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Sexe : pourquoi la nudité de votre partenaire vous fait perdre vos moyens
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Trouble

Le corps nu de l'autre est sublime. C'est ce qu'affirment Francis Métivier et Ovidie. Sublime au sens kantien du terme, c'est-à-dire beau et infiniment grand mais aussi naturellement puissant et terrifiant... Extrait de "Sexe Philo" (1/2).

Francis Métivier Métivier et Ovidie

Francis Métivier Métivier et Ovidie

Francis Métivier est Docteur en philosophie, enseignant en Lycée et dans le supérieur. Spécialiste de questions d'esthétique et d'éthique, il a écrit sur des sujets aussi variés que Le Concept d'amour chez Kierkegaard, Rabelais ou le vin.

Ovidie est réalisatrice, écrivaine et productrice de cinéma.  Elle est également une ancienne actrice de films pornographiques

Ils ont co-écrits "Sexe Philo" aux éditions Bréal

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Du point de vue du sujet nu, le sentiment éprouvé lors du déshabillage peut aller de la satisfaction vaniteuse d’être admiré(e) à la vulnérabilité morale. Cette dernière consiste à se sentir vu(e), jugé(e) par le plus impitoyable des jugements, le jugement de goût qu’involontairement toute conscience effectue de façon immédiate, sans réflexion, « sans concept » pour emprunter à Kant son idée de la Critique de la faculté de juger.

Le corps nu de l’autre est sublime, toujours au sens kantien : mon appréciation dépasse mon entendement. Mon jugement se situe entre deux sentiments, celui du « sublime mathématique » et celui du « sublime dynamique ». Le premier est ce qui nous apparaît absolument grand et dépasse la mesure de nos sens. Selon cette signification, le sublime est proche du beau. Le second est l’impression interne d’une puissance plus forte que notre puissance naturelle. En admettant que le corps nu de l’autre soit naturel – ce qu’il est de façon générale, malgré tous les soins culturels qu’il est possible de lui apporter et qui, de toute façon, se voient dès lors que nous sommes déshabillés, et même au-delà de ses possibles déformations, liées aux excès auxquels la société nous incite –, dès lors ma caresse devient perception du corps de l’autre comme, à la fois, grandeur infinie et porteur de l’idée que mon esprit s’en fait « en son chaos ou en son désordre, en ses ravages les plus sauvages et les plus déréglés ».

Le sublime peut émerveiller et terrifier, selon le goût. Nous savons que les critères du beau corps varient selon les cultures et les époques. Une personne très maigre, très grasse ou entre les deux n’est jamais universellement laide ou belle, merveilleuse ou terrifiante. Mais, quel que soit le sentiment esthétique éprouvé, le sublime – toujours au sens kantien – de l’autre nu pose le problème de la représentation que j’en ai. De même qu’il est difficile de trouver la juste distance pour la meilleure contemplation d’une pyramide égyptienne ou d’une montagne, de même la proximité qu’implique le déshabillage crée un manque de recul sur l’autre, un échec de la perception dans sa tentative de le voir dans sa globalité – sauf après l’amour quand l’autre se lève nu du lit pour aller dans la pièce voisine, avec cette attitude à la fois amusée et un peu gênée, n’osant ni se cacher ni ne pas se cacher, laissant apparaître de toute façon suffisamment de nudité pour donner à bien voir.

Cependant, à ce stade, voir l’autre dans son tout serait prendre vis-à-vis de lui une position de voyeur et lui demander de contracter, dans son dévoilement érotique, le statut d’objet. Par conséquent, l’incapacité dans laquelle nous nous trouvons, aussi bien par le toucher, le déshabillage ou la caresse, de voir l’autre dans sa totalité, c’est-à-dire son unité, fait que le sujet érotique plonge malgré lui dans l’intériorité vers laquelle sa caresse et sa main se trouvent magnétiquement attirées.

Parlant de notre faculté de représentation face au sublime, Kant écrit dans la Critique de la faculté de juger (§26) : « Elle s’abîme elle-même, et ce faisant, est plongée dans une satisfaction émouvante. » Le déshabillage est le franchissement de la limite, l’étape mixte et intermédiaire entre le moment où toi et moi nous voyons à distance dans l’espace public et celui où, coupés du monde extérieur, nous sommes l’un dans l’autre.

Pour cette raison, le déshabillage illustre bien l’ambiguïté du sublime selon Kant, sa position entre deux impressions apparemment antagonistes, la peine et la satisfaction – non pas dans le sens où j’éprouve de la peine quand le corps de l’autre me déçoit et de la satisfaction quand il me réjouit, mais parce que le sublime révèle notre condition humaine, elle-même située entre deux éléments : l’infini et le fini, le grandiose et le dérisoire, l’âme qui s’élève et la chair lourde dont on pourrait finir par se lasser. Marguerite Yourcenar, dans les Mémoires d’Hadrien, a vu cette ambiguïté de la main posée sur l’autre, main caressante dont le temps fait qu’elle pèse et dérange : « Mais le poids de l’amour, comme celui d’un bras tendrement posé au travers d’une poitrine, devenait peu à peu lourd à porter. »

Dans la nuit, malgré eux, les corps se séparent. Le corps dénudé de l’autre est sublime parce, sensible et intelligible, en le percevant, je sens qu’il me dépasse. Le corps dénudé, au sens strict, à la fois habillé et nu, en cours de déshabillage, est une expérience transcendantale qui suscite autant le respect que l’étonnement.


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Extrait de "Sexe Philo" aux éditions Bréal (2012)

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