chance ? (co-écrit avec Guillaume Klossa) et L'Europe peut-elle se passer d'un gouvernement économique ?

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Atlantico : Les dirigeants européens se sont retrouvés lundi pour leur premier sommet de l'année. L'Allemagne laissait entendre dimanche qu'elle songeait à placer la Grèce sous tutelle budgétaire européenne, avec droit de veto sur les décisions du gouvernement. Si cette voie semble pour le moment mise de côté, comment expliquer qu'elle ait pu être évoquée ? L'Europe aurait-elle perdu ses vertus démocratiques ?

Jean-François Jamet : La démocratie a une signification centrale dans le débat actuel pour une raison simple : dans un contexte de crise, on éprouve toutes les difficultés à faire respecter des règles que les États membres s'étaient librement données. En particulier celles du pacte de stabilité et de croissance. On trouve également toutes les difficultés à débattre démocratiquement des solutions apportées, ainsi qu'à trouver un moyen de se mettre d'accord sur la mise en oeuvre des solutions préalablement débattues.

Le système qui prévaut aujourd'hui est le débat inter-gouvernemental entre les diplomaties des États membres, puis entre les chefs d'État. Les sommets sont précédés de balais diplomatiques qui préparent la réunion des chefs d'État, qui ne permet elle que d'apporter les dernières "retouches" aux accords européens. Ce système pose un problème du point de vue du débat démocratique sur les idées en présence. En effet, le débat se fait avant les sommets par diplomaties interposées, et par fuites dans la presse entre pays interposés. Ensuite seulement, les décisions elles-mêmes s'établissent sur la base des règles du Conseil de l'UE, soit par le consensus ou l'unanimité, voire la quasi unanimité, quand le Royaume-Uni se met par exemple en marge.

On voit bien toute la difficulté d'un système qui à la fois paraît le plus légitime à certains niveaux, et discutable à d'autres. Les chefs d'État ont ainsi une légitimité démocratique indéniable dans leurs pays respectifs, mais qui pose problème quand il s'agit de prendre des décisions en commun. En particulier pour des propositions comme celles de mise sous tutelle de la Grèce, puisque cela donne l'impression que la souveraineté démocratique est remise en cause par un gouvernement qui n'a pas été élu par les Grecs, et fait figure d'impérialisme. Il faut éviter cela, notamment en essayant d'instaurer en Europe plus de démocratie et de fédéralisme, car l'un ne peut pas aller sans l'autre.

La proposition allemande se justifiait-elle, sur le plan économique, comme un mal nécessaire ?

Désigner un commissaire européen susceptible de poser son véto à n'importe quelle décision de dépense en Grèce. Est-ce un mal nécessaire ? Non, au sens où il est hors de question que les Grecs ne puissent pas participer à une décision budgétaire les concernant. Cela est consacré par un principe fondamental dans les démocraties occidentales : "On ne décide pas des questions budgétaires en-dehors de la consultation démocratique de ceux à qui ces mesures vont s'appliquer".

Est-ce que pour autant, il ne faut pas de décisions au niveau européen ? Non, bien entendu. Il faut que les décisions européennes ne soient pas des décisions qui privent les Grecs de toute marge de manœuvre.

Dans ces conditions, comment l'Europe peut-elle gérer l'impossible défi du sauvetage grec ? 

Pour contraindre les pays comme la Grèce, il y a déjà des mécanismes mis en œuvre, avec par exemple le paquet sur la gouvernance économique, le "six pack". Les pouvoirs d'audits sont ainsi renforcés. Et enfin, dans le cadre de l'aide dont bénéficie la Grèce, il y a un certain nombre de conditions qui sont fixées. Ensuite, est-ce que ces conditions sont bien respectées et est-ce qu'on peut les faire respecter ? Il y a là l'enjeu de la vérification des réformes conduites par la Grèce, où la Commission européenne et le FMI sont supposés faire ce travail. Mais si les États européens ont le sentiment que les conditions ne sont pas respectées, à eux d'avoir l'engagement crédible de ne pas continuer d'aider la Grèce.

Reste enfin que l'Allemagne, avec son pacte budgétaire, veut inscrire directement dans les législations nationales un certain nombre d'engagements de nature constitutionnelle, qui lieraient les États membres eux-mêmes. Pourquoi ? Parce-que l'Allemagne n'a pas confiance dans les règles européennes, vérifiées uniquement par la Commission et soumis ensuite à une décision du Conseil de l'UE. Le pacte de stabilité était de cette nature, mais n'a pas été respecté. Avec le pacte budgétaire, l'Allemagne veut un contrôle exercé par la Cour de justice de l'UE (CJUE), et elle veut que les États membres se dotent également de règles qui soient de nature constitutionnelle, de façon à ce qu'elles s'imposent aux Parlements des États. 

Mais c'est tout à fait différent d'un commissaire imposé de l'extérieur, qui ferait de l'ingérence quotidienne dans les décisions budgétaires des États.          


Serait-ce forcer le trait que de craindre une révolte du peuple grec contre l'institutionnel européen si ce dernier s'acharne contre lui ?

Ce qui est plus à craindre à mon sens, c'est que la Grèce puisse décider de faire défaut unilatéralement, et de ne pas honorer ses engagements financiers à la fois vis à vis des créanciers privés, mais aussi publics (BCE et certains États membres).

C'est d'ailleurs parce que la Grèce dispose de cette menace, avec la perspective d'une crise financière généralisée (déclenchement des contrats d'assurance, les CDS), qu'elle est aujourd'hui en mesure de résister aux pressions extérieures de réformes. Et peut donc se permettre de réformer plus lentement.

Attention donc que le gouvernement grec ne fasse pas le choix unilatéral d'un défaut de paiement qui, dans ces conditions, ne serait pas ordonné.

La République tchèque a rejeté lundi le pacte sur la discipline budgétaire. La Pologne avait menacé de ne pas le signer. Le risque de fracture au sein de l'UE est-il réel ?

Ce risque de fracture, il est déjà là en pointillé depuis un certain temps. Finalement, la question est la suivante : à quel niveau doit-on aller plus loin dans l'intégration économique et politique, de façon à gérer de façon crédible la crise ? Selon que vous apportez comme réponse la zone euro, la zone euro + ou l'Union européenne dans son ensemble, le format n'est pas le même, comme les possibilités de parvenir à un compromis.

L'enjeu de la forme me semble moins important que celui du contenu du gouvernement économique européen et du pacte budgétaire en lui-même. C'est donc regrettable que le sommet de lundi ait été freiné pour des questions de forme. 

De nombreuses voix se sont élevées contre la proposition allemande de mettre la Grèce sous tutelle. Avec ce genre de position, l'Allemagne pourrait-elle s'isoler en Europe ?

A différents moments de la crise, l'Allemagne a fait des erreurs diplomatiques, celle-ci en est une. Elle en avait fait une similaire durant les premiers développements de la crise grecque. Début 2010, elle avait indiqué qu'il fallait que les pays de la zone euro soient en capacité d'exclure un de leurs membres. Cela visait clairement la Grèce à l'époque.

Là, elle a proposé de la mettre sous tutelle. On voit bien que ce que l'Allemagne a essayé d'obtenir avec le Conseil, c'est l'assurance de pouvoir contrôler la mise en œuvre et le respect des règles budgétaires. Mais sur la forme, elle commet une erreur, car chaque citoyen européen a le sentiment que l'Allemagne veut pouvoir décider pour les autres, et ce sans qu'ils ne puissent avoir leur mot à dire sur les mesures qui lui seront appliquées. C'est maladroit, cela fait peur, et participe d'un sentiment de germanophobie. Angela Merkel a d'ailleurs essayé d'éteindre le plus vite possible l'incendie, mais il est malheureusement clair qu'elle veut se concilier avec une opinion publique allemande très défiante vis à vis de la Grèce, et qui n'est pas prête à aller plus loin sans un maximum d'assurance.

Angela Merkel a essayé avec ce sommet d'aller le plus loin possible. Elle a voulu tester les "eaux européennes", mais finit par retirer sa proposition. Le pacte budgétaire reste la forme la plus aboutie de ce qu'on peut imposer aux États membres en termes d'austérité. Et maintenant, il va être question pour la Chancelière de définir ses positions. Il s'agissait donc de rassurer en Allemagne, pour pouvoir ensuite proposer en contre partie en faveur de la croissance européenne, et peut-être même d'accepter un début d'eurobonds (émissions obligataires européennes).

Propos recueillis par Franck Michel

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