Reciviliser les moeurs françaises : état d’urgence !<!-- --> | Atlantico.fr
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Violences lors des manifestations du 1er mai à Lyon
Violences lors des manifestations du 1er mai à Lyon
©Jeff PACHOUD / AFP

Rien ne va plus

Si l’on glose beaucoup depuis quelque temps (mais à juste titre) sur la nécessité de refonder une démocratie devenue très autoritaire depuis quelques années et plutôt anti-sociale, qui parle d’une nécessité plus impérieuse encore, celle de refonder le pacte social, de réinventer des manières de « faire société » avec des règles et des valeurs permettant le vivre-ensemble, sans lesquelles, on le sait, toute vie collective est impossible ?

Michel Fize

Michel Fize

Michel Fize est un sociologue, ancien chercheur au CNRS, écrivain, ancien conseiller régional d'Ile de France, ardent défenseur de la cause animale.

Il est l'auteur d'une quarantaine d'ouvrages dont La Démocratie familiale (Presses de la Renaissance, 1990), Le Livre noir de la jeunesse (Presses de la Renaissance, 2007), L'Individualisme démocratique (L'Oeuvre, 2010), Jeunesses à l'abandon (Mimésis, 2016), La Crise morale de la France et des Français (Mimésis, 2017). Son dernier livre : De l'abîme à l'espoir (Mimésis, 2021)

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La « jungle » (entre guillemets) n’est plus à Calais mais sur tout le territoire national (et sans guillemets cette fois). Partout, l’on ne voit ou n'entend plus qu’agressivités, éclats de voix, « coups de sang » bientôt suivis de coups de poings, violences « pour un rien ». Les enquêtes scientifiques menées sur le monde juvénile montraient déjà, il y a trente ans (et même un peu plus) qu’un simple mauvais regard, une cigarette refusée, une injure proférée pouvaient conduire, en réaction, à une réponse violente, mortelle, quelquefois. 

            Les règlements de comptes entre trafiquants (souvent jeunes, voire très jeunes) à Marseille aujourd’hui (qui ont déjà fait une vingtaine de morts depuis le début de l’année) montrent que la situation s’est dégradée encore davantage. L’on tire avec arme à feu désormais, en plein jour, sans même se cacher, sur un concurrent gênant. 

            Cette radicalité de la violence s’est propagée dans tout le corps social. Les élus sont désormais la cible à la mode. L’on agresse ainsi les maires, on incendie leur maison, leur voiture (c’est arrivé récemment au maire de St Brévin). Et puis il y a toujours les attaques classiques contre des banques ou des bijouteries, mais qui se font aujourd’hui aussi en plein jour, sans aucune opposition. Comme au spectacle, les passants regardent car les citoyens réactifs se font rares ! Il semble qu’il n’y ait plus aucunes limites à une violence devenue quotidienne, multiforme, nationale. Et voilà que les adversaires du chef de l’Etat, non contents de l’interpeller vertement à chacune de ses sorties, s’en prennent aujourd’hui physiquement à un jeune chocolatier dont le seul tort est d’être le petit-neveu de Brigitte Macron ! Beaucoup d’observateurs – dont nous sommes – estiment aujourd’hui que la prochaine étape de l’escalade de la violence sera la mort de la victime. C’est une question de semaines, de jours peut-être !

         Comment en sommes-nous arrivés là ? Dans un livre publié en 2017, La Crise morale de la France et des Français (Mimésis), boudé par les médias et donc ignoré de l’opinion publique, nous tentions d’expliquer les causes de cette « dé-civilisation des mœurs » en France. Mais d’explications, nos médias ne veulent plus. Du commentaire, toujours du commentaire, encore du commentaire ! Des indignations et des condamnations, toujours et encore des indignations et des condamnations ! Qu’entend-on le plus souvent ? Des accusations politiques, portées principalement par la droite contre la gauche, un peu moins vice-versa. Des accusations contre l’esprit « Mai 68 », la « gauchisation » des esprits, en clair la dénonciation des mauvaises valeurs transmises qui auraient conduit au « laxisme » d’aujourd’hui.

         Disons-le tout de go. Dans l’affaire qui nous retient dans ce papier, l’approche stigmatisante des politiques, de droite surtout, qu’elle soit républicaine ou plus radicale, est sans valeur, donc impertinente. Les incantations au « retour de l’autorité » ou à une répression pénale plus forte, ne sont en effet strictement d’aucun intérêt car d’aucune efficacité.

           La seule analyse qui vaille est de nature scientifique – et plus précisément sociologique.

              Notre démocratie souffre moins d’institutions politiques inadaptées (même si elles le sont), que de mœurs, au sens de règles et de valeurs sociales, défaillantes. Le principal fautif ? Un individualisme exacerbé, sauvage, sans foi ni loi, qui a tout « délégitimé », à commencer par la chose publique. Car nos institutions souffrent moins d’une « crise de l’autorité » (pas très gentil pour le président-monarque !) que d’une « crise de légitimité ». Les représentants de la nation, comme par exemple les enseignants dans la sphère éducative, ne sont plus portés par leur légitimité traditionnelle (qui leur venait principalement de leur statut). Ce sont leurs qualités personnelles et leur efficacité professionnelle qui sont désormais critères de légitimité ou pas. Ce constat s’inscrit naturellement dans une crise « évidente » de la démocratie représentative. L’« individualisme-roi » vise à gommer les différences sociales et toute supériorité politique ou intellectuelle. S’indigner par conséquent des agressions d’élus plus que des agressions commises contre des citoyens plus « ordinaires » - parce qu’ils seraient, par définition, plus « intouchables » que les autres Français du fait de leur statut -, n’est, eu égard à l’individualisme triomphant, qu’une idée tout simplement irrecevable. Les élus, pour nos concitoyens, sont devenus des « citoyens comme les autres ». Puisqu’il n’y a plus désormais ni gouvernants ni gouvernés, il n’y a donc plus de violences majeures et de violences mineures.

             L’Etat français et son chef se trouvent aujourd’hui confrontés à l’une des réformes les plus nécessaires qui soient – qui est sans doute aussi la plus difficile : la réforme des mentalités. Ceci suppose bien sûr d’avoir admis que les individus actuels ont perdu largement leur qualité d’êtres sociaux [on a parlé de « sauvageons » pour moins que ça autrefois] et sont devenus de vrais barbares mus par leurs seuls instincts et pulsions. A défaut de reconnaître cette dérive « sauvageonne », aucun progrès d’envergure n’est évidemment envisageable.

        On parle aujourd’hui pour les grands mineurs de 15-17 ans de SNU (Service national universel). Outre le fait que cette appellation est très contestable, l’universalité supposant la prise en compte de toutes les générations, la mesure destinée aux seuls jeunes est de toute façon socialement injuste. 

          Nous proposons, pour revenir à notre propos, la création comme en Suisse d’un Service civique réellement universel de six mois (pouvant être fractionnée en deux ou trois périodes), obligatoire pour hommes et femmes âgés de 15 à 50 ans. Ne l’oublions pas en effet, l’incivisme est dorénavant l’affaire de tous et, oserais-je dire, le comportement de presque tous. Ce service aurait pour but l’apprentissage ou le réapprentissage des valeurs permettant le vivre-ensemble. 

           Si la démocratie a ses piliers : liberté, égalité, fraternité (+ laïcité ?), la société a les siens : tolérance, respect d’autrui, dialogue, non-recours à la violence – sauf cas de légitime défense. Parce qu’il y a urgence, le Service civique universel doit être mis en place dans les plus brefs délais.

           Apprendre à vivre ensemble, c’est aussi l’affaire des familles qu’il faut « désintoxiquer » d’un individualisme incontrôlé. Pourquoi ne pas imaginer à leur intention des cours du soir de civisme et de vivre-social ? C’est aussi l’affaire de l’école qui doit non seulement enseigner le civisme, c’est-à-dire les conduites sociales autorisées, mais le faire exercer directement le plus possible. C’est l’affaire bien sûr, enfin, des structures récréatives et sportives (on voit combien le débat sur l’homosexualité est difficile dans certains sports comme le football).

          La réponse à un problème social comme la violence est sociale et morale avant tout. Il appartient juste au politique d’en permettre l’exécution. Le temps de la « re-civilisation des moeurs » est venu… et il y a urgence !

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